30 janvier 2013

L’avis du chat qui baille…

C’est l’histoire d’un chat esseulé.

Je l’ai aperçu une première fois sur le terrain à l’arrière de ma résidence, il se faufilait à travers les arbustes et les fleurs. D’un bond élégant, il sauta ensuite sur le rebord de la clôture de bois. Il demeura assis plusieurs minutes, regarda autour de lui, levant parfois le nez comme pour respirer une odeur qui l’excitait. Sa fourrure avait un mélange égal de noir et de blanc. Enfin, il bailla à s’arracher la mâchoire, sauta dans la cour du voisin et disparut.

Le lendemain, je le vis jaillir du dessous d’une voiture stationnée dans la rue. Il s’approcha de mon entrée, regarda autour de lui puis grimpa ensuite les quatre marches menant à ma galerie. Je l’observai par la grande fenêtre du salon. Il se coucha, s’étira comme un chat, fit comme chez lui. Je courus chercher un reste de poulet au frigo pour lui donner. J’ouvris la porte lentement pour ne pas l’effaroucher et déposai le plat, sans rien attendre.  

C’est seulement quelques jours plus tard que nous avons fait connaissance. Il miaula devant ma porte, sans doute avait-il faim. Je lui donnai deux sardines qu’il avala d’un coup. Je pus l’observer un peu pendant qu’il mangeait. Il avait l’oreille gauche affaissée. Sur son dos le poil était emmêlé. Il leva la tête et je vis que la pupille d’un de ses yeux me semblait dilatée comme le jaune d’un œuf qui vient d’être crevé dans le fond d’une assiette. Un chat échaudé par la vie… Je lui flattai le cou. Il miaula puis déguerpit en bondissant en bas de la galerie. Je me rendis à l’épicerie du coin pour lui acheter de la nourriture, s’il revient encore j’aurai quelque chose à lui offrir.

Autre journée, autre miaulement. Cette fois-ci je déposai la nourriture, de petites croquettes de viande sèches, à l’intérieur de la maison, dans le couloir. J’attendis. Il entra lentement. Il me semblait boiter un peu. Il mangea en jetant des coups d’œil à droite et à gauche. Il termina rapidement et resta assis, figé. Je le trouvais beau malgré ses cicatrices de guerre. Je me présentai et lui dis de faire comme chez lui, de prendre ses aises. Comme s’il m’avait approuvé, il grimpa sur un tabouret puis sauta sur le radiateur à l’entrée.

Il devint mon inséparable ami à partir de cet instant. Où que j’aille à l’intérieur et autour de la maison, il me suivait. J’avais l’impression qu’il cherchait à me comprendre et à me donner son avis sur ce que je faisais et parfois même sur ce que je pensais. Je lui avouai qu’un chat qui avait vécu autant de tribulations et d’infortunes comme lui était sans doute digne d’être écouté. Il m’obligeait à m’arrêter et m’interroger. Il veillait sur moi comme je veillais sur lui. C’est drôle à dire, mais j’avais le vague sentiment qu’il cherchait à me faire économiser du temps et de l’énergie, qu’il me conduisait avec subtilité vers l’essentiel. Comment s’y prenait-il?

En bâillant…

Il avait une façon de me regarder… Il s’approchait à quelques centimètres de mon visage puis bâillait une fois, deux fois, jusqu’à ce que je lui accorde une attention soutenue. Au début, je ne voyais rien, je ne comprenais pas son manège. Un jour, je fis le lien. Je regardais la télé, je zappais. J’étais un télévore lobotomisé qui perdait manifestement son temps à regarder des inepties. Je me secouai, pris une revue et lus. Chat s’approcha et ronronna. Pour la première fois, l’effet Pavlov fonctionna. Et du même coup, je lui trouvai un nom. Il approuva son baptême, ronronna de plaisir.

Un après-midi, j’étais à l’ordinateur. Comme à son habitude, Pavlov avait pris sa place sur mon bureau près du clavier. Couché. Sa queue en mouvement continu ramassait la poussière sur les touches comme un petit linge. Je savais qu’il souriait… J’écrivais un texte qui me donnait du fil à retordre, mais temporisais en fuyant et surfant sur internet. Tout à coup, mon chat leva la tête puis vint s’asseoir directement devant l’écran. Je le suppliai de ne pas bâiller. Il bâilla. J’ai compris, lui dis-je.

Je dormais. Une présence me réveilla. Au cadran, les aiguilles notaient 2h15. Pavlov tournait sur lui-même, me léchait le visage. Je m’assis sur le bord du lit. Je le vis bondir en courant vers la porte arrière de ma résidence. Il voulait sortir. J’étais curieux d’en connaître la raison, je m’habillai et le suivis. La nuit était magnifique, une nuit d’été chaude et paisible. Ensemble, on se rendit jusqu’au fond du terrain, dans les broussailles à travers les arbustes et les fleurs. Le cabanon trônait à quelques mètres à notre gauche. Pavlov se coucha et fixa un point tout près du grand tilleul. Sans discuter, je pris la même position au ras du sol. J’observai le chat, observai ce qui l’absorbait. En silence, aucun geste. Au bout de quelques minutes, je vidai mon esprit de toutes pensées et appréhensions. Le silence partout, le silence total. La scène se transforma, grossit, s’illumina. Ma conscience pénétra en douceur un monde nouveau.

Je traquais.

À un moment pile, je peux vous jurer que je bondis en même temps que mon chat sur une proie qui ne vit que du feu. Un mulot.

Je retournai ensuite dans ma chambre. Il était cinq heures au cadran, le soleil grimpait à l’horizon, les étoiles se couchaient les unes après les autres dans la nouvelle lumière du jour.   

Pavlov dormait près de mon oreiller. Je songeai : tout est question de patience, d’attention, de profond silence. Et d’être sans bavure en temps voulu.

Je m’étais habitué à aimer ce chat magnifique. Il me comblait, ronronnait, bâillait… Je ne voulais rien d’autre qu'en prendre soin. Tous les jours, j’ouvrais ma porte, il partait, revenait plus tard. Heureux? Oui, j’en suis sûr, comme moi.

Une journée d’automne, je m’en souviens très bien, il pleuvait de fines gouttelettes sur la ville, je trouvai un mulot mort dans mon entrée en sortant à l’extérieur. J’eus une appréhension.

Le lendemain puis les jours qui suivirent, j’attendis mon chat, j’attendis qu’il entre me rejoindre dans la maison et partage ma vie comme avant. Peine perdue.

Pour ne rien vous cacher, j’ai longtemps pleuré sa disparition. Aujourd’hui encore, je me souviens de lui avec émotion et respect.

Je pense avoir maintenant compris la raison de son départ.

J’en suis presque certain, il avait d’autres chats à fouetter…

1 commentaire:

  1. Chuis plus que bin d'acc, mon pote.

    Super site, Gilles. Toi et moi on est pareil.

    Chris

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