28 février 2011

Mystère de la beauté


Et la beauté? Elle existe, sans que nullement sa nécessité, au premier abord, paraisse évidente. Elle est là, de façon omniprésente, insistante, pénétrante, tout en donnant l’impression d’être superflue, c’est là son mystère, c’est là, à nos yeux, le plus grand mystère.

François Cheng, Cinq méditations sur la beauté.

25 février 2011

Femmes


Le bonheur c’est d’être entouré de femmes admirables!

Elles sont rares, donc d’autant plus précieuses. Il y a celles que je côtoie de près, qui font partie de ma vie comme on dit. Et les autres, plus en périphérie, auxquelles je lance et reçois des messages, que je vois de temps en temps, mais qui participent à un même élan, à une même joie de vivre et de recherche de sens et de beauté. Ces femmes sont de tout âge, de tout engagement, célibataires, mariées, mères, jeunes filles, enfants même. Uniques, un peu sorcières aussi, je l’avoue. Des beautés, oui! Mais d’abord dans leur courage, leur force, leur amour. Celles que j’affectionne font fi des conventions, ne se laissent abattre par aucun coup du sort. Elles savent se montrer discrètes et pleines de retenu lorsque l’occasion se présente. Ce sont des êtres solides, mais fragiles, à la fois simples et complexes. Elles s’en font peu avec la vie, car elles savent qu’elles sont la vie.

Des beautés, oui! Une rareté, je disais. Elles sont créatives, elles entreprennent, elles s’affirment, mais ne cherchent pas à en imposer, ne jouent pas du coude, ne se jouent pas des autres.

Ces femmes sont libres, autonomes. Elles sont affranchies de la tyrannie des hommes… et des femmes.

23 février 2011

La violence "full pas cool"


La violence scandalise. Elle n’échappe à personne, car elle fait partie intégrante de la vie. Elle semble surgir des profondeurs souterraines et ténébreuses de la psyché humaine; elle gronde puis éclate en une coulée qui inonde, brûle et pétrifie tout sur son passage.

Je prends pour exemple la violence gratuite et inutile lors d’événements où se rassemble une foule.

Il y a quelques jours, une journaliste de CBS a été agressée violemment et sexuellement au Caire au moment de la chute du président égyptien Hosni Moubarak. Parce que c’est une femme? Parce qu’elle est américaine? Parce qu’elle est journaliste? Qui pourrait le dire? Le comportement d’une foule (d’une collectivité) semble refléter les plus bas instincts de la moyenne des individus lorsque certaines circonstances extérieures se présentent. Il suffit d’un malaise, d’un engouement, d’un enthousiasme révolutionnaire, d’une rumeur et la mécanique démarre puis dégénère dans l’aveuglement d’actes de violence incontrôlée. Et il se trouvera toujours quelqu’un pour la justifier. C’est l’autre vecteur de la violence, plus près encore de la haine maladive.

Lors d’un match de hockey vu en direct il y a quelques années au Colisée de Québec, j’ai assisté, perplexe, à un déferlement de bagarre entre les joueurs sur la glace qui a dégénéré en une montée de violence et de gestes disgracieux dans la foule. L’excitation, à son comble, est devenue telle que nous avons quitté l’endroit, ma conjointe et moi, de peur de subir les foudres de quelques fous furieux qui nous entouraient.

Les exemples de violence dans le sport sont nombreux. On a qu’à penser aux hooligans en Europe, lors de match de foot. À son paroxysme, la violence dégénère même en tuerie. Tout ça pour un jeu, pour un ballon qui ne roule pas dans la bonne direction…

Lors du sommet des Amériques à Québec, en avril 2001, j’ai pu assister aux premières loges à la puissance d’une vague déferlante de violence contenue. J’étais à vélo, à quelque trois cents mètres en surplomb d’une foule évalué à environ 100,000 personnes. La rumeur était assourdissante. Tous les groupes de pression étaient représentés, de multiples banderoles flottaient au-dessus d’eux pour affirmer leurs allégeances et surtout leurs désapprobations. (J’en ai vu une qui se disait contre le New-Age!) L’image d’un dragon prêt à cracher le feu m’est venue à l’esprit. J’ai alors ressenti une peur panique, la peur d’une perte de contrôle de toute cette rage, et je suis parti.

