12 décembre 2013

À propos de libellule et autres chefs-d’œuvre

Je me suis rapproché lentement de la terre, non pas par dépit ou obligation, mais par simple amour.

Je lis la terre pour la comprendre. Un jour j’ai eu la volonté d’intégrer l’inconnu et le nouveau dans ma façon de penser. Quoi de neuf sur la terre? Mais la terre elle-même! Elle tourne, elle se transforme, elle irradie dans son indicible beauté. Et elle porte en elle toute la signification profonde du mot diversité.

Diversité. Comme la vie, comme son incroyable nomenclature d’animaux, de plantes, d’organisme de toutes sortes. Je suis en fascination devant sa diversité. Est-ce à dire sa beauté?

Un été, au bord d’un lac, au pied de ma tente, j’ai vu. Il y avait des dizaines de libellules qui entonnaient de grands discours d’excursions effrénées. De tendres voiles se dressaient en apparition fantomatique à la surface de l’eau. Quelques huards s’exerçaient encore à plonger et hululer. Je me suis mis à croire qu’il n’y avait plus rien à dire, plus rien à penser.

Il suffisait de voir.

Pourquoi des libellules, des grenouilles souriantes? Mais pour notre propre bonheur! Pourquoi toutes ces fleurs enflammées? Mais pour notre plus grand bonheur!


Mettons un instant de côté ce regard poétique sur la vie. Qu’ont-ils aussi à nous dire tous ces chefs-d'œuvre? Mais que nous sommes faits de la même étoffe. La terre nous enseigne l’humilité. Elle enseigne que l’humanité se compose d’autant d’individus uniques, que cette incroyable diversité n’a pas de prix, que nous devons la chérir et la protéger. Diversité, beauté et unicité se regroupent dans l’homme.

Je répéterais mille fois avec des millions de gens cet événement unique en bordure du lac. La nature m’a montré et j’aime croire qu’elle enseignerait à tous la même idée. Elle dépasse sous les jupons d’une vie en pâmoison devant l’éclatement enjoué de sa progéniture. Cette idée, elle est douce, elle est claire : nous avons, qui que nous soyons, une place bien chaude qui nous tend les bras. Notre existence unique nous invite au partage pour notre plus grande édification à tous, pour notre plus grand bonheur.

Admirer la libellule, c’est admirer et respecter l’homme…

11 décembre 2013

P’tit guide doux

Je rêve d’un guide. Je rêve d’un guide écrit à l’aube au coin d’une table. Un guide pour les enfants meublé de mystère joyeux et qui se lit en mangeant des céréales.

Je pense à un guide qui nous conduit nulle part, qui nous cache l’essentiel et se déroule comme un vieux parchemin oublié au fond d’un coffre de cèdre. Je pense à un guide qui nous parle d’étoiles filantes et de péchés véniels que nous racontaient nos vieux en riant. Ces vieux survoleraient son écriture comme des oiseaux de liberté, se prononçant sur la vie qui passe et nous dépasse. Je les sentirais me serrer les épaules de leurs grandes mains puis me dire ne pas m’en faire si je ne comprends rien et si mon guide s’enfonce, inutile, dans des bordures de mers infinies.

Je pense à chanter des mots au rythme de guitares lancinantes puis les écrire sur une portée comme dans une partition de Bach, bourré de croches et de silences. Mon guide, un concentré d’airs inconnus qui se déploie dans un champ de boutons d’or et d’épervières orangées.

Je rêve d’un guide qui se lit en donnant la moulée aux animaux, en décapant de vieilles fenêtres et s’essuyant le front devant les ardeurs du soleil. Je rêve d’un guide bricoleur qui s’échine à la besogne du bien, un guide de la grimpée aux échelles, un guide du labeur silencieux rempli de poussières d’argent et de copeaux enchantés.

Mon guide je le vois disparaître sous les manteaux quand s’approche minuit, le temps du rêve. C’est un guide du repos de l’âme qui brode son destin. C’est un guide d’histoires insensées, de vieux contes sans queue ni tête, de légendes farfelues.

Mon guide, serait-ce un guide?

Il égrène ses notes de violoncelle sur fond d’hiver blanc. Il demandera de l’attention, l’oreille musicale, une vision de chat, un doigté de petites sœurs qui distribuent l’encens.

Je rêve d’un guide qui s’inhalera assis sur une grande couverte étalé sur la plage, qui s’inhalera comme des grains de sable pour les transformer en châteaux éphémères.

Un guide de châteaux éphémères.

Un petit guide doux.

28 novembre 2013

Vivre allumé

De quelle manière une lumière dans une pièce peut-elle être utile? On peut répondre ceci : cette lumière sert à éclairer la pièce. Est-ce le plus important? Non. La pièce elle-même n’a aucune valeur en soi. L’essentiel réside dans le fait que celui ou celle qui regarde dans la pièce puisse mieux voir.

Dans un documentaire sur Pondichéry et Auroville, voici ce que dit un participant interviewé : « Vous savez que le lotus s’épanouit dans la boue. Pour trouver le sacré du lotus ce n’est pas qu’il faut analyser la boue d’où il sort, mais voir le soleil qui tire le lotus à partir de la boue. » http://video.tv5.ca/focus-monde-inde-a-la-recherche-de-soi

On trouve ici une analogie avec les croyances. Est-ce les religions, les dogmes, les livres saints, les officiels qui gravitent autour de ces questions qui doivent prévaloir dans notre recherche de la vérité? Même réponse que plus haut : non. Ce sont comme les pièces éclairées par une lumière. Ils n’existent que pour des sujets, adeptes, croyants, qui absorbent la lumière et s’en servent pour illuminer leur chemin.

L’essentiel, le primordial demeure toujours le sujet et sa conscience éclairée ou non. L’éternité et l’infini résident dans le sujet, jamais dans l’objet de la croyance. En faire la différence permet de voyager avec une conscience qui illumine tous les chemins et les mondes parcourus.  

27 novembre 2013

Les mots qui se méritent

Il y a des mots qui se méritent, des mots qui ne doivent pas être pris à la légère. Comment peut-on prononcer des mots comme amour ou Dieu sans témoigner de la stupeur ou de la retenue? Comment simplement les dire sans ébranlement? Ils demeurent tellement chargés de sens et de profondeur que nous devrions les mentionner que dans la mesure du respect que nous leur accordons. Les livrer sans considération à l’attention de l’autre ne serait-il pas une faute de goût, sinon de finesse et de tact?

