5 mai 2010

Prendre aux mots

J’ai revu mon barbu assis sur son banc de l’autre côté de la rivière. Il regardait les canards colverts qui circulaient paisiblement près de la rive. Sa présence m’a rappelé une expérience survenue il y a près de trente ans à Montréal.

En compagnie d’un couple d’amis, je marchais dans la rue vers l’heure du midi après avoir passé la matinée à écouter des conférenciers à l’occasion d’un séminaire. J’entendis alors quelqu’un m’interpeller vers ma gauche, à quelques mètres. Je cessai ma marche et je m’approchai seul dans sa direction. C’était un homme de petite taille, dans la soixantaine, habillé d’un long paletot beige boutonné soigneusement sur le devant si je me souviens bien.

— Est-ce que je peux vous demander de me donner un peu d’argent? me dit-il en me regardant droit dans les yeux.

— Bien sûr, vous pouvez me le demander, lui répondis-je alors spontanément.

Sa réaction fut immédiate. Je ne voulais pas le blesser, encore moins me moquer de lui. Il se fâcha tout de même et me raconta en quelques mots ses déboires, qu’il fut un ancien professeur de philo, avait déjà été « à l’aise », et surtout : « Attention mon gars, à toi aussi ça peut t’arriver, tu peux tout perdre et te retrouver comme moi un bon jour. » Je lui donnai une pièce de vingt-cinq cents et je courus, penaud, rejoindre mes amis.

C’est plus fort que moi. Je m’aventure constamment dans le monde des mots et de la parole en prenant tout au pied de la lettre, certain que l’autre devant moi comprendra le trait d’esprit ou la subtilité. Quand ça fonctionne, il y a une franche rigolade, car c’est tout ce que je demande. Sinon j’y goute!

Cette expérience m’a sonné d’aplomb et depuis lors je fais un peu plus attention à certaines rencontres fortuites, soit avec des itinérants, des clochards ou toute autre personne dans le besoin. Je vois, j’écoute et me tais. J’ai compris la leçon, d’autant plus que j’ai tout perdu moi-même à deux occasions depuis lors. J’aurais pu sombrer dans le côté noir de l’existence, dans le vide sans fond de l’abrutissement.

L’avenir nous est inconnu et il n’y a jamais rien d’acquis. Tout peut basculer en un rien de temps. Les seules attitudes recommandables demeurent en conséquence le contentement et une certaine gratitude pour les bienfaits que la vie nous offre.

1 commentaire:

  1. Bien d'accord avec Tieu le fils; partager des tranches de vie permet une belle réflexion de l'angle avec laquelle une situation est abordée !

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