22 septembre 2009

Lettre à un jeune intellectuel (de gauche, il va sans dire)

Je t'avoue que je ne suis pas à l'aise de t'écrire. Je le fais malgré tout, sachant bien qu'un grand souffle inquisiteur se pointe déjà sur ces quelques lignes et que tu te raidis d'emblée à la venue de ce qui pourtant ne se veut que propos inoffensifs et sans méchanceté. Loin de moi de prétendre aussi te convertir à quelque approche que ce soit et je t'écris, espérons-le, avec assez de doigté pour que tu me lises jusqu'à la fin.

Je te sais inflexible, car tu ne doute pas de la justesse de ta vision des choses. Tu veux le bien pour tous. Tu veux l'égalité, la solidarité, le partage, la justice, la paix et qu'il fasse bon vivre enfin sur cette terre que nous foulons ensemble. Comment s'opposer à cet étalage de vertus et de souhaits rempli à ras bord de bonnes intentions? J'ose dire, comment s'opposer au paradis? C'est une vision des choses idéale, impeccable, sans faille, il faut l'avouer...

Me tromperais-je si j'affirme toutefois que tu vis seulement dans l'espérance? Et que plus le temps avance plus tu deviens impatient et tu exiges, et par conséquent plus tu deviens inflexible aussi, car tu constates avec moi que ton idéal est bafoué constamment. Je sais que tu sens une absence de contrôle, je sais que tu te sens impuissant. Je sais que tu rêves d'un pouvoir qui te permettrait enfin d'imposer ta volonté.

Tu n'oses le penser, encore moins le dire, mais je sais que tu aimerais dicter ta loi. Tu rêves, à tout le moins, que tout le monde pense un jour comme toi, que tout irait tellement mieux si tout le monde pensait comme toi.

Donc tu espères. Car la violence ne t'habite pas nécessairement. Peut-être espères-tu, à tout le moins, une sorte de révolution (tranquille?); ou encore un Deus ex machina qui viendrait mettre de l'ordre dans un bordel qui te fait tant horreur?

Le monde t'offense. Les inégalités t'offensent et tu t'indignes d'autant plus que tu as l'impression que personne ne te prend au sérieux. Tu vois des gens vaquer à leurs occupations et tu t'offusques au fait qu'ils ne pensent qu'à eux. Tu les traites d'individualistes, d'inconscients et tu finis par les mépriser, car tu crois qu'ils vont obligatoirement vers un mur sur lequel ils se fracasseront un jour, faute de l'avoir envisagé. Tu appréhendes donc une série de catastrophes. Tu vois des complots partout, et tu as envie de jouer au prophète de malheur, car personne ne t'écoute. Savais-tu que dans certaines sectes religieuses on pense exactement comme toi? Ils prédisent la fin du monde, car Dieu, selon leur dire, est offensé par le comportement des hommes. La terre ne peut plus continuer à tourner ainsi, car le mal est trop présent. On efface donc tout et seuls les "justes" seront récompensés au paradis, dans un autre monde. Plus terre-à-terre, toi tu affirmes : on efface tout et seuls les justes seront récompensés ici même en ce bas monde, dans ce nouveau paradis à venir.

Je ne doute pas du constat que tu fais. Ce monde est imparfait, plein d'incohérences, d'erreurs monumentales, de bigoteries, d'inégalités, d'injustices, de violence, de brutalité, d'insécurité, de haine. C'est ainsi depuis le tout commencement, en tout cas depuis que nous connaissons l'histoire du périple du genre humain. Et rien ne semble avoir changé... Si ça se trouve, nous devons même avouer que notre monde devient plus dur de jour en jour. Malgré tout le travail que nous y avons mis, malgré des religions millénaires et des sauveurs en qui nous croyons encore, malgré ces idéologies prometteuses et tous les systèmes politiques et économiques que nous avons inventés pour réguler le monde, nous affirmons toujours, avec raison, que tout va mal.

Je sais que tu ne me prendras jamais au sérieux et je sais que jamais tu ne me croiras. Peu importe. Je te dis quand même ce que j'en pense : le monde est ainsi fait, copie conforme de cette nature qui nous entoure. Nous devons l'accepter, faute de quoi notre manque de sagesse ne fera que l'empirer. Plus nous essayons d'apposer notre raison, promouvoir des idéologies, construire des structures en béton sur ce qui nous entoure, incluant le genre humain, plus nous créons le chaos.

Je sais aussi que ma déclaration suivante sera intolérable. Tu ne réussiras jamais à changer le monde en réagissant émotionnellement, avec colère, impatience et sans prendre du recul. Je rajouterai même que si tu persistes tu feras parti du problème sans le savoir, inconscient du malheur produit autour de toi. Pour quelqu'un qui se targue d'être conscientisé, avoue que cette dernière remarque constitue une gifle en plein visage!

Je comprends et accepte ta colère en me lisant. Je ne t'oblige pas à me croire et si tu m'envoies promener, je vais comprendre aussi. Sois certain, toutefois, que je n'essaie pas de jouer au plus fin avec toi. Je n'essaie pas de te convaincre. Sache surtout que je ne désire pas que tu baisses les bras. J'aimerais juste que tu considères que la partie n'est pas perdue si au moins tu donnes l'exemple sans chercher à changer la conscience des gens qui t'entourent.

Je voudrais juste que tu espères moins, mais que tu aimes plus.

L'amour ne se conjugue qu'au présent, là même où tu peux vraiment apporter quelque chose à la vie. L'espérance ne participe qu'à un futur hypothétique. Sois détaché du résultat. Tu ne réussiras jamais à sauver le monde.

S'il-te-plait, ne te crois pas un dieu!


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