Cela dit, les mots ont leur limite et chacun en fait un emploi à leur discrétion. Ils servent à dire l’indicible et à cacher l’évidence ce qui ne va pas sans discernements et applications.

J’ai une méfiance instinctive envers certains mots. « C’est comme dire aux gens qu’on les aime. C’est inutile. Il vaut mieux ne rien dire et le faire. », nous mentionne avec sagesse Robert Lalonde. Christian Bobin se fait plus explicite : « Ce qui est vraiment dit, ce n’est jamais avec les mots que c’est dit. Et on l’entend quand même. Très bien. » Bref, il en va des mots comme des gens et notre manière d’être parle souvent à tue-tête et ne saurait mieux signifier ce que nous sommes vraiment.

Des mots connus comme Amour-Dieu-Bonheur nous touchent de près, se rapportent au sens commun et une connaissance partagée. Mais que représentent-ils avec précisions? Le demander ne provoque-t-il pas que lourd silence? Essayez-le autour de vous. Les employer avec abondance, mais sans précaution ne fait que les amoindrir et les déposséder de cette valeur si chère que nous cherchons à générer dans nos rapports avec l’autre.

Je lis et entends autour de moi des expressions qui commencent souvent par : « On sait bien, AU QUÉBEC, on est comme cela. » « Ça, c’est bien nous autres AU QUÉBEC… » « Dieu qu’AU QUÉBEC on agit toujours de la même manière, qu’on pense toujours pareil! » Etc., etc. Mais de qui et de quoi parle-t-on?

Qui est ce on, qu’est-ce que c’est que ce « au Québec »? Qui peut — invraisemblable miracle — se targuer d’avoir sondé le cœur et l’esprit de millions de Québécois et, dans un même inimaginable élan de générosité, nous livrer sans l’ombre d’un doute ce qui définit parfaitement une situation, un état d’être, une vérité sans lesquels nous ne saurions distinguer le bien du mal, le bon du mauvais, ce qui est à faire ou non?

Bobin encore : « Les mots sont comme les gens. Leur manière de venir à nous en dit long sur leurs intentions. »

Je me méfie de cette palette de mots et d’expressions convenus. Ils sont les sésames qui ouvrent les portes de la bonne pensée et qui ne s’animent qu’en tant que clichés et banalités. Ils ne font qu’entretenir préjugés et généralités et se pervertissent en incompréhension, impertinence et irrespect.

Il y a des mots qui se méritent… 

25 novembre 2013

Jouer ou non?

Au petit parc, l’autre jour, je croise une dame qui me prend à témoin et commence à gesticuler et à critiquer de manière virulente les travaux qui s’effectuent justement à cet endroit. Il est situé près d’un musée et est un havre de paix et de jeux pour la population environnante. J’y vais moi-même régulièrement pour me reposer et l'affectionne beaucoup.

La dame m’oblige donc à remarquer le saccage dudit parc, même si tout sera reconstruit. Sous quelle forme? Je ne le sais pas. Peut-être le sait-elle? A-t-elle vu les plans? Son indignation me laisse perplexe, je crois l’entendre dire que jamais elle n’aurait laissé faire ce saccage, elle. On aurait dû consulter, d'autres auraient pu s’opposer férocement. Elle en fait un cas de conscience et me le laisse savoir avec colère sans que je puisse même lui poser une question ou deux.

Je suis resté perplexe de longues minutes puis je décampai avant d’être enseveli par un torrent de bave.

Modifier un paysage ne va pas de soi, créer du nouveau ne va pas de soi. S’il y a un artiste derrière ce projet, comment prendrait-il cette charge à l'emporte-pièce?

Ce n’est pas tout le monde qui peut être artiste et développer sa créativité. L’art de concevoir nécessite abnégation, détermination et talent. L’artiste prend toute la mesure du sacrifice de soi devant la difficulté inhérente au processus même de créativité. L’artiste n’invente pas tout à partir d’un vide ou d’un silence absolu, il réinvente certes, il s’appuie sur un matériel déjà florissant et remanie, appose des retouches ou reconstruit carrément.

Toujours est-il que la position d’artiste en est une de précarité, d’angoisse et de solitude.

Pour se tirer de cette position peu confortable, il arrive que d’aucuns se placent en position d’entrepreneurs à l’intérieur de la sphère publique. Ils contournent ce malaise de l’artiste pur et dur par une forme de créativité et d’inventivité qui se positionne d’abord sur la fenêtre de l’utilitaire et du pragmatisme. Sur cette bordure du réel, ils créent, proposent et vendent, la qualité du produit n’en demeurant pas moins primordiale.

Mais la critique du même produit se fait féroce surtout s’il prend naissance avec l’argent du public.

Est-ce le cas qui nous concerne ici?

Je ne peux répondre. Ce qui m’agace toutefois, c’est l’ampleur du débordement critique, le non qui jaillit constamment dans les mêmes circonstances et qui appose son sceau de désapprobation systématique comme si ce geste demeurait le plus naturel, le plus intelligent et le seul vrai. Est-ce que la raison serait morte au détriment de l’unique passion?

Je m’indigne, donc je suis! Je dis non, censure et m’objecte de toutes mes forces tout le temps, et c'est la norme.

N’y a-t-il pas pourtant des règles du jeu à respecter, des règles qui existent pour tous et que nous nous devons d’intégrer lorsque l’envie nous prend de jouer à celui qui propose et, en contrepartie, celui qui s’oppose et critique?

À défaut de créer, d’être cet artiste, n’y aurait-il pas lieu d’apprendre à jouer dans notre rapport constant avec l’autre et la réalité?

Qui dit jeu, dit règle du jeu. Aucun n’existe sérieusement sans son assortiment de règles précises et dont la moindre est celle-ci : il faut aussi apprendre à jouer fair-play. Devant l’évidence de ces règles pourrions-nous décider par nous même de refuser de jouer, de ne plus avancer nos pièces, de ne pas respecter le temps, le positionnement, le nombre de joueurs sur le terrain, de refaire le livre de règlement à notre avantage? Ce ne serait plus du jeu.

