28 septembre 2009

Ce serait bête...

Que tout est calme tout à coup !
Le bruit a fini de casser la baraque
Et le silence a repris sa place.
Ce serait bête de sortir en ville...

Je m'assois dans le fauteuil
Près de la porte du salon
Et je prie alors
Que la nuit s'éternise à jamais.

Est-ce bien cela la paix ?
Un peu de repos,
Un simple arrêt
Et que rien ne bouge ?

Je pourrais entendre le vent
À mille lieues d'ici,
Et mon esprit faire le tour de la terre
Accompagné du silence.

Libre, je suis libre !
Mais une question demeure :
Puis-je seulement aimer la vie
Quand le jour apporte la tourmente ?

Ce serait bête d'aller en ville
Quand la douceur de la nuit
Laisse place enfin
À l'éloquence muette de l'âme.

25 septembre 2009

Ingrid Betancourt et l'humilité dans le changement


De passage à Québec, Ingrid Betancourt a livré un message important et quelque peu inattendu, de la part d'une politicienne, à propos de son expérience fort médiatisée d'otage maintenant libéré. Faut dire que sa détention de plus de six ans dans la jungle aux mains de la FARC est tout à fait singulière et mérite attention. Être privé de sa liberté et de sa dignité de façon arbitraire doit s'avérer un enfer à jamais souhaiter même à son pire ennemi...

Cependant, Mme Betancourt a été écorchée depuis sa libération et son image en a pris un coup. Et l'image pour une personnalité publique, c'est sacré. Pourtant...

"Je suis convaincu, a-t'elle dit, qu'il faut commencer par changer soi-même pour changer le monde. Et la première chose qu'il faut changer, c'est la dureté de notre coeur."

Elle rajoute ceci, à noter en fluo :"J'ai vu beaucoup de choses difficiles dans la jungle. J'ai vu la haine, l'égoïsme, l'envie, la couardise. Je ne l'ai pas vu chez les autres. JE L'AI VU EN MOI. J'ai vécu des situations extrêmes, donc j'ai eu la possibilité de me regarder intimement. Il y a des choses que je n'ai pas aimé en moi. Et que je ne nierai pas en plus." Le journal Le Soleil 24 septembre 2009

Sûrement la déclaration la plus révolutionnaire d'une personnalité publique.

23 septembre 2009

Le cerveau malléable

Parlons cerveau entre amis et c’est fou comme notre première idée sera d’abord d’émettre des commentaires sur sa grosseur ou sa petitesse. L’organe noble par excellence se laisse approcher non sans un certain embarras, car, après tout, n’est-il pas le siège de l’intelligence? Et évidemment nous aimons jouer de comparaison, douter de celle de l’autre, mais jamais de la sienne, il va de soi…

Les dernières recherches en neuroscience sont étonnantes. Étonnantes par leurs trouvailles, car ils remettent en question certaines théories qui avaient, somme toute, valeur de dogmes. Une de celles-ci était que le cerveau comporte telles fonctions situées à tel endroit et pas ailleurs. Une autre, encore plus largement admise, stipulait que nos neurones disparaissent en quantité industrielle en vieillissant et qu’ils ne sont jamais remplacés. Perdus pour toujours, ils entraînent une diminution irréversible de nos facultés intellectuelles sans qu’il soit possible d’y remédier.

Mais voilà qu’il serait dorénavant permis d’en douter. Et si vous doutez de ce doute, je vous propose la lecture de quelques livres qui nous parlent de « neuroplasticité » du cerveau. Ce dernier serait beaucoup plus malléable qu’on le croit. Il peut changer et se transformer par lui-même. Il serait capable de se réparer et compenser certaines déficiences. Finalement, il pourrait s’améliorer même en vieillissant.

Donc suggestions : Voyage au-delà de mon cerveau du Dr Jill Bolte Taylor, Ed. JC Lattès. Cette femme est neuroanatomiste et a elle-même subi un accident vasculaire cérébral. Elle raconte son expérience de guérison ainsi que son étonnement face aux possibilités ahurissantes du cerveau droit.

