31 janvier 2012

Astres


"De deux choses lune 
l'autre c'est le soleil."      

Prévert

27 janvier 2012

Rire


« Pour un auteur d'ouvrages de philosophie, le principal consiste à croire qu'il déboule tout droit de l'absolu. L'humour crée un décalage alors que le sérieux est pontifical. L'humour conjure la tentation de se prendre au sérieux et d'être pris au sérieux. Dans Le Nom de la Rose d'Umberto Eco, je me sens proche de Guillaume de Baskerville qui lance à Jorge : « Vous êtes le diable, la foi sans sourire, c'est-à-dire la vérité qui n'est jamais effleurée par le doute. » Je me moque d'une métaphysique effrayante par l'impression qu'elle donne d'être lourde. Je voudrais qu'elle soit accessible. Je souhaite que ceux qui me lisent aperçoivent une lumière, découvrent une espérance. Vladimir Jankélévitch dont je fus l'un des assistants, ne cessait de le pratiquer. Quant on rit, on peut entrevoir. Autrement, on s'arrange pour voir. » 
Lucien Jerphagnon


25 janvier 2012

En fou ! Jeu !

Je me suis posé cette question : est-ce que tout est risible? Si oui, pourquoi cette indécrottable tendance à tout prendre au sérieux?

C’est une affaire sérieuse…

Un proverbe de la tradition juive nous dit ceci : "L’homme pense, Dieu rit !" Milan Kundera trouve ce proverbe admirable : « L’homme pense et la vérité lui échappe, nous dit-il, et plus les hommes pensent, plus la pensée de l’un s’éloigne de l’autre. »

Le plus risible est d’abord soi-même. Je me dois de me protéger de mes travers, de mes ambitions, de mes certitudes et mes peurs. Pour ne pas trop m’abimer, je me suis alors inventé un jeu. J’adore jouer. Ce n’est pas juste une détente, c’est pour moi un état d’esprit à cultiver, une aptitude à capter la trivialité des choses et les virer de bord. Le jeu consiste donc à me demander constamment : est-ce que tu te vois aller? Est-ce que tu t’appartiens? Est-ce que tu reconnais avoir pensé ceci ou cela? Pour la bonne raison qu’un sombre penchant m’entraine généralement en direction d’une paresse rédhibitoire qui ne se lasse jamais de me susurrer des mots doux, pour la bonne raison aussi que je ne peux m’empêcher de répéter ce que j’entends et recueille au fil de mes lectures, et pour la bonne raison finalement qu’il m’est difficile de ne pas me ranger derrière une autorité reconnue lorsque vient le temps de répondre à certaines questions.

Croyez-moi le jeu en vaut la chandelle.

Kundera nous dit avec beaucoup d’à propos : « L’art inspiré par le rire de Dieu est, par son essence, non pas tributaire mais contradicteur des certitudes idéologiques. À l’instar de Pénélope, il défait pendant la nuit la tapisserie que des théologiens, des philosophes, des savants ont ourdie la veille. »

Cette idée ne manque pas d’audace. L’auteur en fait son leitmotiv en ce qui concerne l’art du roman. Peut-on l’extrapoler pour ce qui touche la vie dans son ensemble? Je ne le sais pas.

Jouer c’est pour beaucoup se jouer du risque. Il y a comme un élément de folie à tenir en compte. Jouer la vie avec bonheur demeure-t-il donc possible? Surtout que la règle première stipule que nous n’en sortirons pas vivants… Je ne peux que répondre pour moi. Car il serait risible d’affirmer que tout ça est clair et que tous, d’une même voix, devrions entonner la même antienne. Ce serait me contredire et me prendre franchement au sérieux...

Errer ou non


« Une erreur n'est pas une vérité parce qu'elle est partagée par beaucoup de gens,
tout comme une vérité n'est pas fausse parce qu'elle est émise par un seul individu. »
Gandhi

23 janvier 2012

Vies et morts d'Auguste Flocon


Je l’ai déjà dit : nos hivers sont longs, d’un froid féroce et de la couleur de la nudité. Demandez à n’importe quel voyageur provenant d’un peu plus au sud, il vous le soulignera en long et en large : ça donne un coup au plexus! Il y a contraction, il y a un choc. Et en ce qui me concerne, malgré l’habitude et des décennies d’acclimatation, le choc demeure.

C’est un avertissement. Nos hivers annoncent une mort qui approche toujours à la même période. Je ne m’habitue jamais à cette mort. Pourtant, elle préfigure une renaissance aussi, une renaissance dans la gloire d’une nouvelle chaleur généreuse, un retentissement à coup de trompettes et clairons.