Afin de mesurer notre capacité à composer avec des problèmes, ne nous viendrait-il pas alors cette envie de maîtriser l’art de jouer. Et ce faisant naîtrait l’apprentissage tout aussi nécessaire de gagner ou de perdre, condition sine qua non du jeu.

Il faut jouer avec la réalité et non pas bêtement dire non devant un problème. Il ne s’évanouira pas par enchantement.

Ça, c’est la magie, et c’est pour les enfants.

13 novembre 2013

Le devoir de penser

Je ne me suis jamais défilé devant l’exigeant devoir de penser. Encore aujourd’hui, en maintes occasions, de longues méditations silencieuses remplissent mon temps. Je profite de ces moments pour améliorer ma compréhension de la vie, pour réfléchir en profondeur sur certains problèmes récurrents, bref pour prendre un recul salutaire devant le flot constant d’événements qui garnissent l'existence et qui exigent de les placer en perspective.

Je m’assure ensuite que tout ce que je pense, imagine, crée et juge, je m’assure que mes actions soient sous la constante gouverne du bien, du beau et d’un amour indéfectible pour toute vie. C’est le deuxième niveau de la pensée, celui permettant de se regarder en train de penser, de se "voir aller" afin d’établir une conformité entre réflexion et action.

Hannah Arendt pose le problème en ces termes : « Il s’agit d’établir si la pensée et les autres activités mentales silencieuses et invisibles sont censées paraître ou si, après tout, elles ne peuvent trouver dans le monde d’habitat qui leur convienne. » La vie de l’esprit.

Ce qui nous sauve c’est une profonde et constante méditation sur l’existence même de notre vie, c’est l’acceptation inconditionnelle de notre appartenance au monde, du fait indéniable d’exister et de se mouvoir dans ce monde. Cette acceptation contourne ce qu’Arendt nomme le « scandale de la raison » en citant Kant. Ce dernier avait bien vu l’évidence : « le fait que l’esprit est incapable de connaître avec certitude et de soumettre à la vérification certains sujets et certaines questions auxquels il ne peut cependant s’empêcher de penser. »

Comment s’en tirer? En cherchant sans arrêt une forme et en lui donnant la possibilité de se greffer entièrement à notre existence. Cette forme c’est aussi ce qui nous sauve, car elle constitue le chef-d'œuvre de notre vie à la louange du simple fait, de la simple évidence d’exister.

« Une rose est sans pourquoi », nous dit Angelus Silenius. En est-il de même de ce but ultime, de cette raison de vivre qui nous relie tous en ce monde?

Je suis porté à croire que le plus difficile dans ce travail colossal de réflexion et de méditation consiste à n’entretenir aucune attente, à accepter que nulle récompense et reconnaissance ne s’y attache. Le but ultime consiste justement à finaliser l’œuvre d’une vie qui nous appartient, en faire un joyau unique dans la création.

Je suis à tout le moins persuadé que nous ne pouvons faire l’économie de la pensée. Là se cache le mystère qu’il faut approfondir, aucune dispense ne nous est octroyée, il n’y a pas de raccourcis.

Qui maîtrise la pensée maîtrise l’être, respecte la mise en forme du joyau à venir, donne une impulsion à sa vie et comprend que tous sont sur ce même grand chemin de découvertes et de consolidations.

Seul celui qui maîtrise sa pensée applique une véritable éthique à sa vie. La conscience individuelle a primauté sur tout, aucune idéologie n’a préséance.

Le philosophe Alain résume magistralement ce qui précède : « Penser, c’est dire non! » La folie du monde, cette activité de la non-forme, de l’absence d’éthique, du nihilisme, recouvre de sa chape de plomb l’histoire de notre époque. Elle est la résultante de l’absence d’effort de la pensée qui ne se voit plus en action. D’où l’importance de la remettre constamment sur ses rails. Penser, c’est respecter la part unique de l’être humain, ce qui nous distingue de tout le reste. Penser, c’est respecter l’autre, notre semblable, le sachant lui-même un être dans toute sa possibilité de penser.  

Alain nous met en garde : « Il n’y a pas au monde d’autre combat. Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c’est que je consens, c’est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran est maître de moi, c’est que je respecte au lieu d’examiner. Même une doctrine vraie, elle tombe au faux par cette somnolence. C’est par croire que les hommes sont esclaves. Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit. (…) Qui croit seulement ne sait même plus ce qu’il croit. » in Les pages les plus célèbres de la philosophie occidentale.

12 novembre 2013

Le silence attendu

Aurore au remblai de nacre
Dispersé à perdre le nord.
Coup de pinceau sur l’horizon agité;
Ne manque que le silence,
Que le silence
Attendu.




Se prendre

Si tu le veux
Un peu de moi
Prendrait une partie de toi
Et le ciel.




Je te le dis...

Tu ne me crois pas
Mais…
Je te le dis!

10 mai 2013

Qu’exiger de plus?

J’entends l’oiseau qui chante sous la ramure.
Il égrène quelques perles de lumière
Pour le passant qui s’en réjouit.
Qu’exiger de plus de la vie?

Un homme et une femme s’embrassent près de leur petit qui dort. Un individu écoute un proche attentivement. Ils sont assis tous les deux sur un banc dans un parc, ils cherchent à se comprendre, à s’aider peut-être. Des oiseaux se nourrissent des graines que leur apporte tous les jours un vieil amant de la nature.

Ne mésestimons-nous pas de tels gestes devant le dieu que nous honorons, les croyants trop humains donc imparfaits et indignes d’être vus?

Nous courons plutôt, il faut bien le constater, après l’action d’éclat, ce geste monumental qui sauvera le monde, cherchant ainsi, le croyons-nous, à nous garantir un regard d’approbation d’un dieu si loin de nous. N’attend-il pas, en effet, quelques prodiges qui lui ressemblent?

Mais s’il ne demandait après tout que l’innocence? Et s’il ne demandait qu’un cœur bienveillant malgré les affres de la vie? Et s’il ne demandait que d’être simplement heureux, ici maintenant? Et s’il était si près de nous que de seulement le chercher serait s’en éloigner?

