26 novembre 2009

"Le conteur"

Une de mes histoires préférées tirée d'un livre(*) d'Henri Gougaud raconte celle de Yacoub et provient de la tradition Juive. Je la résume:

« Il était amoureux du monde, nous annonce d’abord le récit. Mais il souffrait de le voir si brutal, morne et dénué de sensibilité. Lui vint alors l’idée de raconter des histoires sur la place publique de sa ville, Prague. Raconter des histoires dans le but avoué de changer le monde et lui apporter un peu de lumière dont il se savait porteur en abondance. »

« La première journée, des badauds en tout genre l’écoutèrent s’époumoner debout sur un banc puis s’en allèrent rapidement. Changer le monde demande de la persistance, se dit Yacoub, et ne peut se faire en un seul coup. Il ne se découragea pas et dès le lendemain reprit son manège à la même place, fougueux et déterminé, avec la ferme intention de remplir l’air de ses plus belles paroles. Des gens s’arrêtèrent encore une fois, mais moins nombreux que la veille. Quelques-uns le traitèrent de fou et rirent de lui. Nullement découragé, il continua malgré tout, jour après jour. Ces paroles germeront bien dans le cœur des gens quand le temps viendra, se dit-il. »

« Les mois passèrent et Yacoub ne cessa, malgré l’indifférence, de raconter ce qu’il y avait de meilleur en lui-même. Bientôt seuls les nuages dans le ciel et les oiseaux se massèrent pour l’écouter, car les gens ne s’occupaient plus de lui, préférant l’ignorer ou changer de direction en le voyant. »

« Il continua donc à raconter les yeux fermés tout l’amour qu’il ressentait pour le monde sans se soucier d’une écoute qu’il n’attendait plus, car c’est tout ce qu’il savait faire dorénavant. »

« Les années se succédèrent. Yacoub continuait à conter merveilles sans se lasser. Un soir un enfant se planta devant lui et lui dit tout bonnement : “Ne vois-tu pas que personne ne t’écoute vieux fou. Pourquoi perds-tu ton temps à continuer de la sorte à parler au vent et à la poussière?” »

— J’aime les gens, lui répondit-il, c’est pourquoi je ne peux m’empêcher de conter des histoires afin de les aider à être heureux.

— Et le sont-ils?

— Eh bien, non, se résigna à répondre Yacoub en hochant la tête.

— Mais pourquoi continues-tu ainsi, lui demanda l’enfant pris de pitié pour lui?

Yacoub se tint en silence quelques instants, réfléchit puis lança à l’enfant : « Je parle, je raconte et je continuerai ainsi jusqu’à ma mort. Autrefois je le faisais dans le but avoué de changer le monde. Aujourd’hui c’est pour que le monde, lui, ne me change pas. »

* L'arbre aux trésors. Édition du Seuil, 1987, pp. 377-379.

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