Je propose ensuite le livre de Norman Doidge, psychiatre et psychanalyste, Les étonnants pouvoirs de transformation du cerveau. Ed. Belfond. Dans la préface de ce livre, voici ce que dit Michel Cymes, médecin spécialiste français : « La neuroplasticité offre également de l’espoir à tous ceux qui veulent changer leurs mauvaises habitudes. Car concrètement, ces changements de connexions veulent dire que le cerveau est capable de désapprendre ce qu’il a “imprimé ” et mis en place. Le cerveau répond à un principe, “use it or lose it” — et c’est une découverte récente. Cela signifie qu’un réseau de neurones qui n’est plus utilisé est perdu. Autrement dit, si on sollicite davantage d’émotions positives, celles-ci vont peu à peu remplacer les sentiments négatifs, qui tendront à disparaître. Par exemple, plus on s’efforce de ne pas être de mauvaise humeur le matin en se levant, moins on le sera. »

Intéressant, non?

22 septembre 2009

Lettre à un jeune intellectuel (de gauche, il va sans dire)

Je t'avoue que je ne suis pas à l'aise de t'écrire. Je le fais malgré tout, sachant bien qu'un grand souffle inquisiteur se pointe déjà sur ces quelques lignes et que tu te raidis d'emblée à la venue de ce qui pourtant ne se veut que propos inoffensifs et sans méchanceté. Loin de moi de prétendre aussi te convertir à quelque approche que ce soit et je t'écris, espérons-le, avec assez de doigté pour que tu me lises jusqu'à la fin.

Je te sais inflexible, car tu ne doute pas de la justesse de ta vision des choses. Tu veux le bien pour tous. Tu veux l'égalité, la solidarité, le partage, la justice, la paix et qu'il fasse bon vivre enfin sur cette terre que nous foulons ensemble. Comment s'opposer à cet étalage de vertus et de souhaits rempli à ras bord de bonnes intentions? J'ose dire, comment s'opposer au paradis? C'est une vision des choses idéale, impeccable, sans faille, il faut l'avouer...

Me tromperais-je si j'affirme toutefois que tu vis seulement dans l'espérance? Et que plus le temps avance plus tu deviens impatient et tu exiges, et par conséquent plus tu deviens inflexible aussi, car tu constates avec moi que ton idéal est bafoué constamment. Je sais que tu sens une absence de contrôle, je sais que tu te sens impuissant. Je sais que tu rêves d'un pouvoir qui te permettrait enfin d'imposer ta volonté.

Tu n'oses le penser, encore moins le dire, mais je sais que tu aimerais dicter ta loi. Tu rêves, à tout le moins, que tout le monde pense un jour comme toi, que tout irait tellement mieux si tout le monde pensait comme toi.

Donc tu espères. Car la violence ne t'habite pas nécessairement. Peut-être espères-tu, à tout le moins, une sorte de révolution (tranquille?); ou encore un Deus ex machina qui viendrait mettre de l'ordre dans un bordel qui te fait tant horreur?

Le monde t'offense. Les inégalités t'offensent et tu t'indignes d'autant plus que tu as l'impression que personne ne te prend au sérieux. Tu vois des gens vaquer à leurs occupations et tu t'offusques au fait qu'ils ne pensent qu'à eux. Tu les traites d'individualistes, d'inconscients et tu finis par les mépriser, car tu crois qu'ils vont obligatoirement vers un mur sur lequel ils se fracasseront un jour, faute de l'avoir envisagé. Tu appréhendes donc une série de catastrophes. Tu vois des complots partout, et tu as envie de jouer au prophète de malheur, car personne ne t'écoute. Savais-tu que dans certaines sectes religieuses on pense exactement comme toi? Ils prédisent la fin du monde, car Dieu, selon leur dire, est offensé par le comportement des hommes. La terre ne peut plus continuer à tourner ainsi, car le mal est trop présent. On efface donc tout et seuls les "justes" seront récompensés au paradis, dans un autre monde. Plus terre-à-terre, toi tu affirmes : on efface tout et seuls les justes seront récompensés ici même en ce bas monde, dans ce nouveau paradis à venir.

Je ne doute pas du constat que tu fais. Ce monde est imparfait, plein d'incohérences, d'erreurs monumentales, de bigoteries, d'inégalités, d'injustices, de violence, de brutalité, d'insécurité, de haine. C'est ainsi depuis le tout commencement, en tout cas depuis que nous connaissons l'histoire du périple du genre humain. Et rien ne semble avoir changé... Si ça se trouve, nous devons même avouer que notre monde devient plus dur de jour en jour. Malgré tout le travail que nous y avons mis, malgré des religions millénaires et des sauveurs en qui nous croyons encore, malgré ces idéologies prometteuses et tous les systèmes politiques et économiques que nous avons inventés pour réguler le monde, nous affirmons toujours, avec raison, que tout va mal.