La crainte d’être absorbé dans un trou noir…

Je sais qu’une bonne partie de cette foule a convergé tranquillement vers un lieu pacifique de rassemblement. Je sais aussi qu’un bon nombre de manifestants a plutôt bifurqué vers l’affrontement violent. Tout ça m'a laissé de marbre. Je n'étais ni pour ni contre. Ce que j’ai perçu cependant, c’est le dangereux pouvoir de la foule et la violence latente prête à surgir au moindre signal pour allumer ses feux.    

Je n’ai pas de théorie pour expliquer cette violence. Je vois seulement que la foule la galvanise. Des individus de prime abord pacifiques et « normaux » se transforment alors en bêtes féroces prêtent à en découdre avec tous ceux qui ne les appuient pas, ne pensent ni n’agissent comme eux. Je vois des individus qui se cachent dans l’anonymat du grand nombre afin de perpétrer leurs méfaits. Une perte de contrôle les définit.

La violence de la foule a pour paramètres l’absence de courage, de profondeur, de respect et d’imagination.   


22 février 2011

L'épreuve


"Si tu éprouves le désir d'écrire, et nul autre que l'Esprit n'en détient le secret, tu dois maîtriser connaissance, art et magie : 
la connaissance des mots et leur mélodie, 
l'art d'être sans fard, 
et la magie d'aimer ceux qui te liront." 


Khalil Gibran ,Le sable et l'écume, Albin-Michel. 


16 février 2011

Le métier d'être humain


« (…) Mais j’aimerais pousser cette vérité un peu plus loin, là où la distinction s’abolirait, là où être écrivain et intellectuel serait une seule et même chose, un même métier qui consiste, sinon à sauver le monde, du moins à maintenir vivantes les valeurs qui en retardent l’avilissement ou la destruction. Un métier qu’on exerce aussi bien lorsqu’on écrit que lorsqu’on agit, un métier qui ne requiert aucun don particulier et qui exige même parfois de n’en avoir aucun, un métier qu’on devrait exercer sans relâche, le seul métier à l’abri du chômage puisqu’en fait ce métier, c’est celui qui nous oblige à être humains, à conquérir notre humanité. »

Yvon Rivard, Une idée simple, Boréal.

"Soufi, mon amour"


Dans l’histoire, nous avons beaucoup d’exemples d’individus libres qui ont manifesté avec force et courage leur opposition ou simplement leur détachement envers certaines manières de penser et de se comporter qui ne sont que conformisme, instinct du troupeau et humeur collective. Des noms, bien connus, ressortent du lot, et je ne parle pas d’excentriques ou d’hurluberlus qui ne font que divertir la populace. S’opposer publiquement au nationalisme fanatique, au racisme ainsi qu’à tout fondamentalisme religieux et politique n’est pas une mince tâche. Plusieurs ont déjà payé de leur vie ou risqué et vécu l’emprisonnement. Il y a des vérités que bien des puissants de ce monde (ou qui voudrait l’être) ne seront jamais prêts à admettre. Il y a des vérités que le commun des mortels ne peut accepter, car il devrait ressortir du lot et exigerait un amour inconditionnel de la vie.

Avec son livre, La bâtarde d’Istanbul, l’écrivaine Elif Shafak a franchi une ligne non permise en Turquie, ce qui aurait pu lui être fatal. Elle a osé parler du drame arménien à l’encontre de la doctrine officielle admise dans son pays. Elle a risqué trois ans d’emprisonnement. Ohran Pamuk, le Nobel turc, a vécu le même sort pour avoir « insulté la turquicité ».

Elif Shafak fait parti de ces individus qui s’affranchissent de l’esclavage du pouvoir et de la multitude.

