28 novembre 2012

La jouer filou ou la jouer fairplay?

À la radio, une émission avec des spécialistes se penche sur la question de l’honnêteté dans notre vie de tous les jours. On fait grand cas d’institutions, politiciens et entrepreneurs qui se font une spécialité de déjouer le système pour encaisser plus gros. Mais qu’en est-il de nous, simples individus et citoyens? Une lettre est lue en onde. Une personne raconte avoir tellement été volée dans sa vie qu’elle n’a plus honte, à son tour, de piger dans le sac et se permettre des petites malhonnêtetés personnelles.

Je me souviens d’une discussion autour d’une machine à café au bureau. Souvent les gens oubliaient leur petit change, dix cents, vingt-cinq et même cinquante cents après la prise de leur boisson matinale. Les suivants ramassaient le magot ou le laissaient sur place. Un collègue me raconta qu’il prenait toujours l’argent en précisant que « de toute façon ce n’est pas payant être honnête… »

Être honnête doit-il vraiment être payant?

Il y a l’idée que nous devons empocher à tout prix pendant que l’occasion se présente, l’idée aussi qu’il est permis de tricher parce que tout le monde le fait et pour se montrer plus fin et plus rusé que les autres. Un bon petit Bougon quoi. S’il y a un gain à faire, on se pose pas de questions, la fin justifiant tous les moyens. Et puis il y a le « thrill » de ne pas se faire prendre.

En deux occasions j’ai assisté à des exemples d’adultes qui prêchèrent les « bonnes manières » à des enfants dans le sport. Pour devenir des filous de première et s’en tirer plus tard avec les honneurs, il faut commencer jeune à s’exercer.

J’ai été entraîneur au soccer pour des jeunes de 8 et 9 ans. À ce niveau d’âge, la partie dure un temps maximum, pas une seconde de plus. Quand le ballon sort des lignes de jeu, on le récupère le plus rapidement possible et on recommence pour ne pas perdre de temps. Jouer fairplay, c’est de ne pas faire exprès pour expédier le ballon très loin hors des lignes lorsque le pointage nous avantage et qu’il ne reste que quelques minutes à jouer. Un petit stratège qu’un entraîneur adverse employa tout de même contre mon équipe lorsque nous perdions dans un match. Je l’ai vu dire à un de ses jeunes de botter carrément le ballon en dehors des lignes en fin de partie pour gagner plus facilement. Un bel exemple à donner, ce que je ne me suis pas privé de lui dire en fin de rencontre, sans lui serrer la main ni le féliciter.

Pour le baseball même principe, la durée de la partie est limitée. Cette fois-ci, l’instructeur en défaut était celui de mon fils alors âgé de 11 ans. Nous avions l’avantage dans la partie et il eut la pas très subtile idée de demander à un jeune de faire semblant de rattacher ses lacets de souliers et gagner du temps avant de prendre position au bâton. Mon amour pour le sport organisé a pris fin cette journée-là. Ce genre d’attitude m’a toujours dégoûté. Et, par ricochet, enseigner aux jeunes à tricher a de quoi me laisser perplexe, faut-il le préciser.

Gagner à tout prix, voir à court terme, empocher le plus possible quand la manne passe sans se soucier des conséquences, est-ce bien la tendance actuelle?

Si le propre de l’humain en société est d’agir par mimétisme uniquement, je ne donne pas cher de sa peau. Je ne crois pas qu’il y a beaucoup d’avenir dans le « tout le monde le fait, pourquoi pas moi ».

26 novembre 2012

Opinion

"Une règle d'or : on ne doit point juger les hommes d'après leurs opinions, mais selon ce que leurs opinions font d'eux." 
G.C. Lichtenberg 

Gauche, droite, gauche, droite. Présentez armes!


La bipolarisation dans les débats a encore beaucoup d’avenir. Nous l’avons constaté dans le psychodrame engendré ce printemps par la demande des hausses des frais de scolarité au niveau universitaire au Québec.

L’être humain a le génie pour les divisions primaires, entre les pour et les contre, les bons et les mauvais, les oui et les non, les croyants et les non-croyants. Il faut prendre parti et ce parti doit être absolu. Il n’y a pas de place au doute et à l’hésitation. Tout se voit relégué à un degré d’évidences à admettre, en raison de quoi le simple bon sens devient dogme, la moindre opinion un enseignement.    
Dorénavant le chic c’est d’être de gauche ou de droite. En Europe, particulièrement en France, tout ça fait partie des mœurs sinon des meubles depuis longtemps.

