23 janvier 2012

Vies et morts d'Auguste Flocon


Je l’ai déjà dit : nos hivers sont longs, d’un froid féroce et de la couleur de la nudité. Demandez à n’importe quel voyageur provenant d’un peu plus au sud, il vous le soulignera en long et en large : ça donne un coup au plexus! Il y a contraction, il y a un choc. Et en ce qui me concerne, malgré l’habitude et des décennies d’acclimatation, le choc demeure.

C’est un avertissement. Nos hivers annoncent une mort qui approche toujours à la même période. Je ne m’habitue jamais à cette mort. Pourtant, elle préfigure une renaissance aussi, une renaissance dans la gloire d’une nouvelle chaleur généreuse, un retentissement à coup de trompettes et clairons.

Le plus grand bienfait de nos hivers, c’est d’y en ressortir en vainqueurs de la mort; à ne pas se cacher pour la vivre; à l’embrasser corps et âme. C’est une petite mort qui nous habitue lentement et subtilement à la grande définitive. Qui laisse planer d’autres vies…

J’ai l’air de ne pas apprécier la saison hivernale. C’est faux. Je dors mieux, je médite mieux, je pense mieux lorsque je me sais à l’abri, bien au chaud. Le monde du nord est moins assourdissant aussi puisqu’une couche de moelleux amortit le bruit extérieur.

Le feutré se décline en blanc.

En février, il y a de ça bien des années, je suis allé passer quelques jours sur une île bien connue du Saint-Laurent. À cause des glaces sur le fleuve, le seul moyen pour s’y rendre était l’avion—ça le demeure encore d’ailleurs. Avec ma douce pour compagne, j’ai arpenté un monde étrange construit de lumière blanche et d'ombres sinueuses. Nous étions seuls au monde. Le silence hurlait sa présence. Nous vîmes alors un bataillon de diables joyeux qui virevolta juste en face de nous : des bruants des neiges, par centaines. Ils exécutèrent devant nos yeux éberlués une danse folle puis déguerpirent aussi vite, comme gênés de leur performance. Plus loin un harfang s’envola vers un désert de glace avec une proie inerte dans son bec crochu.

Le temps s’était figé pour permettre ce spectacle. « Le monde veut être vu », nous dit Gaston Bachelard. L’hiver par sa lenteur suscite ces arrêts sur images. Le blanc monde grouille de vie, c’est ce qu’il nous dit malgré l’apparence de mort.

« Il n’y a pas vraiment de mort », me chuchote toutefois à l’oreille mon bon génie emmitouflé.   


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