Ainsi, peut-être que si nous écoutions, pourrions-nous l’entendre nous chuchoter à l’oreille : « Je ne veux pas que tu m’impressionnes, je ne veux même pas que tu chantes mes louanges en prétendant me connaître, en prétendant à l’intimité avec moi. Je ne veux surtout pas que tu agisses en mon nom, car que connais-tu vraiment de ma volonté? Il te suffit d’accorder la tienne à tous ceux qui gravitent autour de toi, sans les juger. Il te suffit d’aimer tendrement tes proches, les écoutant, les observant sans nuire à leur manière d’être. Ne serait-ce pas là le plus grand don que tu pourrais leur offrir? »

9 mai 2013

Tout ce que tu demandes


Tu demandes la lune.
J’ouvre un coffre-fort.
Un vent tiède surgit
Et des cheveux d’enfants
Gagnent un parterre immaculé.

23 avril 2013

Paresseux au travail

Comment résoudre un paradoxe lorsqu’il vous touche et vous accable?

Je suis paresseux. Je tourne en rond, regarde le temps qui passe et contemple le monde comme un scénario de film écrit à mon usage exclusif. J’ai une telle fascination, une telle curiosité pour ce qui se présente à mes yeux que je ne ressens plus le besoin de m’activer, entreprendre, bouger, faire; tous ces verbes d’action qui prennent tant de place dans la vie d’Occidentaux bien portants.

Il y a de la vitalité autour de moi, la nature exulte, il y a débordement d’énergie et d’inventivité, pourquoi devrais-je intervenir ou m’en mêler? J’essaie de me raisonner et je me pose toujours cette question : qu’apporterais-tu de plus à cette vie?

Je me contente alors de ne pas la juger et de l’aimer. Je me contente de ne pas nuire à tous ceux que je côtoie et qui s’affairent tant bien que mal à s’organiser une vie qui a un sens.

Je me dis tout de même que ce n’est pas suffisant. Une voix me susurre à l’oreille : « Voyons, ce n’est pas sérieux, il faut que tu t’affaires, tu dois bouger, t’impliquer, intervenir, t’indigner, il y a tant de choses qui vont mal autour de toi ». Alors je culpabilise, et je me sens paresseux…

Pourtant, je besogne très fort pour corriger ce problème. Donc, en soi, suis-je paresseux ou non?

C’est le paradoxe dont je parlais au début. Comment me considérer accro à la paresse alors que je travaille à la mater? Je déploie de l’énergie, je la combats en l’étudiant sur toutes ses coutures, je veux vaincre l’inertie, laisser une trace, je peux le jurer!

J’ai arrêté de m’en vouloir après avoir lu cette histoire :

« Le riche industriel venu du Nord était horrifié de voir le pêcheur du sud étendu paresseusement à côté de son bateau en fumant sa pipe.
- Pourquoi n'êtes-vous pas à la pêche? demanda l'industriel.
- Parce que j'ai attrapé assez de poissons pour la journée, répondit le pêcheur.
- Pourquoi n'en pêchez-vous pas plus que vous n'en avez besoin?" demanda encore l'industriel.
- Qu'est-ce que j'en ferais? demanda à son tour le pêcheur.
- Vous pourriez gagner plus d'argent, répondit l'autre. Avec cet argent, vous pourriez ajouter un moteur à votre bateau, puis vous pourriez aller en eaux plus profondes et pêcher plus de poissons. Ce qui vous permettrait d'acheter des filets de nylon. Et ces filets vous apporteraient plus de poissons et plus d'argent. Bientôt, vous auriez assez d'argent pour posséder deux bateaux… peut-être même une flotte de bateaux. Et alors, vous seriez un homme riche comme moi.
- Qu'est-ce que je ferais alors? demanda le pêcheur.
- Alors, vous pourriez vous asseoir et jouir de la vie " repartit l'industriel.
- Qu'est-ce que vous pensez que je fais actuellement? rétorqua le pêcheur. »

Anthony de Mello, Comme un chant d’oiseau.  

19 avril 2013

Croire


Croyances, visions des choses, idées sur le monde, la vie, la mort, la grande parade du sens que nous accordons à notre existence, foi en Dieu, foi en l’homme : une constance dans l’histoire qui a encore un bel avenir, surtout en période de troubles comme celle que nous vivons actuellement.

Nous devons croire. Nous devons croire, car nous avons une conscience aigüe de notre durée et de la mort qui nous attend. Le seul espoir qui nous reste se cache alors dans une continuité (de soi, de la vie) qui expliquerait et complèterait par le fait même notre mortelle présence sur terre.

Croire et avoir confiance en notre croire parce que nous nous sentons incomplets.

Jean-Louis Servan-Schreiber dans Aimer (quand même) le XXIe siècle nous dit ceci: « On ne peut pas fonctionner sans une petite modélisation du monde dans la tête; bricolée, lacunaire certes, mais c’est la nôtre. Nous avons intérêt à bien la connaître, à la tester constamment, à savoir la compléter, la mettre en doute, vérifier si elle nous aide à vivre, ou si elle nous envoie dans le mur. »

Voilà la question : est-ce que notre croyance nous aide à vivre? Et précisons : à vivre une vie qui a un sens, une vie réussie qui apporte quelque chose de positif aux autres et à soi-même?

Je sais à quel point nous aimons nous raconter des histoires. Quelque chose nous échappe et il y a plein de trucs que nous ne comprenons pas. C’est ce quelque chose d’indéfinissable dont nous ne savons presque rien que nous cherchons à clarifier afin de nous guider. Nous désirons ardemment la preuve de son existence afin de soulager notre angoisse. Une fois convaincus de l’avoir trouvé, nous la chérissons comme un bien précieux, un bien que nous voulons protéger à tout prix, car il nous conduira avec assurance vers le salut ou une récompense qui adoucira toutes nos souffrances vécues.

Cependant, ce spectre éblouissant de la preuve définitive ne finirait-il pas par nous aveugler au point de nous déposséder de nous-mêmes et nous faire perdre cette part d’humanité qui nous rattache à tous? Ne chercherions-nous pas aussi à nous démarquer par l’exclusivité de notre trouvaille, ce qui expliquerait la multiplicité des croyances, religions, sectes et autres idéologies qui pullulent depuis toujours?

