1 août 2011

Un conte amérindien*


Il était une fois une jeune souris grise nommée Nuage-d’Avril. On ne l’aimait guère et la croyait folle dans sa petite tribu, car elle entendait sans cesse une musique, un bruit vague que personne d’autre ne percevait. Un jour elle décida d’aller dénicher la source de ce bruit. Elle trotta longtemps, seule, à travers des territoires inconnus, toujours à l’affut de cette rumeur qu’elle entendait, de plus en plus précise, envoûtante. Elle découvrit enfin la source de son émerveillement : un ruisseau bondissant parmi les rocs dans la forêt. En son milieu, posé sur une pierre, se tenait une grenouille.

- Comme tu dois être heureuse, lui dit alors Nuage-d’Avril, touché par tant de beauté. J’aimerais tant te rejoindre.

- Mais tu n’as qu’à sauter, lui répondit la grenouille.

Et la souris sauta, puis aussitôt hurla, cracha, se débattit et faillit se noyer. Elle se redressa enfin hors de l’eau, furieuse contre la grenouille.

- Ce n’est pas important, lui mentionna cette dernière. Le seul fait qui vaille est de savoir si quelque chose t’est apparu en sautant…

- J’y pense. J’ai vu en effet, le temps d’un éclair, des taches blanches dans le soleil.

- Voilà donc où tu dois aller, répondit la grenouille. Tu n’es venue sur terre que pour atteindre les taches blanches du soleil!

Nuage d’Avril s’en fut donc droit devant elle, se demandant bien où elle devait aller. Elle traversa maints périples à travers plusieurs saisons, survécut à bien des tempêtes pour aboutir finalement, presque morte, chez une vieille souris vivant seule dans une profonde forêt. Celle-ci la soigna, la nourrit puis l’enjoignit de rester avec elle et vivre enfin heureuse dans l’abondance de son territoire. Mais Nuage-d’Avril ne pouvait renoncer à sa quête. Je ne désire pas la paix, expliqua-t-elle à son hôte bienveillant. Elle repartit alors en prenant un chemin secret connu seulement de la vieille ermite.

À peine avait-elle fait une centaine de pas qu’elle découvrit un énorme bison couché par terre et se mourant.

- Tu sembles mal en point, lui dit-elle, puis-je faire quelque chose pour toi?

- Je crains que non, lui répondit-il, haletant. Ce dont j’ai besoin comme remède, seul un fou pourrait me le livrer. Il n’y a qu’un œil de ta tête qui pourrait me redonner la vie, alors laisse-moi mourir en paix.

Nuage d’Avril réfléchit, bouleversée par la situation. Elle se dit qu’elle pourrait facilement vivre un œil en moins, surtout si un autre animal pouvait être sauvé. Elle accepta et aussitôt son œil gauche alla se planter dans la tête du bison. Celui-ci, tout fringuant, bondit alors sur ses pattes.

- Si je peux à mon tour faire quelque chose pour toi, je t’offre mon aide de bon cœur.

Nuage d’Avril lui mentionna son plus cher désir et le bison la conduisit jusqu’au pied des Montagnes Rocheuses, le plus loin qu’il pouvait se rendre. La souris commença alors à gravir ces monts démesurés. Elle s’échina, s’épuisa puis s’arrêta découragée en contemplant la cime si lointaine encore. Elle se laissa glisser au pied d’un rocher et poussa ensuite un cri de surprise en voyant un vieux loup couché et agonisant. Notre voyageuse lui demanda si elle pouvait faire quelque chose pour lui et celui-ci lui répondit qu’il avait perdu tout désir de vivre et que sa seule certitude était qu’un œil de sa tête pourrait le sauver. Nuage d’Avril fit un bond en arrière en refusant tout net, mais voyant le vieux loup qui soupirait en se désintéressant du monde, elle eut honte, puis se dit qu’il allait mourir alors qu’elle pouvait l’aider.

À peine cette pensée eut-elle germé dans son esprit que, de son orbite, jaillit son autre œil. Le loup sursauta tout gaillard et impatient de vivre. Plein de gratitude, il offrit de conduire la souris partout où elle voudra aller. Celle-ci lui dit qu’elle n’avait qu’un seul désir : aller vers les taches blanches du soleil même si elle ne pourra jamais contempler leur lumière.

- Je suis aveugle maintenant, mais je dois me rendre le plus près possible du soleil.

- Alors, accroche-toi, lui dit le loup.

Et ils partirent dans un coup de vent. Le loup grimpa et grimpa jusqu’aux neiges éternelles, le plus haut qu’il pouvait et dit à Nuage d’Avril qu’elle devait terminer seule son voyage en continuant tout droit. C’était fini pour lui. Et il tomba dans un ravin dans un hurlement épouvantable. La souris hurla elle aussi et commença à grimper seule, abandonnée dans une immensité sans borne. Elle grimpa jusqu’au-delà de ses forces et perdit conscience…

Quand elle s’éveilla, miracle : elle voyait. Elle était au cœur même du soleil. De majestueux oiseaux se tenaient autour d’elle et la contemplaient avec respect. Elle regarda son corps, émerveillée.

Nuage d’Avril, l’humble souris grise, était devenue un aigle.

* Abrégé d'un conte tiré de L'arbre aux trésors d'Henri Gougaud.

1 commentaire:

  1. Merci pour ce beau conte qui nourri.
    Merci aussi pour cette belle illustration bleue.
    Pourriez-vous m'en donner les références?

    Mari

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