29 juillet 2009

Écrire sa vie


Je songe aux mots de Pascal (encore) devant la blancheur des lignes qui se profilent là devant moi. "Le silence de ces espaces infinis m'effraie". L'angoisse de ne plus savoir quoi dire, de ne plus trouver les mots, l'angoisse d'un vide qui ne peut se décrire et s'écrire. Je me dis pourtant qu'il il y a toujours ce devant soi à bâtir d'une conscience, un silence à subjuguer et à remplir d'un mot puis d'un autre, comme des milliers de petits pas permettant de franchir une distance voulue et longuement désirée.

Pareil à ces lignes, le voyage d'une vie avance souvent trop lentement- parfois trop vite - et finit par se corrompre si on ne s'en préoccupe pas, si on ne se prononce pas. Écrire, c'est cheminer avec une conscience aiguë d'un vide à franchir et à remplir d'une espérance imparfaite de sens. Le vivre a la même dimension incertaine. Vivre, c'est écrire une vie qui nous appartient et dont nous sommes responsables. À la fin, lorsque la mort aura tout consumé, nous parlerons du récit d'une vie.

L'artiste, le créateur, cet écrivain, ce musicien, ce peintre sont perçus comme des êtres affolants. Non pas parce qu'ils décrochent de la réalité ou la refusent. Mais parce qu'ils sont les amants d'un silence à combler, parce qu'ils sont à la recherche d'une brèche à colmater dans la substance infinie du vide afin de ne pas être enseveli par un torrent de non-sens. Ils s'offrent en sacrifice au vide. Et leurs yeux viennent à exprimer un vaste océan dont ils cherchent à réduire en une multitude de gouttes, telle une nourriture sacrée pour des terres asséchées. C'est pourquoi des larmes coulent parfois le long de leur visage...

Canaliser est souffrance.

La profondeur des grands espaces n'existe pas chez l'enfant et le jeune adulte. Ils manoeuvrent encore dans un habitacle clos de convictions qui jaillissent de toute part, à proximité. Ils jouent au squash dans une enceinte fermée, le rebond de la balle est vif, sournois, rapide. Tout devient alors question de réflexe, d'ajustement et de souplesse.

La souplesse, c'est important.

L'élasticité, l'ouverture, la curiosité sont les premiers apprentissages de la jeunesse.

Mais comment diable parler de souplesse quand vient le moment de jouer et de s'écarteler dans une arêne sans hauteur, ni largeur, ni profondeur ? On ne parle plus d'un carré de sable...

Le passage du réflexe à la réflexion ne s'effectue pas en douceur. Car nous ne sommes pas bien équipés pour l'infini.

On peut toujours s'émerveiller devant le grandiose, ou bien encore se réjouir de se sentir tout petit, croyant plaire à une Majesté afin de lui soutirer un regard plein de compassion et de miséricorde. Devant les angoisses de la vie et les coups durs qui surgissent en vieillissant, il peut être rassurant d'espérer un soulagement de la part d'un créateur infiniment parfait et infiniment bon. Je me pose toutefois cette question peu correcte et peu rassurante à vrai dire : n'est-ce pas plutôt qu'un réflexe infantile, ou encore le désir inavoué de retrouver un tant soit peu son carré de sable, de retrouver les bras chauds et rassurants d'une mère protectrice ?

Je vois la vie et l'écriture comme un métier. Le métier de "monteur de ligne", par exemple.

Grâce à leur travail, nous comprenons d'où provient l'énergie électrique qui, à la fin, ravitaille nos maisons, nos quartiers, nos villes. Chez-nous, au Québec, elle commence par l'eau. Nous la barrons puis la turbinons pour qu'elle se transforme en un courant puissant et encore dévastateur que nous réussissons à faire circuler sur de grandes distances, sur des lignes à haute tension. Premier prodige. Ensuite vient le moment de la distribuer, de la partager. Un réseau nait et, second prodige, ce même courant puissant se transforme en une source d'énergie qui nous apporte chaleur, lumière et confort.

Le métier de vivre ou d'écrire se conjuge ainsi avec un mot inaccoutumé que l'on finit par employer seulement avec réticence. Un mot tabou : responsabilité. Car le merveilleux dans l'homme qui s'éveille, le prodige entendons-nous encore une fois, demeure la reconnaissance, non pas de sa petitesse et de son impuissance, mais de cette capacité inhérente à l'être humain, celle de porter, transformer et créer. Porter en lui-même une énergie qui s'apparente, si l'on veut, à celle de l'électricité. Transformer ce même courant en quelque chose d'applicable pour notre existence et celle de notre entourage. Puis créer : le beau, le bonheur, le bien, le merveilleux, l'exaltant, le simple, le drôle, le généreux, mais aussi le déroutant, le curieux, le déstabilisant, l'inattendu, le mouvement, l'arrêt, le silence, le rire, le désordre, la fuite, l'anormal.

Je ne parle pas de subir, de se renfrogner ou de se recroqueviller sur soi-même. Je parle de donner et d'aller par le fait même à contre-courant.Je parle d'un métier difficile, humble et qui jouit de peu de reconnaisance.

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