16 juin 2012

Histoire de montres


Le temps fuit… et les montres se brisent. Les aiguilles ralentissent, le mécanisme s’empoussière. La pile a des ratés tels un vieux cœur malade et fatigué, et vient un temps où elle doit passer sous le bistouri comme toute bonne matière qui respecte cette mystérieuse loi de l’entropie.

Je reviens d’une visite à mon vieux père Alzheimer. Sa montre ne tient plus le temps, elle ironise sur sa mémoire, elle garde toujours la même heure. « Je vais la faire réparer, lui dis-je ».  « Non, non, elle va bien, ce n’est pas nécessaire ». Le temps s’est arrêté, a disparu, mais quelle importance pour lui. Il est entré corps et âme dans un éternel présent qu’aucune montre, si précise soit-elle, ne saurait faire dévier.

Plus tard dans la journée, je vais faire une marche rapide, pour entretenir le cœur justement, pour qu’il ne me laisse pas tomber trop vite et que son tic-tac se maintienne de façon régulière. À quelques pas d’une intersection achalandée, je croise un vieil homme aveugle. Il marche difficilement. Je lui propose de l’aider à traverser la rue. Il accepte avec joie. À la blague, je lui dis qu’il va trop vite pour moi, je suis essoufflé… Nous rions de bon cœur.  Nous continuons à marcher, il me tient le bras. La conversation s’engage sur son handicap. Il me dit qu’il lui reste un 3% de vision sur son œil gauche et que jusqu’à l’âge de 26 ans il voyait correctement. Puis tout a basculé suite à une maladie.

Autre intersection. Nous traversons la rue à la vitesse d’un escargot. Je remarque alors la montre qu’il porte. La vitre qui recouvre le cadran s’ouvre et se referme à la cadence du mouvement de son bras. Il me dit qu’elle est faite ainsi. D’un coup de poignet, la vitre se pousse pour lui permettre d’apposer ses doigts sur des petits pointillés qui lui indiquent l’heure. Il ajoute cependant qu’elle aurait besoin d’un entretien, « elle est pleine de saleté et la vitre est tout le temps ouverte ». Il rit de nouveau. Rien n’a d’importance, le temps, la vitesse qu’il se déplace, la rue, les autos, la folie du monde.

Nous nous laissons. Il me remercie chaleureusement et je pars de mon côté en pensant à son courage.

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