Je sais que tu ne me prendras jamais au sérieux et je sais que jamais tu ne me croiras. Peu importe. Je te dis quand même ce que j'en pense : le monde est ainsi fait, copie conforme de cette nature qui nous entoure. Nous devons l'accepter, faute de quoi notre manque de sagesse ne fera que l'empirer. Plus nous essayons d'apposer notre raison, promouvoir des idéologies, construire des structures en béton sur ce qui nous entoure, incluant le genre humain, plus nous créons le chaos.

Je sais aussi que ma déclaration suivante sera intolérable. Tu ne réussiras jamais à changer le monde en réagissant émotionnellement, avec colère, impatience et sans prendre du recul. Je rajouterai même que si tu persistes tu feras parti du problème sans le savoir, inconscient du malheur produit autour de toi. Pour quelqu'un qui se targue d'être conscientisé, avoue que cette dernière remarque constitue une gifle en plein visage!

Je comprends et accepte ta colère en me lisant. Je ne t'oblige pas à me croire et si tu m'envoies promener, je vais comprendre aussi. Sois certain, toutefois, que je n'essaie pas de jouer au plus fin avec toi. Je n'essaie pas de te convaincre. Sache surtout que je ne désire pas que tu baisses les bras. J'aimerais juste que tu considères que la partie n'est pas perdue si au moins tu donnes l'exemple sans chercher à changer la conscience des gens qui t'entourent.

Je voudrais juste que tu espères moins, mais que tu aimes plus.

L'amour ne se conjugue qu'au présent, là même où tu peux vraiment apporter quelque chose à la vie. L'espérance ne participe qu'à un futur hypothétique. Sois détaché du résultat. Tu ne réussiras jamais à sauver le monde.

S'il-te-plait, ne te crois pas un dieu!


À fleur d'eau



18 septembre 2009

La Trame

Je parle de la singulière barbarie des hommes pour ne pas oublier, par contraste, leur étonnante compassion quand les situations l'exigent.

Je parle de haine et de bêtise inqualifiables pour me libérer d'une souffrance qui me tenaille lorsque je vois avec quelle intelligence et quelle volonté nous participons à nous détruire et nous éliminer. Je n'y peux rien et cette douleur n'a de cesse de me vriller le coeur. J'aimerais alors embrasser d'un seul élan l'ensemble de ceux qui souffrent et leur dire avec la même ardeur que, même si elle demeure intolérable, leur situation ne peut durer éternellement (tout ce qui survient doit un jour disparaître), qu'il faut garder courage et, si possible, en trouver un sens.

Je songe aussi à ces quelques lignes de Rilke, que j'avais un jour notées soigneusement, tirées des Sonnets à Orphée :

Fil de soie tu entras dans la Trame.
Quel que soit l'image à laquelle intérieurement
tu es uni
(que ce soit même à un moment pris dans une vie
de tourment),
sens que c'est le tapis entier, le tapis glorieux,
qui est en jeu.


17 septembre 2009

Écrire et voir

"Écrire et voir, c'est pareil, et pour voir il faut la lumière. Le paradoxe, c'est qu'on peut trouver la lumière dans le noir de l'encre. C'est comme de la nuit sur la page, et c'est pourtant là-dedans qu'on voit clair."

Christian Bobin (La lumière du monde, p 24, Gallimard 2001)

Le monde à son image

"Tu ne changeras jamais les choses en combattant ce qui existe déjà. Pour changer les choses, construis un nouveau modèle qui rendra l'ancien obsolète." Buckminster Fuller

En faisant l'épicerie, mon regard tombe sur une revue populaire située près du comptoir au moment d'aller payer ma note. Sur la couverture, il y a une courte citation de Françoise David nous invitant à lire un article qui lui est consacré à l'intérieur des pages. La citation dit ceci :"Je n'arrêterai jamais de chialer pour que le monde aille mieux."

Ce qui a de remarquable dans cette déclaration à l'emporte pièce, c'est qu'elle entraîne tout un capital de sympathies envers son auteur, car, de prime abord, personne ne peut s'y objecter. En effet, nous sommes tous pour la vertu et pour une vie vécue dans un monde meilleur. Et puis nous nous disons :"Que voilà une femme de courage et de conviction ! Elle carbure à l'indignation, s'insurge et le déclare haut et fort à qui veut l'entendre."