Le plus grand bienfait de nos hivers, c’est d’y en ressortir en vainqueurs de la mort; à ne pas se cacher pour la vivre; à l’embrasser corps et âme. C’est une petite mort qui nous habitue lentement et subtilement à la grande définitive. Qui laisse planer d’autres vies…

J’ai l’air de ne pas apprécier la saison hivernale. C’est faux. Je dors mieux, je médite mieux, je pense mieux lorsque je me sais à l’abri, bien au chaud. Le monde du nord est moins assourdissant aussi puisqu’une couche de moelleux amortit le bruit extérieur.

Le feutré se décline en blanc.

En février, il y a de ça bien des années, je suis allé passer quelques jours sur une île bien connue du Saint-Laurent. À cause des glaces sur le fleuve, le seul moyen pour s’y rendre était l’avion—ça le demeure encore d’ailleurs. Avec ma douce pour compagne, j’ai arpenté un monde étrange construit de lumière blanche et d'ombres sinueuses. Nous étions seuls au monde. Le silence hurlait sa présence. Nous vîmes alors un bataillon de diables joyeux qui virevolta juste en face de nous : des bruants des neiges, par centaines. Ils exécutèrent devant nos yeux éberlués une danse folle puis déguerpirent aussi vite, comme gênés de leur performance. Plus loin un harfang s’envola vers un désert de glace avec une proie inerte dans son bec crochu.

Le temps s’était figé pour permettre ce spectacle. « Le monde veut être vu », nous dit Gaston Bachelard. L’hiver par sa lenteur suscite ces arrêts sur images. Le blanc monde grouille de vie, c’est ce qu’il nous dit malgré l’apparence de mort.

« Il n’y a pas vraiment de mort », me chuchote toutefois à l’oreille mon bon génie emmitouflé.   


19 janvier 2012

Simple


"L’homme est un être spirituel qui fait une expérience humaine."
T. de Chardin

18 janvier 2012

Apprendre à apprendre


Apprendre est difficile. Voyez nos enfants qui s’échinent sur un texte à lire, sur des problèmes de mathématique à résoudre. Plus tard c’est un métier à maîtriser, un sport, un art. Apprendre nous déséquilibre et nous fait désespérer de notre ignorance. C’est décourageant, c’est pénible!

Trop long, trop difficile, trop d’obstacles imprévus, les raisons de cesser l’effort d’apprentissage sont multiples. Devant cette évidence, ne deviendrait-il pas alors important d’apprendre à apprendre? Ce serait comme un art de comprendre et d’amenuiser les difficultés de l’apprentissage. Ce serait accepter de contrer l’inertie et une certaine paresse devant l’obstacle à franchir ou le problème à résoudre. Ce ne serait pas juste une question de volonté. Je verrais plutôt une exploration et une acceptation en bonne et due forme de notre insuffisance ainsi que de notre manque à combler.

Une histoire raconte qu’un moine, après lui avoir demandé comment il avait pu traverser l’Himalaya à pied du Tibet jusqu’en Inde pour fuir l’occupation chinoise et trouver refuge, aurait déclaré : « Un pas à la fois. »  Nous avons tendance à oublier que nos entreprises se construisent le plus souvent à petites doses, goutte à goutte, méticuleusement. Et il n’y a pas que le résultat obtenu qui importe, il y a aussi et surtout la persistance, l’envie du mouvement, la constance dans le « tenter quelque chose ». Rarement, en fait, obtient-on le résultat attendu et désiré, ce qui ne devrait tout de même pas brimer l’intention et l’enthousiasme du départ.

Apprendre à apprendre met l’accent sur l’attitude. Elle met l’accent sur l’expérience même d’apprendre qui est en cours. C’est l’art de « se voir aller », de se regarder faire et d’apporter les corrections nécessaires; l’art aussi d’improviser et de corriger notre tir au quart de tour si la situation l'exige. Bien intégré, le tout permet de garder l’esprit jeune et surtout de considérer notre existence entière jusqu’à notre mort comme un exercice d’apprentissage.

Apparaîtra alors, c'est à espérer, le bonheur d'apprendre... 

15 janvier 2012

Les mots (6)

Télévision :
Dérivatif puis perversion puis annihilation de l’esprit. Cependant, soyons honnête, il y a un bon gros dix pour cent de contenu correct à la télé. Le reste atteint nos neurones par accident ou distille une bouffe grasse et remplie de calories qui engendrent une obésité proportionnelle à la grandeur de l’écran plaquée au mur.

Oiseau :
Fabrication des dieux pour le pur bonheur de nos sens. Donnez-moi le choix de m’enfermer ou bien dans une cage emplie d’oiseaux ou bien une autre emplie d’êtres humains et je suis sûr que j’opterais pour la première. Le chant des oiseaux, seul, permet de retrouver le chemin oublié vers le « pays lointain ».

