2 février 2011

"C'est ça qui est ça!"


Lucien Jerphagnon ose titrer son excellent livre que je viens de terminer : « Les dieux ne sont jamais loin ». Il a bien raison.

M. Jerphagnon est docteur en philosophie et en psychologie. C'est aussi un homme qui écrit avec beaucoup de simplicité et d’humour, dans un style familier, ce qui, forcément, le rend très sympathique.

Il prend le recul de l’historien sur le thème de la mythologie et ce recul lui sied bien, car il le met en parallèle avec la naissance de la Raison toute puissante et son évolution jusqu’à nos jours avec beaucoup d’acuité.

Si nous pensons avoir évacué une fois pour toutes les dieux par la raison et la science, il nous met en garde. Ce n’est pas encore fait, loin de là. Il y a des questions qui sont insistantes : « Pourquoi diable y a-t-il quelque chose plutôt que rien »? Il s’étonne aussi comme Chateaubriand qu’il cite : « Tout le monde regarde ce que je regarde, mais personne ne voit ce que je vois. »

Mais je retiens surtout ce passage dans l’avant-dernier chapitre où il raconte cette expérience à l’âge de quatre ans qui a marqué sa vie de chercheur.

« Tout s’était passé dans un parc en un instant. C’est dans un absolu de verdure bruissante de vent qu’un gamin de quatre ans, jouant tout seul, découvrit ce qu’il ne s’attendait pas à voir : les choses étaient là et lui avec. Au bout d’une ficèle, je revois un jouet à roulette qu’encore innocent j’avais traîné jusque-là, sans savoir que ce petit camion façon 1925 allait devenir l’instant d’après, comme les arbres tout là-haut, comme l’herbe verte par terre, comme moi, une partie d’une énorme coulée de présence! Car d’un coup, tout s’était mis à être là, comme apporté par une marée, par un flux incessant et qui venait de loin, de si loin… Bien plus tard, j’ai su me dire que cela procédait du fond de l’éternité, mais que c’était là, façon de parler, sans plus, puisque l’éternité, précisément, n’a pas de fond. Sur le moment, bien sûr, rien : je restais interdit. Tout cela m’avais envahi d’un coup et comme gavé de présence, d’une présence à jamais insolite. Quand peu après j’ai bafouillé une question avec ce que je trouvais de mots : « Pourquoi c’est là, tout ça? », j’ai bien lu l’inquiétude de mes parents. L’excès de ma question avait embrumé leur réponse : depuis, je l’ai perdue, mais pas leur regard, celui qu’ils avaient quand « je couvais quelque chose ». Ainsi, l’omniscience des grands avait une limite? C’est alors que j’ai su que je ne saurais jamais et que je chercherais quand même. Je ne pouvais plus regagner le pays des évidences tranquilles, où “c’est comme ça parce que c’est comme ça, et d’ailleurs c’est très bien comme ça”. (…) La question que je posais était au-delà de toute question et de toute réponse. C’était malin! J’étais bien avancé. » 

1 commentaire:

  1. Que ce soit à un feu rouge ~ dans la file d'attente du supermarché ou sur un banc de parc, je n'aurai plus cette sensation de perdre mon temps puisque mes pensées seront portées vers cette réflexion:
    Pourquoi c'est là tout ça?
    ta compagne de vie.

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