Cependant, je flaire aussi que cette personne ne se voit pas en train de partager le même monde que ses semblables. Elle le trouve trop imparfait, trop plein de misère et d'inégalité. "Je ne peux m'identifier à lui, pourrait-elle dire, car je ne le vois ni le perçois à mon image de même qu'à mon idéal. J'espère mieux, j'espère bien mieux et il me fait honte."

Elle méprise le monde, car elle ne le trouve pas à la hauteur, à sa hauteur.

Cette attitude n'est pas nouvelle et on la retrouve chez bon nombre d'intellectuels ou politicien à la recherche de notoriété.

Elle fait elle-même partie du problème.

14 septembre 2009

Haïkus



"L'enfant joue
Sur la terre humide.
Ses doigts consultent la vie"


"Elle tend vers l'eau,
Lui, la montagne gracile.
À qui le désert ?"


"Dans le silence,
Un rire jaillit.
Un sage est né."


"Quelques plumes rouges
S'ébrouent dans l'arbre là.
Oiseaux ou lumière ?


"Sur la pomme,
Ses doigts rôdent.
La salive consent."


"Couleurs d'automne,
Aiguilles de pins,
Tango des sens"


Malheureux comme un prince



"Il n'est pas difficile d'être malheureux ou mécontent; il suffit de s'asseoir, comme fait un prince qui attend qu'on l'amuse." Alain

11 septembre 2009

À la manière d'Omar Khayyâm (Rubaiyat)



"Tu m'a montré l'étrange tournoiement de l'amour.
Et j'ai tout laissé.
Qu'arrive-t-il à ma vie ?
Je ne suis plus rien, mais je suis bien plus !" (G.Plante 2000)


"J'ai des histoires de voyage
Qu'on ose pas raconter.
Qui font la vie dure et la peine solide.
Qui font la peau vive et la terre sous nos pieds"

(Extrait tiré du livre:
Une traversée à l'estime publié aux Éditions des Forges 2001)
(Peinture: Océan no 43)

Par Agnès Riverin, poète, peintre : www.agnesriverin.com

10 septembre 2009

L'effet papillon


Dans les années soixante-dix, un chercheur en météorologie du M.I.T., Edward Lorenz, a mis en évidence ce qu'il a appelé "l'effet papillon". Il désirait montrer "qu'en dépit d'une accumulation de données précises, des causes insignifiantes et non perceptibles peuvent engendrer des conséquences imprévisibles. Ainsi, un battement d'aile de papillon au Brésil peut-il, quelques temps après, provoquer une tempête au Texas, se demande-t-il ?"

C'est beaucoup pour un simple battement d'aile. L'idée demeure évidemmment de bien nous faire comprendre le principe en cause. C'est aussi l'illustration de la théorie du "chaos".

Je me pose alors la question suivante. Est-il possible d'appliquer le même pricipe, c'est-à-dire une "sensibilité aux conditions initiales", quant aux actions et même aux pensées de l'être humain ?

Est-il possible même de trouver une réponse précise à ce sujet ?

Je veux cependant partager ce très beau conte trouvé dans l'inventaire d'Henri Gougaud et que je résume ici afin d'illustrer un état d'être engendrant des conséquences inattendues.

"Vers l'âge de vingt ans, Yunus Emré commença à parcourir les chemins du monde espérant trouver le maître qui le guiderait jusqu'à la vérité ultime. Après des années d'errance, il lui fut donné de rencontrer Taptuk dans un coin perdu du Turkestan. "

"Taptuk était aveugle. Lui aussi avait longtemps cheminé. Après bien des combats et des vicissitudes, il avait fini par se réfugier dans le désert pour construire une cabane, et bientôt d'autres chercheurs arrivèrent et le reconnurent comme leur maître. Avec le temps, un monastère s'érigea à la place de l'humble demeure."

"Quand Yunus parvint en ce lieu, Taptuk lui promit la vérité :"Elle te viendra peu à peu. Mais pour l'instant ton travail sera de balayer sept fois par jour la cour du monastère."

