30 août 2011

"Abolissons la nuit...!"


                                                                        "Ce dont nous avons désespérément 
                                                                                                       besoin, c'est d'affronter la réalité telle
                                                                                                       qu'elle est."   Annie Dillard, Au présent.

« Le réel est tragique mais la joie est possible ». Emmanuel Desjardins, l’auteur de « Prendre soin du monde », commence son livre par ces mots et demande comment nous y réagissons.

Très bien en ce qui me concerne.

Desjardins prend le temps de nous expliquer dans les premiers chapitres le règne de l’illusion et du déni du réel. « Lorsque la réalité ne répond pas à nos désirs, nous cherchons à l’occulter, et, si nous ne pouvons l’occulter, nous nous contentons de la déformer pour l’adapter à nos désirs. À moins que nous nous révoltions contre elle. » Il s’en prend aussi à l’intransigeance idéaliste et à ses dérapages dans l’idéologie qui conduisent bien souvent à faire le mal tout en recherchant le bien. Il déboulonne le mythe du Progrès et sa croyance que le tragique disparaîtra un jour, cette disparition devenant la finalité de l’aventure humaine sur terre, son paradis.

Je me souviens d’un compagnon de travail adepte d’une religion prônant l’unité de l’humanité et la venue certaine de la paix universelle dans un avenir prochain. « Il y aura un gouvernement mondial, nous adopterons une langue universelle! » Il se faisait un point d’honneur d’apprendre l’Esperanto. Toutes les fois qu’il le pouvait, il ne manquait pas de me souligner le moindre indice attestant sa croyance dans les nouvelles du jour. Il voyait des preuves partout. Pour le taquiner quand nous nous croisions, je  lui lançais des « Abolissons la nuit, aplanissons les montagnes! »

Utopie, paradis sur terre, idéologie égalitariste, catastrophe et fin du monde si nous ne faisons rien, révolution et j’en passe n’ont jamais été ma tasse de thé.

Desjardins nous exhorte au contraire à « prendre de la hauteur ». Il nous précise que c’est « cesser de vouloir un aspect de la réalité sans son contraire : l’amour sans la haine, la justice sans l’injustice, la vie sans la mort, le beau sans le laid. » Il nous dit enfin que prendre soin du monde est nécessaire, mais sans illusions, sans haine, sans manichéisme. La tâche est ingrate, exigeante, car incertaine, jamais assurée. Elle demande d’adopter ce que l’auteur appelle le « regard du physicien »

« Un ami, qui était chercheur et professeur de physique à la faculté de Grenoble, m’avait expliqué ce qu’était le « regard de physicien », un regard qui, selon lui, allie compréhension et émerveillement. À l’opposé du physicien, on trouverait ici « l’ignorant » qui regarde la nature en fonction de son désir. Pour lui, le beau temps est positif, l’orage est négatif, l’éclair effrayant. La compréhension remplace le jugement et calme la peur, elle ne divise pas la réalité en deux, le bien et le mal : il s’agit de comprendre pourquoi la réalité est telle qu’elle est, et non de décider comment elle devrait être pour correspondre à nos désirs. L’émerveillement est à la fois la source et le fruit de la compréhension, la source parce qu’il faut déjà s’émerveiller devant la nature pour avoir l’envie de la comprendre, et le fruit parce que, plus nous comprenons comment la nature fonctionne, plus nous pouvons nous en émerveiller. Plus nous nous familiarisons avec la complexité et l’interdépendance, plus nous sortons du manichéisme qui nous fait diviser le monde entre bien et mal. Transposer ce regard à la réalité humaine est autrement plus compliqué, mais cela permet de sortir de l’illusion, du moralisme et de l’idéalisme. Cela nous aide à nous comprendre nous-mêmes et à comprendre les autres, avec leurs défauts et leurs imperfections. »  

Emmanuel Desjardins, Prendre soin du monde, Éd. Alphée

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