Notre croyance, affirmons-nous avec éloquence et ferveur, étant la bonne et unique, une puissance, enfin, s’occupe de nous et nous mène à bon port. Nous sommes protégés, rassurés, et c’est tout ce qui compte.

Pendant quelque temps au travail, j’ai eu un ami qui était joueur d’échecs comme moi. On se voyait pour des parties endiablées, mais nous avions aussi de longues conversations ensemble. Un jour il m’avoua qu’il était un disciple de la foi baha’is. Il m’expliqua en long et en large la teneur de sa religion. Ce que je me souviens et qui me faisait sourciller, c’est que pour les baha’is l’unification de l’humanité demeure un sujet primordial. Ils sont d’ailleurs convaincus que le temps approche où la paix mondiale s’installera pour de bon. Je décelais un engouement et une exaltation chez lui et j’avais beau lui signifier qu’il me semblait utopique de voir les choses ainsi, rien n’y faisait. Le plus étonnant demeurait l’ensemble hétéroclite de preuves et de signes qu’il découvrait chaque jour dans l’actualité afin d’étayer ses affirmations. « Tu vois bien, ce n’est qu’une question de temps, me répétait-il. »

Je n’ai rien contre la paix sur terre, ça va de soi. Cependant, je ne voyais rien de probant, je ne croyais pas comme lui… Par contre, je discernais dans son approche une sorte de théorie du complot, mais à sens positif : on conspirait pour le bien de l’humanité entière et il en lisait des signes partout, dans tous les événements de l’époque.

Malgré tout, nous devons croire. Au moins pour ne pas désespérer, pour ne pas entretenir cette passion du désespoir que nous retrouvons parfois chez les jeunes, souvent pour des raisons dramatiques ou esthétiques. Croire humblement pour en arriver à espérer sans impatience et découvrir une part de sérénité malgré la folie du monde, malgré le mal, la souffrance.

Il n’y a pas de raccourcis. Comprendre la vie, le fait d’exister demande du temps et ne se manifeste que dans la lenteur et le silence, sans une pression indue de l’extérieur ou d’une puissance autoproclamée. Je pense à une recherche continue qui s’étale sur le long terme, comme une traversée à la nage de tous les océans de la terre.

Je pose comme hypothèse que les croyances existent avec une ambition inavouée, celle de court-circuiter le délai nécessaire à toutes transformations profondes de notre être. Ils prétendent à un lien direct avec la vérité, avec une puissance divine ou un substitut terrestre. Y adhérer donne alors un sentiment d’élection qu’il suffit d’entretenir en devenant dévot, c’est-à-dire celui qui prononce les bons mots, les bonnes paroles et se nourrit des bonnes écritures.

Nous devons croire, mais je ne suis pas sans savoir que mettre au-devant de soi sa croyance au détriment de la réalité, du visage du monde et de sa propre humanité peut conduire aux pires excès.

Il y a des maladies de la croyance qui enlèvent toute crédibilité à cette attitude capitale devant la vie. Ces maux naissent d’une paresse rédhibitoire devant la complexité de l’existence et en raison de notre impatience à trouver une solution définitive à notre incomplétude. Ces maux s’apparentent à une démission de la pensée et de la réflexion, comme si une dispense de recherche et d’approfondissement se voyait accordée aux seuls adeptes, dispense rendue possible par une mythologie ou une imagerie toute faite et parfaite de la vie ici-bas et au-delà. Si ce penchant se concrétise pendant de longues années, puis des décennies et des siècles, l’obscurantisme finit par prévaloir et recouvrir de sa chape de plomb toute lumière cherchant à poindre quelque part dans le firmament des idées.

Dans son livre Comme un chant d’oiseau, Anthony de Mello raconte cette histoire : « Le diable un jour partit en promenade avec un ami. Ils virent devant eux un homme se pencher et ramasser quelque chose sur la route.

- Qu’est-ce que cet homme a trouvé? demanda l’ami.

- Une parcelle de vérité, répondit le diable.

- Ça ne vous dérange pas? demanda encore l’ami.

- Oh non! repartit le diable : je vais lui permettre d’en faire une croyance…

Croire est noble. S’il ne se contente que d’une attente de récompenses ou d’un soulagement à notre malaise de vivre, notre croire perd alors de cette noblesse au détriment d’un égocentrisme inavoué ou d’une suffisance arrogante. Mais s’il est accompagné d’une transformation en profondeur de notre être, transformations issus d’expériences qui ont un sens, alors il reprend vie et ne se fossilise plus dans le dogmatisme et les certitudes défraîchies.

Le croire s’articule dans un constant dialogue avec le doute et l’incertitude, il est méthode de recherche, il s’élabore dans l’humble tâche de compréhension de la vie avec le seul instrument disponible à l’homme, sa raison.

Il y a cependant un paradoxe : la raison seule n’est et ne sera jamais satisfaisante. Devant le mystère de l’existence ainsi que de notre présence consciente sur terre, la raison n’a pas de repère tangible, c’est-à-dire de mesures quantifiables et précises. Elle doit reconnaître que la science et ses vues matérialistes ne produisent qu’une réduction du mystère, jamais une explication définitive, malgré leurs prétentions.  

Il reste le croire dans le doute et la raison dans l’humble acceptation de ses limites.
  

7 mars 2013

Nuits et jours


Nuits et jours
Vont et viennent,
Infatigables sans relâche.
Voyons-les s’embrasser
Des amants de toujours qui soupirent
Au moment de se délaisser.
Ils vont ils viennent
Se dévoilent l’un à l’autre
Se caressent un instant
Qui n’en finit plus
Leur ronde s’achève.

Oh mon enfant,
Mon enfant perdu fragile
Que l’innocence illumine
Regarde et vois le jour
Et vois la nuit
Ils ne trompent pas.
Regarde ces amants chasseurs
Qui tuent à coup d’éclairs
La noirceur des désirs
Qui tuent la blancheur la pureté.

Vont et viennent  
Ces jours ces nuits
Alternent le repos le vent
Ils n’en finissent plus. 

31 janvier 2013

Les mots(10)

Nuit :
La nuit éclaire notre vie comme des millions d’étoiles qui inspirent les plus sûrs des destins. Intime du silence, elle laisse entendre le pas feutré d’animaux mythiques, se fait le présage de rêves délicieux, inavoués, fantastiques, incompréhensibles. La nuit dessine une porte qui nous conduit fatalement à notre propre humanité.