Chez nous, c’est un fait nouveau. Nous avions le nationalisme versus le fédéralisme, le français contre l’anglais, le Québec contre le reste du Canada. Nous venons de basculer dans les ligues majeures, comme en Europe, comme aux États-Unis. Nous entrons dans le grand monde. Est-ce une évolution?

Comment me situer?  

Je serais de gauche si ce n’était de l’extrême gauche. Je serais de droite si ce n’était de l’extrême droite. Et puis je me pose cette grave question : la gauche ou la droite sans idéologie, est-ce le centre?

Ou suis-je dans ce monde docteur? Comment me positionner en toute liberté et en toute sérénité sans craindre les « IMPITOYABLES D »?

D pour démolition.
D pour dénigrement.
D pour dévalorisation.
D pour déni.
D pour damnation.
D pour décrier.
D pour déblatérer.
D pour dramatiser.
D débordement.
D pour domination.
D pour dogmatisme.
D pour démission.
D pour démoraliser.
D pour débagouler (vomir, proférer une suite de paroles souvent désagréables).
D pour dénonciation.
D pour débrider.

Suis-je normal si je m’en tiens qu’aux deux pitoyables?

Se tenir Debout, dans le Doute.

8 novembre 2012

Sans peur

À l’été de mes quatorze ans, j’ai cessé d’avoir peur.

Je travaillais comme moniteur dans un terrain de jeux près de chez moi, à cinq dollars la semaine, durant les vacances. Un jour, ma mère vint m’annoncer : « Rentre à la maison et fait ta valise, on va te reconduire dans un camp sur l’Île d’Orléans. » À cet âge-là, durant les années soixante, on se posait pas de questions, on exécutait. Je quittai la maison sans rien dire et rejoignis une centaine d’autres jeunes dans des baraquements pour une sorte de happening religieux et musical. J’étais en compagnie de deux confrères de classe. J’appris plus tard que le collège où j’étudiais avait payé les frais. Pourquoi? Pensait-on que j’avais une fibre religieuse particulière?

Je n’ai jamais été à l’aise dans un groupe. Mon séjour fut donc assez pénible, sauf pendant que nous chantions. Et il y avait les filles…

C’est au retour que le phénomène s’est produit. Mon humeur changea. Mon comportement aussi. C’est comme si tous les fardeaux du monde avaient disparu, toutes les peurs aussi. Je souriais béatement à mon entourage, les soucis envolés. Durant deux jours au moins. Puis le naturel revint avec ma timidité, l’inquiétude, les préoccupations… et les boutons d’acné.

Que s’était-il passé? J’ai longtemps désiré revivre cet épisode de calme et de paix intérieure absolu. Mais peine perdue, sauf durant de courts moments de grâce ou d’exaltation. L’épisode a été aussi soudain qu’inattendu, et sans reprises. Était-ce à cause de l’éloignement de mes repères habituels, de cette semaine au camp transformée en une sorte de rite de passage? L’esprit scientifique qui règne en maître de nos jours dirait que c’est une banale histoire de sécrétions hormonales, sans plus. Peut-être bien. Mais pourquoi, deux jours seulement? Et si c’est juste une question d’hormones, trouvez-moi la recette docteur? J’en veux plus!

J’ai souvent réfléchi sur cet état de conscience affranchi de toute peur. L’absence de peur transforme l’être d’une manière si totale qu’elle le laisse ébahi. Cet état serait-il souhaitable alors? Devant les vicissitudes de la vie, ne serait-il pas dangereux de sombrer dans une sorte de léthargie ou de passivité engendrées par le vide laissé de la disparition de l’émotion? Je ne le crois pas. Selon mon souvenir, je ne me suis jamais senti avec autant d’allant durant mes deux jours de « sevrage ». Je me sentais d’attaque à faire face à n’importe quelle situation.

La peur est une émotion puissante. Puissante et envahissante. Elle se décline dans des teintes qui nous la font expérimenter de multiples manières, à tel point que nous avons fini par la croire naturelle ou comme une condition inhérente à notre culture dite d’abondance. Nous avons peur de perdre. De perdre notre travail, la santé, l’amour des autres, nos privilèges, notre aisance matérielle.