Horloge :
Sur la grande horloge de l'univers, un seul moment d’inscrit : « Maintenant ».

Ville :
J’aimerais chanter tout mon amour pour ma ville. Je sais, ce n’est pas Paris, New York ou Tokyo. Elle est beaucoup plus humble. Mais elle respire doucement et son cœur palpite au rythme des saisons et des gens qui l’habitent. Elle est la diversité sans l’anarchie, la beauté sans artifice. Ma ville rêve.

Pissenlit :
Essayez d’imaginer un printemps sans pissenlits. Ces particules jaunâtres maculent nos parterres sans y être invitées. Et puis! En d’autres lieux, elles sont cultivées. Ces indésirables annoncent grand, annoncent chaleur et tout le spectre des couleurs. Pissenlit mérite tout notre respect.

Prière :
Quémander nos dieux. Pourquoi? Nous avons pourtant tout ce qu’il faut pour ne pas nous blesser nous-mêmes mortellement. Prions plutôt pour une aide précieuse si notre intention est d’apporter quelques gouttelettes de vie et d’amour à cette existence qui en bien besoin.

Pieds :
Je suis prêt à me mettre à genoux devant mes pieds. Contrairement à l’idée reçue, je suis même à l’aise de penser comme mes pieds. Sentir notre terre, la fouler avec honneur pour ce qu’elle nous apporte. Marcher, marcher et ressentir sa force avec ce que nous avons de plus bas. Il n’y a rien de plus élevant!

13 janvier 2012

J'écoute


Des pépites d'or brillent sur la table,
Le sel danse,
Et moi j'écoute...   

Émilie Bédard


11 janvier 2012

Théorie des cordes

"L'homme est un bulbe formé de centaines de pellicules, une texture tissée de milliers de fils."

Hermann Hesse (Le loup des steppes)

 

10 janvier 2012

Ce qui est

Qu’est-ce que la vie?
C’est l’éclat d’une luciole dans la nuit.
C’est le souffle d’un bison en hiver.
C’est la petite ombre qui court dans l’herbe et se perd au coucher de soleil.

Crowfoot, Chef Blackfeet.

9 janvier 2012

La partie d'échecs*


Un guerrier, fatigué de sa vie qu’il jugeait illusoire, rendit visite un jour à un ermite réputé pour sa bonté simple et sa sagesse imperturbable.

— Je vous veux pour maître, lui dit-il. Enseignez-moi le savoir qui rend belle la vie et illumine votre visage.

L’ermite lui conseilla de méditer et lui apprit comment conduire ses pensées et creuser l’écorce des apparences. Puis le guerrier s’en retourna chez lui en promettant d’observer ces précieux commandements.

Une année passa et un matin d’été, à bout de peine, celui qui avait décidé d’atteindre la sagesse revint se plaindre auprès du saint homme.

— Malgré mes efforts, je n’ai fait aucun progrès, lui dit-il. Je suis toujours aussi incapable d’amour. Comment pourrais-je aimer la vie? Comment pourrais-je aimer les autres? Je ne m’aime pas moi-même!

L’ermite lui donna patiemment de nouvelles leçons. Après trois journées notre guerrier le quitta revigoré. Il s’échina encore une année entière à débarrasser son esprit des fardeaux qui l’encombraient, observa les disciplines qui lui avaient été conseillées, tenta de comprendre et de gouter la vie, mais n’y parvint pas. Alors, il s’en revint voir une nouvelle fois l’ermite dans sa forêt et lui reprocha son incompétence.

— Je crains fort que vous ne soyez un imposteur, lui dit-il.

L’autre ne s’offusqua point. Il écouta attentivement ses jérémiades puis alla chercher un jeu d’échecs dans un coin obscur de sa hutte.

— Jouons ensemble une partie, dit l’ermite, mais qu’elle soit définitive et sans pitié. Celui qui la perdra devra mourir. Son vainqueur lui tranchera la tête.

— D’accord, lui répondit le guerrier. Et la partie commença.

Au bout de quelques coups seulement le guerrier se trouva en mauvaise posture. Il prit peur. Bouleversé par la main froide de la mort, il joua de plus en plus mal. Après une vingtaine de coups, il était au bord de la débâcle. Il regarda son adversaire et le vit impassible. Assurément cet homme n’hésiterait pas à le tuer, s’il perdait. Alors il se dit qu’il était temps de réfléchir sans faute. Il se souvint que d’ordinaire il était de bonne force aux échecs et il lui vint l’évidence que seul le spectre de la mort l’empêchait de donner toute sa mesure. « Je dois me débarrasser de mon épouvante, si je veux avoir une chance de survivre, se dit-il. » Puis il pensa : « Quoiqu’il advienne, il me faut pleinement jouer. » Il s’absorba dans la contemplation de l’échiquier, reprit espoir et oublia son effroi. Après une trentaine de coups, il découvrit une faille dans le jeu de son adversaire. Il exalta puis poussa un rugissement de triomphe.