Crayon :
N’eut été de sa présence, comment aurais-je pu apprendre à dessiner et exprimer tout le pouvoir des mots? L’humble bout de bois a enfanté mon intelligence du doigté, l’humble bout de bois m’a appris qu’un savoir se démontre sur une ligne définie et que l’ardeur d’un amour se dit souvent sur un fond de papier blanc.  

Chien :
Notre quatre pattes adoré, chéri. Notre compagnon. Le mot chien provient du Chinois et veut dire : celui dont la queue démontre l’état archaïque du sentiment, celui dont les yeux recherchent la tendresse et tout l’amour qui ne se dira jamais avec des mots.

Bibliothèque :
Une bibliothèque comme lieu d’hospitalité pour des univers écrits à la gloire de la connaissance. Une bibliothèque comme restaurant et comme appel de nourriture pour ceux qui ont faim. Une bibliothèque infinie au fond de soi à la recherche du lecteur de tous les mots cachés de l’âme.

Oreille :
Chapelle des bruits de la terre. Lieu secret par où transitent beauté et horreur, rythme et volupté des soupirs. Pavillon d’or attentif aux chuchotements du monde, à l’éveil d’un désir partagé. Sanctuaire sacré aux portes de l’entendement.

Marguerite :
Dentelle immaculée perchée à son bouton d’or. Marguerite célèbre les étés de nos jardins, marguerite se dandine au vent et ondule sur les vagues de chansons éternelles. Elle est la mère bouquetière de tous les enfants à naître dans ce mariage insolite de la poésie et d’un destin ignoré.

30 janvier 2013

L’avis du chat qui baille…

C’est l’histoire d’un chat esseulé.

Je l’ai aperçu une première fois sur le terrain à l’arrière de ma résidence, il se faufilait à travers les arbustes et les fleurs. D’un bond élégant, il sauta ensuite sur le rebord de la clôture de bois. Il demeura assis plusieurs minutes, regarda autour de lui, levant parfois le nez comme pour respirer une odeur qui l’excitait. Sa fourrure avait un mélange égal de noir et de blanc. Enfin, il bailla à s’arracher la mâchoire, sauta dans la cour du voisin et disparut.

Le lendemain, je le vis jaillir du dessous d’une voiture stationnée dans la rue. Il s’approcha de mon entrée, regarda autour de lui puis grimpa ensuite les quatre marches menant à ma galerie. Je l’observai par la grande fenêtre du salon. Il se coucha, s’étira comme un chat, fit comme chez lui. Je courus chercher un reste de poulet au frigo pour lui donner. J’ouvris la porte lentement pour ne pas l’effaroucher et déposai le plat, sans rien attendre.  

C’est seulement quelques jours plus tard que nous avons fait connaissance. Il miaula devant ma porte, sans doute avait-il faim. Je lui donnai deux sardines qu’il avala d’un coup. Je pus l’observer un peu pendant qu’il mangeait. Il avait l’oreille gauche affaissée. Sur son dos le poil était emmêlé. Il leva la tête et je vis que la pupille d’un de ses yeux me semblait dilatée comme le jaune d’un œuf qui vient d’être crevé dans le fond d’une assiette. Un chat échaudé par la vie… Je lui flattai le cou. Il miaula puis déguerpit en bondissant en bas de la galerie. Je me rendis à l’épicerie du coin pour lui acheter de la nourriture, s’il revient encore j’aurai quelque chose à lui offrir.

Autre journée, autre miaulement. Cette fois-ci je déposai la nourriture, de petites croquettes de viande sèches, à l’intérieur de la maison, dans le couloir. J’attendis. Il entra lentement. Il me semblait boiter un peu. Il mangea en jetant des coups d’œil à droite et à gauche. Il termina rapidement et resta assis, figé. Je le trouvais beau malgré ses cicatrices de guerre. Je me présentai et lui dis de faire comme chez lui, de prendre ses aises. Comme s’il m’avait approuvé, il grimpa sur un tabouret puis sauta sur le radiateur à l’entrée.

Il devint mon inséparable ami à partir de cet instant. Où que j’aille à l’intérieur et autour de la maison, il me suivait. J’avais l’impression qu’il cherchait à me comprendre et à me donner son avis sur ce que je faisais et parfois même sur ce que je pensais. Je lui avouai qu’un chat qui avait vécu autant de tribulations et d’infortunes comme lui était sans doute digne d’être écouté. Il m’obligeait à m’arrêter et m’interroger. Il veillait sur moi comme je veillais sur lui. C’est drôle à dire, mais j’avais le vague sentiment qu’il cherchait à me faire économiser du temps et de l’énergie, qu’il me conduisait avec subtilité vers l’essentiel. Comment s’y prenait-il?

En bâillant…

Il avait une façon de me regarder… Il s’approchait à quelques centimètres de mon visage puis bâillait une fois, deux fois, jusqu’à ce que je lui accorde une attention soutenue. Au début, je ne voyais rien, je ne comprenais pas son manège. Un jour, je fis le lien. Je regardais la télé, je zappais. J’étais un télévore lobotomisé qui perdait manifestement son temps à regarder des inepties. Je me secouai, pris une revue et lus. Chat s’approcha et ronronna. Pour la première fois, l’effet Pavlov fonctionna. Et du même coup, je lui trouvai un nom. Il approuva son baptême, ronronna de plaisir.

Un après-midi, j’étais à l’ordinateur. Comme à son habitude, Pavlov avait pris sa place sur mon bureau près du clavier. Couché. Sa queue en mouvement continu ramassait la poussière sur les touches comme un petit linge. Je savais qu’il souriait… J’écrivais un texte qui me donnait du fil à retordre, mais temporisais en fuyant et surfant sur internet. Tout à coup, mon chat leva la tête puis vint s’asseoir directement devant l’écran. Je le suppliai de ne pas bâiller. Il bâilla. J’ai compris, lui dis-je.