La peur se transforme. N’est-il pas amusant de la voir se pavaner en compagnie de ses petites sœurs jumelles : inquiétude et insécurité? Ou bras dessus, bras dessous en compagnie de ses vieilles tantes : angoisse et anxiété? N’est-il pas paradoxal que du fait d’avoir tant nous sommes si mal à l’aise, au point de faire de la consommation d’antidépresseurs et d’anxiolytiques la pierre d’assise de notre bonheur factice?   

La peur est-elle nécessaire? Sinon, comment s’en débarrasser?

La réponse serait-elle cachée dans ce qui pourrait la remplacer d’une manière aussi puissante et envahissante? La nature a horreur du vide, nous le savons.

Quelle est cette réponse?

4 novembre 2012

Lumière et ténèbres


« Tant que nous ne concevons pas que les choses pourraient ne pas être, nous ne pouvons concevoir qu’elles soient. Tant que nous n’avons pas vu l’arrière-plan des ténèbres, nous ne pouvons admirer la lumière comme une chose unique et créée. Dès que nous avons vu ces ténèbres, toute lumière est claire, soudaine, aveuglante et divine »

Chesterton, cité par Thomas de Koninck dans le livre De la dignité humaine.

3 novembre 2012

Jordi Savall – connaissance et liberté


« J’ai toujours répété à mes élèves que pour être un bon musicien, il faut connaître le plus possible. La connaissance nous fait libres et, quand nous sommes libres, nous pouvons trouver le bonheur. Sans liberté, pas de bonheur, et sans connaissance, pas de liberté. Ce sont des choses simples, mais essentielles. Un musicien très doué n’arrivera à rien s’il ne l’applique pas à connaître la musique, son histoire, ses techniques. C’est la connaissance qui nous donne la possibilité de choisir. L’homme libre est celui qui peut choisir. L’ignorant croit à une seule vérité absolue. Il ne peut pas penser par lui-même. Ça donne le fanatisme, qui peut, dans certains cas, déboucher sur le terrorisme. »  

Jordi Savall. Extrait d’une entrevue pour le journal Le Soleil, le 3 novembre 2012.

2 novembre 2012

Tac-tics

J’ai un tic, une manie disons : me sentir le nez. J’accomplis l’exploit pour réfléchir, lire, me recueillir et écrire. Précision : je me taponne et triture le bout du nez avec le bout de l’index et le pouce. Ce bout à bout déclenche alors une réaction chimique complexe et des effluves se précipitent en un lieu secret de mon lobe frontal. Juste au bon endroit, là où ça compte…

J’apprécie une odeur délicate, tout en finesse, mais aussi un relent capiteux qui bouscule et enivre. Autour de moi cependant, il doit régner un silence olfactif, chose de plus en plus rare de nos jours. Partout ça pue le parfum et les odeurs fabriquées. C’est à ce moment que mon système limbique prend le dessus. Je déguerpis…

Parfois un reste de molécules s’acharne à maculer mes doigts. Tâter de la fraise, du citron et même l’ail, pour ne nommer que ces nourritures, laisse une empreinte qui ne va pas sans me ravir et me transporter en des lieux insoupçonnés. J’évite alors de me frotter trop fort en me lavant les mains afin de ne pas me débarrasser complètement de ces arômes imprégnés.

Si vous me voyez avec deux doigts sollicitant mon appendice nasal, prenez note de ne pas me déranger. Je suis dans un autre état, un espace du tic, un lieu mythique, un royaume barricadé à double tour. Il y a une frontière dont je suis le seul à pouvoir franchir…

J’ai une autre manie, une sorte de rituel. C’est un moment d’évasion. La surprise, c’est que je ne suis pas le seul à l’utiliser. J’ai vu dernièrement un film fort intéressant sur l’écrivain portugais José Saramago. On le voit octogénaire à la maison puis dans de nombreuses sorties après la réception de son Nobel de littérature. Une séquence en particulier fait sourire. Saramago est assis à son bureau devant son portable. On le perçoit de côté, en plan rapproché. Il se fait craquer les doigts, bouge la souris de l’ordinateur, se met au travail et s’apprête à pondre des lignes de son nouveau roman. Du moins, c’est ce qu’on croit. Le plan suivant nous montre l’image sur l’ordinateur. Nous apercevons un jeu de cartes, il joue au « solitaire »!  

Moi aussi je joue au solitaire. Pour espérer l’éclosion d’une inspiration soudaine, chercher sans chercher, attirer le gros poisson. Voilà mon rituel.

Patience, patience. Tactiques saugrenues, tout est bon.