Son dernier livre, Soufi, mon amour, raconte merveilleusement bien la puissance de l’amour comme facteur de changement dans le cœur des êtres qui s’ouvrent à cette présence magnifique. Shafak nous faire revivre l’histoire de la rencontre du poète Rûmi avec Shams de Tabriz, un derviche libre comme l’air, itinérant qui ne laisse personne indifférent autour de lui. Ce dernier viendra bouleverser la vie de Rûmi qui s’engagera alors sur un chemin transcendant toutes les religions, les conventions, les règles et la mesquinerie des hommes.

En parallèle, Elif Shafak nous propose dans son livre la rencontre entre Ella Rubinstein, une femme malheureuse qui a tout dans la vie et l’auteur d’un roman dont elle a la charge de lire le manuscrit pour le compte d’un agent littéraire. Cet auteur est celui qui nous révèle l’histoire de Rûmi et de Shams. À l’exemple de ces deux personnages, Aziz Z. Zahara viendra lui aussi changer la vie d’Ella en entreprenant une correspondance avec elle sur cet inépuisable sujet de l’amour et sa lente éclosion dans nos cœurs.

Le  roman d’Elif Shafak est l’un des grands succès de librairie en Turquie. Je soupçonne toutefois qu’il a fait grincer des dents bien des fondamentalistes musulmans. On ne badine pas avec la religion lorsque cette dernière est mariée à l’ordre et au pouvoir. 

Son livre, Soufi, mon amour, s’adresse cependant à tous, car son propos se veut universel et pleinement d’actualité.

** Voir cet entretien avec l’auteur du livre ici.

15 février 2011

L'obscur clarté


C’est dans l’imperfection, la confusion, l’obscurité, l’incertitude, le tâtonnement que quoi que ce soit qui en vaille la peine, à savoir qui soit créateur, s’accomplit. C’est à partir de ce dont on ne sait pas qu’on va de l’avant.

Pierre Bertrand, Pour l'amour du monde, Éd. Liber

14 février 2011

Spécial 14 février

Je suis friand de ce genre de tirade quelque peu irrévérencieuse:

"Chaque fois que nous disons « je t'aime » à notre amoureux ou amoureuse, nous ne savons pas de quoi nous parlons – à moins que nous soyons vraiment plus sensibles, aimants et compréhensifs que la plupart. En général, quand un homme dit à sa compagne : « Je t'aime », cela signifie : « Tout s'est assez bien passé aujourd'hui. Tu as fait exactement ce que je voulais que tu fasses et, au fait, tu as de beaux nichons. » Comme les femmes adorent s'entendre dire qu'elles sont aimées, la compagne en question répond : « Moi aussi je t'aime, chéri. » Ce qui signifie en fait : « Si tu ne me rends pas heureuse ce soir, je te botterai le cul demain. »

Imaginez comme la vie serait belle si nous n'avions jamais, dans nos relations, à tenir compte de ce que nous éprouvons ou de ce que l'autre éprouve. Imaginez que nous puissions simplement nous asseoir face à une personne aimée, la regarder dans les yeux, dans l'évidence de l'amour. Il nous suffirait de reconnaître à quel point nous aimons l'autre puis de boire notre bière et de manger notre hot dog au lieu de lui demander : « Alors, qu'est-ce que ça te fait de si mal cuisiner ? » 
Lee Lozowick, Éloge de la folle sagesse.


Mais il y a aussi celle-ci:

« C’est comme dire aux gens qu’on les aime. C’est inutile. Il vaut mieux ne rien dire et le faire. » 
Robert Lalonde

Puis cette autre:

Ma plus grande exhortation : « Aime ce que tes enfants aiment! »

Et comme l’amour est aussi difficile à décrire que le temps, ne vaut-il pas mieux embrasser simplement nos êtres chers comme si nous les rencontrions pour la dernière fois?

11 février 2011

Les génies, Roger Rabbit et le sens de la vie


Nous sommes entourés de génies.