Je dormais. Une présence me réveilla. Au cadran, les aiguilles notaient 2h15. Pavlov tournait sur lui-même, me léchait le visage. Je m’assis sur le bord du lit. Je le vis bondir en courant vers la porte arrière de ma résidence. Il voulait sortir. J’étais curieux d’en connaître la raison, je m’habillai et le suivis. La nuit était magnifique, une nuit d’été chaude et paisible. Ensemble, on se rendit jusqu’au fond du terrain, dans les broussailles à travers les arbustes et les fleurs. Le cabanon trônait à quelques mètres à notre gauche. Pavlov se coucha et fixa un point tout près du grand tilleul. Sans discuter, je pris la même position au ras du sol. J’observai le chat, observai ce qui l’absorbait. En silence, aucun geste. Au bout de quelques minutes, je vidai mon esprit de toutes pensées et appréhensions. Le silence partout, le silence total. La scène se transforma, grossit, s’illumina. Ma conscience pénétra en douceur un monde nouveau.

Je traquais.

À un moment pile, je peux vous jurer que je bondis en même temps que mon chat sur une proie qui ne vit que du feu. Un mulot.

Je retournai ensuite dans ma chambre. Il était cinq heures au cadran, le soleil grimpait à l’horizon, les étoiles se couchaient les unes après les autres dans la nouvelle lumière du jour.   

Pavlov dormait près de mon oreiller. Je songeai : tout est question de patience, d’attention, de profond silence. Et d’être sans bavure en temps voulu.

Je m’étais habitué à aimer ce chat magnifique. Il me comblait, ronronnait, bâillait… Je ne voulais rien d’autre qu'en prendre soin. Tous les jours, j’ouvrais ma porte, il partait, revenait plus tard. Heureux? Oui, j’en suis sûr, comme moi.

Une journée d’automne, je m’en souviens très bien, il pleuvait de fines gouttelettes sur la ville, je trouvai un mulot mort dans mon entrée en sortant à l’extérieur. J’eus une appréhension.

Le lendemain puis les jours qui suivirent, j’attendis mon chat, j’attendis qu’il entre me rejoindre dans la maison et partage ma vie comme avant. Peine perdue.

Pour ne rien vous cacher, j’ai longtemps pleuré sa disparition. Aujourd’hui encore, je me souviens de lui avec émotion et respect.

Je pense avoir maintenant compris la raison de son départ.

J’en suis presque certain, il avait d’autres chats à fouetter…

24 janvier 2013

Humain fort fragile

«Nous sommes des êtres fragiles et la réalité sociale dans laquelle nous nous trouvons en tient fort peu compte, nous proposant au contraire un idéal de performance ou d’excellence. Une part de ce qu’il y a en nous d’humain est oubliée, comme si nous avions honte de notre humanité et des imperfections qui lui sont inhérentes, et que nous nous rêvions surhumains, dieu ou machine. Il en a d’ailleurs toujours été ainsi sur le plan collectif. L’idéal de sainteté puis celui de sagesse ont précédé l’idéal d’excellence, l’idéal d’aujourd’hui. Toujours l’humanité de l’humain est déniée, telle une tare. Ces idéaux détruisent l’être humain, loin de l’aider à se développer et à réaliser la puissance de son être vivant. En fait, il s’agit d’abord et avant tout de voir la réalité telle qu’elle est. C’est grâce à la vision qu’une solution allant dans le sens de la puissance de vivre peut concrètement se trouver ou  s’inventer au sein de la réalité telle qu’elle est. L’important est que la vision, même au sein de la répression, que celle-ci soit brutale ou douce, absurde ou  argumentée, demeure intacte, que, mieux encore, elle soit rendue plus vive, plus aiguisée par le défi ou l’épreuve. La vision de la réalité est plus puissante que toute injonction émanant de l’idéal.»

Pierre Bertrand, Cette vie en nous, Liber.

21 janvier 2013

Le sens de la contemplation

« Celui qui s’efforce d’agir pour les autres ou pour le monde sans approfondir sa compréhension personnelle, sa liberté, son intégrité et sa faculté d’aimer n’aura rien à donner aux autres. Il ne leur communiquera que la contagion de ses obsessions, son agressivité, ses ambitions égocentriques, ses illusions sur les fins et les moyens, ses préjugés doctrinaires. Rien n’est plus tragique, dans le monde moderne, que le mauvais usage du pouvoir et de l’action auquel les hommes sont poussés par leurs malentendus et incompréhensions.

Nous avons actuellement plus de puissance que jamais et cependant nous sommes aliénés, plus étrangers au domaine intérieur de l’amour et du véritable sens des choses que jamais. Le résultat est évident. Nous traversons la plus grande crise de l’histoire humaine; et cette crise a son centre dans la nation même qui a le culte de l’action et a perdu (ou n’a peut-être jamais eu) le sens de la contemplation. »

Thomas Merton, Le retour au silence.

18 janvier 2013

Avaler sa pilule

Petit tour en pharmacie accompagné par ma douce et ma grippe. Main dans la main. Le défi était trop grand pour me rendre seul, je m’y serais perdu, c’est certain. L’aventure aux limites du possible consistait à trouver une simple bouteille de Tylénol en format ordinaire, de base. En cinq minutes, top chrono.

Je pensai à Thérèse d’Avila…

En face de deux rayonnages débordant de pilules de toutes sortes, un haut-le-cœur s’accrocha à mes lèvres sèches. Je me suis mis à psalmodier, chercher un mantra et un sens à la vie. Une chatte aurait eu de la peine à retrouver ses petits. Douze gigazillions de bouteilles, de formats, de boîtes qui me narguaient : « Je suis ce qu’il te faut! »

Ma fièvre empira. J’hallucinai un produit pour combattre la sinusite pour nez aquilin, un autre pour nez épaté seulement. Pilule pour soigner une gorge nouée, une autre pour gorge profonde, une toux grasse, rauque, déchirante, nerveuse. Nous avons de tout!

Je revins à la maison, tremblotant. C’en était trop, j’allais mourir. Mais avant de trépasser, je me suis assis au salon avec la dernière revue Actualité. J’ai lu sur la page couverture : « Et si on se simplifiait la vie? » Ce serait tendance pour 2013.

