4 juin 2012

Le diable est dans les détails


J’étais assis confortablement dans la salle d’attente, au garage. Pour une réparation mineure de mon auto. Une heure trente environ, à patienter. Avec le temps, les choses se brisent, la matière se dégrade ou s’abime. C’est une loi de la nature, aussi bien se faire une idée…

Donc, j’attendais. Mais avec une lecture sous la main : C.G. Jung, l’Âme et la Vie. Rien que du solide, une pensée à méditer la vie durant, si le cœur vous en dit. Moi, il m’en dit. Et je me trouvais quelque part entre la lune et Jupiter à soupeser un paragraphe, quand une présence me tira subitement du lit douillet de la contemplation. Je fis une pirouette suivie d’un salto arrière avec coefficient de difficulté à 9,2, et je me retrouvai à nouveau dans mon corps, sain et sauf.

La présence, une dame dans la cinquantaine avec un joli sourire à l’avenant, s’assit sur la chaise à côté de moi. Elle entreprit la conversation en soulignant son étonnement de me voir avec un livre dont le titre possède le mot "Âme". Moi aussi je m’intéresse à l’âme, me dit-elle. Me vint furtivement l’idée de lui demander de préciser ce qu’elle entendait par ce mot, mais je m’abstins. Trop ceci, trop cela… Puis elle me sortit l’artillerie lourde : la bible, La tour de garde. J’avais à côté de moi un « témoin de la vérité, une amie de Jéhovah ». Elle parla, j’écoutai. À un moment donné, je lui dis sincèrement que je trouvais belle sa ferveur, que j’admirais son enthousiasme, son envie d’absolu. Elle me remercia. Toutefois, je lui fis part aussi que, bien franchement, je ne pouvais pas souscrire à son interprétation des choses, telle que voir le mal partout, voir ce diable fou en action dans le désordre de la vie et ses institutions, voir la corruption à l’œuvre dans chaque geste et décision prises autour de nous. Je lui dis ça pour la soulager quelque peu en pensant qu’il ne devait pas être drôle de porter en soi à chaque heure du jour un message d’apocalypse et d’Armageddon à venir. Ne faites-vous pas un peu de boudin et de projection, osai-je alors lui susurrer à l’oreille? Là elle se raidit et je sus que c’en était terminé. À vrai dire, j’avais fait exprès. Je ne voulais pas me faire contaminer davantage.

Ce discours si prévisible et cousu de fil blanc sur l’horreur du monde et ce besoin de perfection me bouleverse à chaque fois. Je vois des gens inquiets et désorientés à la recherche d’une lumière dehors, là quelque part, incarnée dans une personne, une religion, une idéologie, qui viendrait prendre en charge la vie entière et qui donnerait enfin un sens à ce foutu bordel inexplicable. Toujours la même affliction sur l’imperfection du monde, toujours cette attente après quelque chose de grandiose et d’immuable, un paradis définitif. Puis nous finissons par désespérer, car l’ignominie semble se perpétuer à jamais.

Quand même étonnant de constater que jamais nous ne pensons à chercher une solution en nous-mêmes. Autrement dit, comment prétendre changer quoique ce soit pour le mieux à l’extérieur alors qu’en soi il n’y a que peur, agressivité, envie d’en découdre avec l’autre, ressentiment et j’en passe? Peut-être serait-il temps de commencer à réparer ce monde fissuré de partout qui existe bel et bien en nous. Et retrouver une sorte de paix ou à tout le moins d’accalmie. Non, non et non, qu’on nous dit, nous sommes victimes, et puis à quoi bon!       

Est-il si inconcevable d’aimer le devenir, le changement et l’imperfection des choses? « Nous sommes en permanence nécessaires à la création quotidienne du monde. Nous ne sommes jamais les gardiens d’un accompli, mais toujours les cocréateurs d’un devenir », nous rappelle Christiane Singer.

Ce n’est pas juste un détail. Il y a de l’ouvrage qui nous attend…

« Et soudain la voix à mon oreille : Et qu’attends-tu pour devenir celui que tu attends? » C. Singer


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