"Yunus obéit de bon coeur. Sept fois par jour, il balaya la cour. Une année passa, puis deux et trois. Il s'étonna alors que jamais personne ne lui adressa la parole. "Sans doute mon maître veut-il m'apprendre quelque chose, mais quoi, se dit-il." Un bon matin, il trouva :"Taptuk veut m'apprendre la patience !". Il jubila et se remit à balayer en chantonnant des mélodies qui lui venaient dans son coeur."

"Cinq années passèrent, puis cinq autres sans que ne change son sort. Alors, il désespéra :"Ne suis-je donc pour mon maître qu'un simple idiot recueilli par pitié et juste bon à chasser la poussière ?" Une nuit, après avoir longuement réfléchi, il lui vint l'idée que Taptuk voulait lui appprendre l'humilité et cette découverte l'apaisa de nouveau. Le lendemain, il reprit son ouvrage avec des gestes plus mesurés et, le coeur en paix, continua à fredonner des paroles qui lui venaient comme cela, avec bonheur, et qu'il laissait aller au gré des vents."

"Trois années encore il balaya la cour en fredonnant. Mais peu à peu sa confiance en Taptuk s'effrita, car personne encore ne l'écoutait ni lui parlait. Un soir, fatigué de cette existence, il décida de quitter ce lieu où il n'avait trouvé qu'amertume et mélancolie. Il marcha trois jours dans le désert, étant bientôt affamé et exténué. Il allait se résigner à la mort lorsqu'il aperçut au loin un campement. Il s'approcha. Il vit des hommes assis au seuil d'une tente et qui festoyaient en riant. Dès qu'ils aperçurent Yunus, ils l'invièrent à partager leurs provisions. Après avoir bien bu et bien mangé, Yunus osa enfin demander par quel miracle, dans ce désert, ils se trouvaient ainsi pourvus en nourriture si bonne et si abondante."

"Une voix nous a conduit ici, lui dirent-ils. Le vent, tous les jours, nous apporte du lointain les chants d'un saint inconnu. Il nous suffit de les écouter, de les chanter nous-mêmes. Aussitôt apparaissent devant nous tous ces mets succulents que vous voyez là."

"Yunus s'extasia et demada à ses compagnons s'ils ne pourraient pas lui apprendre ces chants nourriciers. Ils se mirent donc à chanter. Alors, Yunus bouleversé, entendit les chants qu'il avait lui-même fredonné en balayant si longtemps la cour du monastère. Ils étaient son oeuvre. Et sur l'intant, il comprit pour quel travail il était en ce monde. Il revint, honteux, à son monastère pour retrouver son maître qui l'accepta de nouveau après avoir tant pleuré le départ soudain du préféré de ses disciples."

"Il reprit son travail sans faillir un seul jour. Et ses chants s'élevèrent encore dans le ciel pour aller nourrir tous ces gens assez fortunés pour les entendre."


* Illustration de Mathieu Plante : www.mathieupdesign.com.

"Dans une galaxie près de chez-nous"


Le téléscope Hubble est de retour en affaire après avoir été remis à neuf au mois de mai.

9 septembre 2009

Heureux qui comme Alice...


"Telle une Alice à travers son miroir, j'aime franchir mille et une fois le seuil où s'opère la rencontre inoubliable du fini avec l'infini"

8 septembre 2009

Attraper le bonheur ?

« Si je mets dix hommes sur une île déserte, la loi d'attraction va les rassembler en deux groupes, et la loi d'opposition leur inspirer des idées absolument contraires sur la façon d'organiser l'île. Si un groupe pense “nord”, l'autre groupe, par réflexe immédiat, pensera “sud”. Et ils commenceront à ramasser des cailloux pour se convaincre réciproquement en se les envoyant sur la figure. Si un des deux groupes se montre plus fort et absorbe l'autre, une force d'opposition va naître en lui, grandir et le couper de nouveau en deux ou en plusieurs morceaux. C'est la loi!


Ce n'est pas cela qui fait le malheur des hommes. Ils pourraient entre l'attraction et l'opposition, trouver un équilibre et vivre en paix, comme le soleil et les planètes. Ce qui les rend malheureux, c'est le bonheur. L'idée qu'ils s'en font, et de besoin de l'attraper. Ils s'imaginent qu'ils sont malheureux aujourd'hui, mais qu'ils pourront être heureux demain, s'ils adoptent certaines formes d'organisation. Chaque groupe a une idée d'organisation différente. Non seulement il se l'impose à lui-même, à grande souffrance, mais il cherche à l'imposer à l'autre groupe, qui n'en veut absolument pas, et qui essaie au contraire de lui faire avaler de force sa propre cuisine.