Je pensai à Thérèse d’Avila…

Le titre de la revue me semblait prometteur. Désenchantement… Moi qui vois la simplicité comme un art du détachement, un désencombrement minutieux dans ses pensées et une approche teintée de grand respect envers la nature, voilà qu’on me sert la même poutine grasse dans sa sauce brune de la gestion de notre temps et de nos achats, seules critères d’une vie réussie et bien remplie, il va sans dire. Il faut acheter la bonne tablette, l’iPad évidemment. Tellement plus intuitif. Mon intuition à moi me dit de me méfier. Rien ne nous oblige à nous embarrasser de tous les derniers gadgets à la mode. Puis on nous exhorte à assainir nos finances personnelles, concilier travail et famille, faire des listes et même de mieux manger au restaurant. Si vous ne le faites pas, c’est vous le pire. On ne vous souhaite pas de culpabiliser, mais c’est tout comme. Il y a quelques décennies à peine, il fallait aller à la messe tous les dimanches, se confesser, savoir le petit catéchisme par cœur et écouter notre curé. Garantie à vie, gestion idéale pour l’éternité! Sinon, l’enfer.

Je pensai à Thérèse d’Avila.

Le gros bouquin de Marcelle Auclair sur la vie de la sainte espagnole du 16e siècle trône sur la table du salon depuis quelques semaines.

Je lis qu’elle était une femme exceptionnelle, une féministe avant son temps, et belle, intelligente, gracieuse. Une femme d’action qui a eu maille à partir avec tous les énormes préjugés de son époque. Et j’ajouterais avec nos préjugés actuels. Connaissons-nous vraiment cette femme?

« Tout n’est rien, le monde est vanité, la vie est brève. » Est-ce la fièvre qui me fait accepter sans rechigner ces mots de la carmélite? La maladie nous apporte quelquefois de ces moments de lucidité, une fêlure dans l’édifice de nos croyances et une petite lumière se fraye péniblement un chemin dans notre conscience.

Cette grande dame, j’aurais donc aimé la rencontrer! D’autant plus qu’elle adorait rire, chanter, danser. Et, imaginez, elle savait jouer aux échecs. Elle pratiquait le noble jeu régulièrement. Elle s’en servait comme image pour expliquer le processus de développement intérieur.

Nous avons besoin de si peu. L’essentiel se cache en nous.

J’avalai ma pilule…

15 janvier 2013

L’extrême et le banal


Je n’ai pas d’embarras à manifester mon étonnement. Je ne calcule rien, ça surgit, ça émerge et m’inonde comme une pluie soudaine en été.

Je ne crie pas ce sentiment à la face du monde. L’étonnement (mâtiné d’émerveillement) me stupéfie. Je fige, suspendant tout jugement, sans évaluer la teneur en gras ou en grâce de ce moment unique. Pour qui m’observe et me prend en flagrant délit, tout juste peut-il discerner une grimace ou un sourire de contentement. Ce ne sont pas des mots qui jaillissent mais une humeur enfantine, des yeux qui s’agrandissent, cheveux qui se dressent ou parfois une démarche bondissante comme un ballon de plage.

Exister n’est pas banal et, comme bien d’autres l’ont dit avant moi, je m’étonne même qu’il y ait un monde et que nous l’habitions. Pourquoi tout ça? Il n’y a rien de naturel, il n’y a rien du pur hasard d’une mécanique subtile. On entre plutôt de plain-pied dans le mystère. Et on n’en sort pas indemne…  

« La vie ne se révèle qu’à ceux dont les sens sont vigilants et qui s’avancent, félins tendus, vers le moindre signal », nous dit Christine Singer.

Mais qu’est-ce qu’on peut bien venir foutre ici-bas? Ce n’est pas banal. Pourtant, je m’étonne que tant de monde s’étonne si peu. « Il y a des gens qui, comme les bêtes, ne s’inquiètent de rien, que de l’herbe! » nous mentionne Épictète dans ses Entretiens.

Il n’y a rien de banal autour de nous, sinon peut-être dans cet égo surdimensionné « dilué dans un tout le monde qui de tout a tout vu, ou le verra sous peu. » (L. Jerphagnon). Il n’y a rien de banal dans l’apparition de la première neige et des premiers bourgeons au printemps. Rien de banal dans le regard attendrissant d’un vieillard et celui d’un enfant comblé d’un simple jouet. Il n’y a rien de banal dans notre grand fleuve et ses espaces montagneux qui le bordent.

Dépourvus d’un regard, dépourvus d’une sensibilité, dépourvus de culture, ignorant d’ignorer, ne sommes-nous pas plutôt condamnés à une recherche constante d’un extrême qui nous ébloui et nous transporte? Condamné aussi à combler un vide qui nous gruge du dedans, car nous refusons qu’il ne se passe rien et encore moins de nous identifier à un banal devenu abject.

Jean-Jacques Pelletier expose avec rigueur, brio et moult exemples cette montée apparemment sans fin aux extrêmes qui définit le genre de vie que nous privilégions de nos jours. Dans ses deux derniers essais, Les taupes frénétiques et La fabrique des extrêmes, il jette un regard quelque peu cynique, mais néanmoins lucide de cette tendance que nous avons à nous délecter du spectacle sans fin de l’existence véhiculé dans les médias. Comme l’affirme Pelletier, n’a droit d’existence que ce qui peut être vu et entendu maintenant. Nous sommes inondés par un tsunami d’informations, chérissons notre dose et en redemandons, car cet extrême crée une accoutumance délétère.

Hier, il y a douze heures, il y a une heure entrent dans le déjà assimilé, consommé, vu et entendu, et y revenir endosse le label « banal ». Piégé à l’intérieur d’un cercle vicieux, nous voulons plus, nous voulons une « euphorie perpétuelle » puis nous nous enfonçons, pareils aux autres, tout en cherchant à nous démarquer dans le pas pareil. L’extrême soluble dans la prétention et la suffisance. Je pense ici à l’émission « Les Bobos » présentée par Marc Labrèche et qui illustre d’une manière truculente ces travers que nous avons développés à force de vouloir nous montrer en spectacle.

Les grands perdants de cette course sans fin? L’intimité, la discrétion, la retenu et l’art de prendre du recul. Qu’avons-nous fait aussi du silence et de la contemplation, seuls moyens efficaces de nous retrouver un tant soit peu dans le tintamarre incessant de cette existence?
 
Qu’avons-nous fait pour en venir à nous satisfaire d’un tel bruit?