Pas une journée où je lis une nouvelle manière d’aborder les choses, de régler des problèmes pourtant de plus en plus complexes. Non seulement les génies pondent des idées à une vitesse folles, mais ils nous les restituent à chaque coup enrobées de feux d’artifice, pour que nous comprenions sans l’ombre d’un doute que nous sommes en présence de merveilles. Dussions-nous les adopter sans questionnement, nous serions comblés…

J’entends haut et fort des « il faut faire ceci », des « nous devons faire cela », et le tour est joué. Pourquoi ça n’avance pas? Il n’y a rien qui se fait! C’est pourtant l’évidence!

Tout le monde a sa petite idée sur ce qui ne va pas, et la partage.

Nous disions autrefois que la majorité était silencieuse. Maintenant n’est-elle pas devenue criarde au point que le bruit émis nous transperce les oreilles?

Je me souviens, au bureau, quand je me suis perdu dans ce désert de sécheresse dépourvu de vie, il y en avait que pour les directives, les procédures, les règlements, les politiques. Comme si chaque gestes, paroles, idées devaient être codifiés pour être sûr que la machine fonctionne.

Il y a un monde de gestion qui donne des sueurs froides. Il y a un monde où la raison prend des airs de tyran, où l’organisation a préséance sur tout, en particulier l’être humain, ce monstre d’improvisation et d’imprévisibilité.

"Nous sommes pourvus à satiété de préceptes, de conseils, de suggestions collectives, de slogans et d’idéologies, nous rappelle Jung. Cela vaut peut-être la peine de réaliser pour une fois notre propre nature en dehors de toute contrainte, assumant la pleine responsabilité de notre manière d’être. D’un autre côté, je serais pleinement ouvert aux influences et pressions venant de l’extérieur si elles étaient positives et créatrices. Ce n’est pas le cas, rarement le cas."

J’adopte la position de résistant. Même si j’ignore beaucoup de la vie, que j’ignore tant, en fait, que je ne parviens pas à comprendre pourquoi toute cette frénésie de contrôle et de destruction n’arrive pas à m’influencer négativement.

Si, au contraire je le sais fort bien. Il y a une chose qui me protège. Je suis comme Roger Rabbit qui ne peut s’empêcher de répondre à une suite de toc, toc toc toc, toc.

Il n’y a que l’émerveillement qui peut nous sauver.

      

8 février 2011

L'Église du grand Brouhaha


« Révolution : on doit changer le système! » Ces mots étaient gravés au stylo bleu dans le bois du pupitre devant moi. Avant que le cours commence, j’écris ceci : « Pour le remplacer par quoi? » La semaine suivante, je lis : « Pas d’importance, il faut d’abord faire la révolution. »

Durant les années 70, à l’université, ce genre de propos était monnaie courante. Tous les jeunes voulaient changer la vie. Mais c’est gros la vie, difficile à déplacer. Solution : on efface tout et on recommence.

Révolution, apocalypse, catastrophes appréhendées ont pour fondement l’incompréhension et la peur. Le jugement est alors tranchant, la nuance fout le camp. Il y a le bien ou mal, le bon ou le méchant…

Selon Lorenzo DiTommaso*, professeur de religion à l’université Concordia, la croyance en l’apocalypse (toxique, selon lui) se fond sur deux concepts : « Une dichotomie entre le bien et le mal, et l’idée que le monde dans lequel nous vivons est si dégénérée qu’il faut le supprimer pour qu’advienne un monde meilleur. »

Cette idée défie le temps. On la retrouve dans la bible, durant l’antiquité, mais elle ressurgit très fort de nos jours et gagne en influence. Selon DiTommaso, elle se retrouve dans les sectes, le fondamentalisme chrétien et islamiste, mais aussi dans la culture avec les récits de fin du monde, les films catastrophes (2012), dans les jeux vidéo et depuis peu l’environnement. Maintenant que la vérité est verte, une lumière rouge s’est allumée et plusieurs spécialistes prédisent tout bonnement l’extinction de l’espèce humaine si rien n’est fait.

« On attend que la réponse aux problèmes vienne d'un monde transcendant, formellement ou concrètement : Dieu, le messie, Obama ou encore les forces de l'histoire du marxisme », conclut DiTomasso.