Et chaque individu croit qu'il sera heureux demain, s'il est plus riche, plus considéré, plus aimé, s'il change de partenaire sexuel, de voiture, de cravate ou de soutien-gorge. Chacun, chacune attend de l'avenir des conditions meilleures, qui lui permettront, enfin, d'atteindre le bonheur. Cette conviction, cette attente, ou le combat que l'homme mène pour un bonheur futur l'empêchent d'être heureux aujourd'hui. Le bonheur de demain n'existe pas. Le bonheur, c'est tout de suite ou jamais. Ce n'est pas organiser, enrichir, dorer, capitonner la vie, mais savoir la goûter à tout instant. C'est la joie de vivre, quelles que soient
l'organisation et les circonstances. C'est la joie de boire l'univers par tous ses sens, de goûter, sentir, entendre, le soleil et la pluie, le vent et le sang, l'air dans les poumons, le sein dans la main, l'outil dans le poing, dans l'œil le ciel et la marguerite.


Si tu ne sais pas que tu es vivant, tout cela tourne autour de toi sans que tu y goûtes, la vie te traverse sans que tu ne retiennes rien des joies ininterrompues qu'elle t'offre. »


René Barjavel (Si j'étais Dieu..., p.66, Garnier)

4 septembre 2009

Ne pas s'en faire avec la vie


En entrant à l'improviste dans une librairie, je vis sur un présentoir le titre suivant : "Dieu aime celui qui ne s'en fait pas avec la vie". Le livre trônait au milieu de la place centrale, entouré de dizaines d'autres, les derniers arrivages.Mon attention bifurqua ailleurs.

Je continuai à rôder à travers les allées, sans but précis, seulement pour m'imprégner des formats, des couleurs et des sujets proposés.

Plus loin, un enfant assis par terre, une bande dessinée en équilibre sur ses jambes croisées. Il lisait. Il regardait des mots, des images, fasciné, complètement absorbé dans son activité. J'eus la conviction qu'il ne s'en faisait pas avec la vie. Il la consultait, plutôt. Il exerçait sa curiosité, s'abreuvait à une existence faite de textures innombrables, de lieux, de mots, de moments de grâce qu'il pouvait jouir en toute candeur et liberté.

L'ambiance feutrée faite de recueillement que l'on retrouve dans les librairies et les bibliothèques me rapproche de la condition humaine. Elle me rapproche de cet enfant qui plonge goulument son regard dans un océan d'inconnu. Elle me rapproche de l'amour des hommes, de leurs efforts pour comprendre leurs aventures mystérieuses, raconter des histoires, véhiculer leur sagesse et leur vulnérabilité. Cette ambiance me touche, car les livres ne disent pas mieux le courage qu'il faut pour approfondir l'existence, se l'approprier et l'exalter.

Je repense à ce titre "Dieu aime celui qui ne s'en fait pas avec la vie". L'affirmation me plaît, bien qu'elle me laisse perplexe. De quelle vie parle-t-on, au juste ? Quand je perçois tout ce concentré de misère qui englobe le simple nécessaire de millions d'individus, je me demande s'il est possible et même sain de penser ainsi. Mais si c'est Dieu qui le dit...

N'est-il pas sage de ne pas s'en faire avec la vie ?

C'est s'approprier un don, une qualité, en quelque sorte. Qui se distingue par une attitude faite de détachement serein. Pas facile. Ce qui ne veut surtout pas dire que nous ne faisons rien avec notre existence. Au contraire, accepter les aléas de la vie, ses moments de joies et de tristesses, nous situent au centre même de l'existence, au coeur de son tourbillon et nous propulsent dans la direction que notre destin génère. Ce destin unique qui se fignole lentement hors du courroux de la peur ou de ses petites soeurs jumelles : inquiétude et insécurité.

J'ai essayé de retrouver ce titre, mais peine perdue. Existe-t-il vraiment ? Ai-je bien lu ces mots, ou mon esprit, conditionné par mon état d'être à cet instant précis, a fabriqué de manière inconsciente une superposition à d'autres mots qui s'y rattachaient ? N'ai-je pas imaginé toute cette mise en scène ? L'ai-je réelllement vécu, je veux dire dans notre monde concret et matériel ?

