30 mai 2009

Champignons


Il y a la chanterelle, les bolets et autres russules qui maquillent délicatement l’intérieur des forêts. Il y a ces agarics, amanites et coprins aux formes raffinées, élégantes. Puis la gigantesque vesse-de-loup et la morille printanière, hâtive, si discrète, et davantage de marasmes d’oréade et de polypores qui s’esquissent devant nous lorsque nous daignons leur porter attention.

Les champignons sont le charme et le sortilège de la terre, l’expression d’un désordre organique, une excroissance échevelée hors de notre contrôle. Ces existences farfelues apparaissent toujours tels des lapins sortis du chapeau d’un magicien. Il n’y a rien un jour puis le lendemain, pouf! les voilà. Ils dégagent un parfum de mystère, recèlent une beauté qui surprend et qui parfois nous laisse le souffle coupé. Ils s’exécutent en dehors de notre bon vouloir, comme issus d’un autre monde auquel nous n’avons pas droit. Mais ils sont aussi, à regret, les dépositaires malheureux de nos peurs les plus tenaces, de l’inconnue et de la mort.

Nous pouvons nous souvenir de ces moments où nous les détruisions sans vergogne dans notre jeunesse. Il représentait évidemment la honte de nos parterres. Le champignon évoquait l’ensemble des craintes dont il fallait à tout prix nous débarrasser afin de vivre dans un monde de sécurité. En bref, champignons égalaient dangers. Et c’est ce qu’ils sont en réalité, du moins pour un certain nombre facile à identifier et qu’il faut bien se garder de consommer. Qui a dit, cependant, que nous devions manger tous les champignons que nous rencontrions, comme si c’était la seule façon de les connaître et de les apprécier?

Mais peut-on avoir peur de ce qui ne nous attire pas? Et une fois cette peur irrationnelle maîtrisée n’en faut-il pas plus pour découvrir un monde fabuleux et se laisser gagner par une beauté étrange, fascinante, à la limite surnaturelle?

Les champignons représentent les laisser pour contre de la nature et nous renvoie peut-être à ce titre à tous ceux que nous excluons aussi autour de nous : ces pauvres gens handicapés de la vie, vieillards malades attachés à leur misère, vagabonds et clochards longeant nos ruelles loin de la vue des passants et des bien-pensants, étrangers venus d’ailleurs et que nous n’osons regarder de face de peur d’être contaminé par la couleur de leur peau ou de leur langage incompréhensible. Mais qu’en serait-il si nous osions seulement les accueillir dans notre vie?

À bien des égards, nous vivons dans un monde aseptisé, incolore et inodore, loin des surprises et du désordre garant d’incidents et d’accidents néfastes. Et les champignons malheureusement, telles les mauvaises herbes, représentent une jungle de surprises, de phénomènes inattendus qu’il faut apprendre à juguler.

Si ce n’était que cela… Je crois encore que les champignons nous renvoient à l’existence inconcevable de tout un monde intérieur auquel nous accordons très peu d’attention. Un monde qui pourtant nous influence, nous domine et qui parfois fini par nous détruire en nous empoisonnant à notre insu. Car il y a bien des exclus qui sommeillent en nous-mêmes loin de notre regard conscient… Nous ne pouvons tolérer, en effet, de nous percevoir autrement que des personnes correctes, exemptes de complexes, autrement que des personnes normales et saines d’esprit. Mais voilà, sans crier gare, un coprin ou d’autres de ses congénères apparaissent sur la chevelure impeccablement coiffée de nos habitudes. De la vie en nous qui tardait à s’exprimer… Saurons-nous les accueillir de façon bienveillante, sans les juger? Saurons-nous apprécier ces surprenantes apparitions sans les mépriser? Saurons-nous continuer à vivre et à nous épanouir dans notre intégralité sans leur fausser compagnie?

Il y a le lactaire paradoxal, le pleurote en huître, le tricholome prétentieux, le gyromitre coiffé, le bolet distingué, le cortinaire gentil.

Tant de petites merveilles si semblables à l’homme!

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