Un texte de Josée Blanchette dans le Devoir du 4 février 2011 nous parle d’un film qu’elle a visionné dernièrement, Zeitgeist** : Moving forward. Ce film décrit notre système social et économique (le monde de la finance). Le verdict?  Nous courons à notre propre perte, le système est cancérigène. La solution proposée? Une révolution, bien sûr.

Je suis mal à l’aise avec ces idées absolues. J’y vois une démission pure et simple dans son enrobage de pessimisme, j’y vois de l’immaturité et de l’infantilisme. Le tout ou rien, le crois ou meurs tranchent dans les questions difficiles et finissent par ternir notre vision des choses. Puisqu’il n’y a rien à comprendre, on finit par s’enfermer dans le je-m'en-foutisme, on propage des canulars, on invente des rumeurs et tout se dit avec une égale valeur. D’aucuns, boudeurs de naissance, prédisent que nous courons vers une fin assurée car personne ne les écoute et ne répond à leurs avertissements.

Nous nous attendons au pire puisque l’angoisse nous ronge devant tant de malheurs, d’incertitudes et de problèmes à résoudre. Je sens comme une envie de suicide collectif, à l’image de certaines sectes bien connues qui ont déjà passé à l’acte.

Je suis un optimiste en pleurs (ou un pessimiste souriant?). J’ai confiance envers une intelligence de l’intention, une intelligence qui se veut humble, mais qui ne baisse pas les bras. L’évolution se fait toujours dans la lenteur, avec ses multiples essais et erreurs.

Et puis l’impuissance n’a pas d’avenir et les marchands de peurs finissent toujours en faillite.


** Le Zeitgeist est un terme allemand signifiant « l’esprit du temps », utilisé notamment dans la philosophie de l’histoire. Il a été théorisé par Hegel et Heidegger. Il dénote le climat intellectuel ou culturel d’une époque. Wikipédia

4 février 2011

L'art d'en dire peu


Les réseaux sociaux ont la cote. Le 4 février 2011, Facebook fête son 7e anniversaire avec plus de 350 millions d’utilisateurs répartis un peu partout dans le monde. Twitter n’est pas en reste, ayant franchi lui aussi le cap des 100 millions d’utilisateurs en 2010. Il y a aussi FlickR, fondé en 2004, qui regroupe un nombre croissant de photos à partager, par millions encore. Ce sont les principaux réseaux. Il y en a bien d’autres, moins connus. Et c’est sans compter les multiples forums de discussion en ligne où se rejoint une foule de gens avec intérêts communs. De même que des blogues à l’infini…

Il n’y a pas à dire, nous communiquons!

On se cherche, on s’écrit, on se manifeste, on s’exprime, on échange, on s’expose, on partage, on badine, on baratine, sur tous les tons, de toutes les manières.

Or, les réseaux ne sont pas sans créer certains problèmes.

Dans le journal le Devoir du 30-01-2011, le chroniqueur Fabien Deglise fait mention de trois employés d’une entreprise française qui ont été licenciés après avoir dénigré leur employeur sur Facebook. Il indique aussi que l’armée de terre américaine a lancé un manuel d’utilisation afin que leurs soldats ne deviennent pas des cibles potentielles. Certains appareils de géolocalisation semblent être la nouvelle tendance et sont enchâssés à même les réseaux pour signaler notre présence à tel ou tel endroits. Suffit de faire un « check-in » et le tour est joué, tous nos amis sur Facebook ou Tweeter savent où nous sommes, en temps réel. On comprend les réticences de l’armée…

Les réseaux sociaux ne manquent pas d’intérêt, ni de stimulants et de gratifications. Je m’interroge toutefois sur ce tsunami de données personnelles que plusieurs exposent sans pudeur à propos d’eux-mêmes. Affirmer sa présence  n’a rien de négatif, loin de là, mais lorsque notre égo personnel cherche à tout prix à se distinguer dans notre monde de spectacle, les excès prennent vite le dessus et finissent par se substituer à la « vraie vie ». La surenchère s’organise, promesse de dérapages garantis.     

Se mettre à nu lorsqu’on est laid, c’est s’exposer au ridicule. Il en va de même pour un égo plein de bourrelets ou d’excroissances peu ragoutantes.