Cette question n'a pas d'importance (a-t'elle déjà eu de l'importance?). Car, l'essentiel n'est-il pas de nous interroger sincèrement afin de savoir s'il vaut mieux ne pas nous en faire avec la vie plutôt que nous sentir étouffer constamment par une ceinture de soucis en arguant que cela fait plus responsable, plus professionnel, plus conscient ?

Einstein

« Mais c'est la personne humaine, libre, créatrice et sensible qui façonne le beau et le sublime, alors que les masses restent entraînées dans une ronde infernale d'imbécillité et d'abrutissement. »


Albert Einstein (
Comment je vois le monde, trad. Régis Hanrion, p.9, Champs-Flammarion 1979)

3 septembre 2009

Improvisation comparée...


Prenons deux individus. Nous leur demandons de s'installer au piano et d'improviser devant un groupe de deux cents personnes, choisies au hasard. Le premier ne connaît rien à l'intrument, n'en a jamais joué. Le deuxième a trente années de pratique avec lui et donne des concerts un peu partout dans le monde.

Même sans oreille ni culture musicales, n'importe qui pourra distinguer sans ambiguïté la différence de résultat dans l'exercice. Le premier fera du bruit sans intérêt, à la limite quelques sonorités qui ont du sens. Le second s 'exécutera avec élégance et grâce. Il construira des phrases musicales. Il fera en sorte que l'écoute soit facile et agréable, qu'une harmonie soit décelable. Bref, les deux cents personnes de la salle reconnaîtront une maîtrise certaine dans l'exécution de son improvisation.

À moins d'être parfaitement malhonnête ou de vouloir choquer ses voisins d'écoute, chacun aquiescera et se pliera au consensus final : le premier exécutant, même avec de bonnes intentions et la meilleure des volontés ne produira rien de significatif, musicalement parlant.

Il ne s'agit pas de dénigrer une personne. Mettons tout sentimentalisme de côté. Mettons tout élitisme de côté. Prenons ça plutôt comme une sorte d'expérience scientifique, qui peut se répéter et se vérifier ad nauseam.

Je parle de preuve et d'épreuve. Je parle de connaissance et de savoir-faire.

S'exprimer avec compétence n'est pas donné à tous. Il en va de même pour le dire, la communication et l'écriture. Ce n'est pas parce que nous savons parler et écrire que nous le faisons automatiquement avec compétence lorsque survient le moment d'affirmer une idée ou une opinion à la face du monde.

Tout ne se vaut pas.

"Je dis ce que je pense", entendons-nous souvent. J'applaudis la ferme volonté ainsi que la sincérité, mais dans mon esprit ça n'a aucune valeur en soi.

On ne se tient pas plus près de la vérité, du sens ou de la beauté.

2 septembre 2009

"Orfèvre des mots"

Avec une lenteur mesurée, les mots s'alignent les uns après les autres sur la page. Un chapelet de lettres comme autant de grains de sel déposés sur un potage pour créer une saveur, pour relever le goût du texte.

J'ai lu l'expression "orfèvre des mots". Sculpter serait tout aussi approprié; en tant qu'action de travailler à modeler une forme à une phrase. Une phrase, une sculpture, une phrase, un bijioux scintillant.

Pour toucher ou émouvoir le lecteur, une lumière doit transparaître du texte et révéler une hauteur lui permettant de regarder au loin, de voir plus loin et, qui sait, de toucher le ciel.

C'est l'indispensable "bonheur du texte", lu et compris avec appétit. C'est l'enchantement par l'image finement ciselée. Le lecteur est saisi dans son être profond, saisi dans son intelligence et ses émotions. Il tient à cette emprise pour un transport intérieur vers un nouveau sens, un nouveau monde qui lui échappait auparavant.

Le choeur des oiseaux


Par la fenêtre, j'entends l'oiseau chanter. Il répète sans fin la même mélodie avec obstination , comme s'il voulait qu'elle s'ancre à tout jamais dans ma conscience, que je la retienne pour mieux m'en souvenir en d'autres temps, lorsque la vie sera plus difficile et que l'envie de tout envoyer promener prendra place.

Le chant des oiseaux nous aide à oublier le bavardage sans fin et inutile des hommes.

Donnez-moi le choix de m'enfermer dans une cage emplie d'oiseaux, ou bien une autre d'êtres humains, et je suis persuadé que j'opterais pour la première.