— Tu as perdu, dit-il.

Il regarda l’ermite. Il le vit aussi impassible qu’à l’instant de sa victoire proche. Il se dit alors : « Pourquoi tuerais-je ce brave homme? Je suis sûr qu’il aurait pu facilement gagner la partie quand la peur me tenaillait. Il ne l’a pas fait. Quelle sorte de fauve serais-je si j’abattais mon sabre sur son cou? » Son exaltation le quitta. Il grogna puis poussa un pion inutile.

Alors l’ermite renversa l’échiquier dans l’herbe, d’un geste négligent.

— Il faut vaincre d’abord la peur. Ensuite peut venir l’amour, dit-il. As-tu compris?

Le guerrier éclata de rire. Il savait maintenant comment goûter pleinement la vie.

* Histoire tirée de L'arbre aux trésors d'Henri Gougaud. 


5 janvier 2012

Futur antérieur



                                               "Un futur qui ne surprend pas n'est pas un futur."
                                                                         Jean Bédard, Maître Eckhart.

Donc 2012 se pointe le nez… Que nous réservera-t-il? Je ne le sais pas, pas plus que personne d’ailleurs. Je prédis toutefois qu’il ne se produira pas de fin du monde et je prédis qu’en début d’année on n’arrêtera pas de faire des prédictions.

À l’adolescence, avec mon groupe d’amis, j’essayais tant bien que mal d’imaginer le futur des années 2000. Une fois partis, nous dérapions rapidement dans une sorte de délire qui s’apparentait beaucoup à la science-fiction. Je retiens tout de même que, malgré nos rêves les plus fous, jamais nous n’aurions pu penser ou entrevoir ces merveilles que sont l’ordinateur personnel, l’informatique ainsi que la non moindre épopée de l’Internet.

Le futur nous réserve toujours des surprises. On peut aimer les surprises, mais pas trop, surtout si elles sont mauvaises. Cependant, c’est à prendre ou à laisser. Au royaume infini du futur, nous trouverons toujours de l’incertitude à se mettre sous la dent ainsi que la mort. Serait-ce pour cela que nous avons tendance à nous retrancher bien au chaud dans un passé tout confort et n’admettre (si nous y pensons) qu’un avenir à son image? Au mieux nous ne permettrons qu’une projection de notre présent.

Chaque jour, mille histoires possibles nous attendent, mille visages nouveaux, mille pensées et observations. Nous y participons nous-mêmes. C’est l’aventure que nous réserve la vie et nous avons le pouvoir d’enfanter l’enchantement si le cœur nous en dit. Comment? Par notre créativité. 

2 janvier 2012

Marcher dans la mer tranquillité


La vie demeure la même indépendamment des dates du calendrier. Tout ne change pas radicalement, et pourtant le matin du 1er janvier 2012 avait un petit air particulier. Je l’ai senti en ouvrant d’abord la porte pour humer la température extérieure. Quelque chose m’a troublé. Je suis allé voir, en compagnie de ma douce qui peut en témoigner.

Nous avons marché dans un espace de silence et de quiétude tranquille.

Je me sens exubérant, je déborde. Je me rends compte alors que c’est mon état d’être habituel, tout simplement. Mais il y a une différence, et elle est énorme. En ce 1er janvier 2012, à travers les rues enneigées de ma ville, il n’y a que silence et rien ne bouge, rien ne s’agite. Pure tranquillité. Cet espace vide, ce temps au repos me laisse de la place pour exister et pour le manifester à ma façon. Voilà la différence…

Quand tout bouge et s’agite autour de moi, je me renfrogne, décroche et entre dans ma bulle, car l’espace d’expression n’existe plus; peut-être quelques interstices ici et là, quelques failles éparpillées sur de longs murs bétonnés, mais sans plus.

Il y a un trop-plein. Être simplement soi-même, libre et heureux devient un exercice périlleux. Suspect? Sans doute.

Comment distiller son énergie sinon qu’au compte-goutte quand tout n’est que tourbillon infernal, bruits incessants et que même notre seule présence silencieuse est noyée et absorbée dans ce maelström?

Sans regret, je fuis les bruits inutiles de ce monde.

Ce que j’aime, c’est entendre le son craquant que font mes bottes sur la surface durcie de la neige. Me revoir, enfant perdu dans de grands espaces silencieux.