Je préconise plutôt l’effacement serein. L’art d’en dire peu, de manière imprévisible. Je prône le « non faire », la démarche insolite, l’effacement de son histoire personnel, non pas dans le but de choquer ou de jouer au plus fin, mais simplement pour se soustraire à la tyrannie du plus grand nombre, à son regard suspicieux et inquisiteur.

Je préconise la liberté, loin du bruit, et la beauté de l’être qui s’exprime tout en nuances. 

2 février 2011

"C'est ça qui est ça!"


Lucien Jerphagnon ose titrer son excellent livre que je viens de terminer : « Les dieux ne sont jamais loin ». Il a bien raison.

M. Jerphagnon est docteur en philosophie et en psychologie. C'est aussi un homme qui écrit avec beaucoup de simplicité et d’humour, dans un style familier, ce qui, forcément, le rend très sympathique.

Il prend le recul de l’historien sur le thème de la mythologie et ce recul lui sied bien, car il le met en parallèle avec la naissance de la Raison toute puissante et son évolution jusqu’à nos jours avec beaucoup d’acuité.

Si nous pensons avoir évacué une fois pour toutes les dieux par la raison et la science, il nous met en garde. Ce n’est pas encore fait, loin de là. Il y a des questions qui sont insistantes : « Pourquoi diable y a-t-il quelque chose plutôt que rien »? Il s’étonne aussi comme Chateaubriand qu’il cite : « Tout le monde regarde ce que je regarde, mais personne ne voit ce que je vois. »

Mais je retiens surtout ce passage dans l’avant-dernier chapitre où il raconte cette expérience à l’âge de quatre ans qui a marqué sa vie de chercheur.

« Tout s’était passé dans un parc en un instant. C’est dans un absolu de verdure bruissante de vent qu’un gamin de quatre ans, jouant tout seul, découvrit ce qu’il ne s’attendait pas à voir : les choses étaient là et lui avec. Au bout d’une ficèle, je revois un jouet à roulette qu’encore innocent j’avais traîné jusque-là, sans savoir que ce petit camion façon 1925 allait devenir l’instant d’après, comme les arbres tout là-haut, comme l’herbe verte par terre, comme moi, une partie d’une énorme coulée de présence! Car d’un coup, tout s’était mis à être là, comme apporté par une marée, par un flux incessant et qui venait de loin, de si loin… Bien plus tard, j’ai su me dire que cela procédait du fond de l’éternité, mais que c’était là, façon de parler, sans plus, puisque l’éternité, précisément, n’a pas de fond. Sur le moment, bien sûr, rien : je restais interdit. Tout cela m’avais envahi d’un coup et comme gavé de présence, d’une présence à jamais insolite. Quand peu après j’ai bafouillé une question avec ce que je trouvais de mots : « Pourquoi c’est là, tout ça? », j’ai bien lu l’inquiétude de mes parents. L’excès de ma question avait embrumé leur réponse : depuis, je l’ai perdue, mais pas leur regard, celui qu’ils avaient quand « je couvais quelque chose ». Ainsi, l’omniscience des grands avait une limite? C’est alors que j’ai su que je ne saurais jamais et que je chercherais quand même. Je ne pouvais plus regagner le pays des évidences tranquilles, où “c’est comme ça parce que c’est comme ça, et d’ailleurs c’est très bien comme ça”. (…) La question que je posais était au-delà de toute question et de toute réponse. C’était malin! J’étais bien avancé. » 

Donner voix à son étonnement


« Pourquoi ne trouves-tu jamais aucun écrit sur cette pensée particulière dont tu parles, sur ta fascination pour une chose que personne d’autre ne comprend? Parce que c’est à toi de jouer. Voici une chose que tu trouves intéressante, pour une raison difficile à expliquer. C’est difficile à expliquer parce que tu ne l’as jamais lu sur aucune page; voilà par où commencer. Tu as été créé en ce monde pour donner voix à cela, à ton propre étonnement. »

Annie Dillard, En vivant, en écrivant.