6 juillet 2009

Les deux yeux de l'âme

« L'âme a deux yeux : l'un regarde le temps
Et l'autre se tourne vers l'éternité. »
Angelus Silesius (Le Voyageur chérubinique, trad. Maël Renouard , p.261, Rivages poche n°464)

C’est le mystère de la conscience. Elle se laisse pénétrer par le monde extérieur, le monde des sens, de la matière, du temps. Cette tonalité suit son cours et file aisément sans se questionner à l’intérieur de balises reconnaissables et partagées par l’ensemble. C’est le monde de la rue, de la température, du corps, de l’argent, du divertissement, de la nourriture. C’est le monde de l’espace-temps, de la matière, des océans, des déserts et des montagnes, de ses habitants qui naissent, vivent et meurent. Tout ça va de soi… Mais un jour, par un impénétrable retournement des choses, cette conscience pirouette vers l’intérieur, son intention bifurque et ose entreprendre une sorte de montée (ou d’élargissement, si nous avons le vertige), une exploration de perspectives nouvelles, une recherche qui devient vite obsédante.

Pourquoi ce retournement ? Dans quel but? Quelle est cette étincelle qui a déclenché ce revirement de situation?

Je sais toute l’énergie requise pour seulement se mouvoir et survivre en ce monde, pour seulement comprendre et embellir ce monde. Je sais le temps requis malgré notre impatience, nos tâtonnements. Je sais par contre, que malgré cet état de fait, que malgré les contraintes, les appréhensions, les peurs, je sais de façon indéniable qu’il arrive un moment où la conscience (l’âme) change de cap et chuchote à notre entendement que le temps est venu de larguer la durée et de s’accrocher à l’éternité, au « non-temps ».

Il apparaît qu’une sorte de volonté a réussi à percer notre carapace et à se frayer un chemin jusqu’à notre conscience pour lui signifier de tenter une incursion hors du monde phénoménal, physique et observable, pour aller jouer dans l’infini, s’élargir, voyager, connaître et ensuite rapporter au monde que « tout va bien », c’est-à-dire que tout se tient et a un sens.

Tout se passe comme si une intelligence supérieure nous enjoignait de dérouler une carte à trois dimensions de la vie pour mieux nous situer et nous conduire à travers les innombrables méandres qui la caractérisent. Une sorte de GPS qui éclaircit notre expédition sur terre et la rend moins hasardeuse. L’infini et l’éternité au service de l’espace et de la durée. Une aide précieuse et indispensable pour réaliser notre parcours.

À remarquer ceci : une fois que cette « volonté » nous a agrippés, non seulement ne nous lâche-t-elle pas, mais elle croît et s’amplifie. Elle s’insère minutieusement et méthodiquement à l’intérieur de notre être et cherche une voie d’expression, un canal d’écoulement. Cette volonté est implacable. Lorsqu’elle nous empoigne, plus rien ne lui résiste et il vaut mieux s’aligner avec elle et nous abandonner. Chose curieuse, elle nous mène à coup sûr vers un épanouissement, une totalité, une éthique exemplaire, une liberté sans égale…

Je sais que ce deuxième œil de l’âme, celui tourné vers l’éternité, n’aura jamais la cote et sera bafoué non seulement par la raison, mais aussi par toutes « les religions du pouvoir ». Le combat de l’homme libre se déroule à l’intérieur de ce champ. Je sais la tâche difficile mais elle ne sera jamais vaine.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire