12 janvier 2011

Lettre à Cela

Tu dois te souvenir de ma première missive écrite alors que j’avais dix-sept ans? Je commençais par ces mots : « Quel affreux désordre, quel pandémonium, quel gâchis! Le monde, ton monde, est une poubelle! Et toi qui ne fais rien, accoudé à la passerelle à regarder ce spectacle désolant. » Nous étions dans les années 70 — je sais, pour toi le temps n’existe pas, il est superflu, mais pour nous, pauvres mortels, tu ne peux pas imaginer comme il est terrible! — c’était la drogue, la guerre au Vietnam, la « guerre froide », avec ce fléau de la bombe atomique suspendu au-dessus de nos têtes.

Je ne comprenais rien à tout cela, je ne comprenais rien à la vie, point!

Je ne comprenais rien et je désirais fuir. Par tous les moyens. Fuir cette violence, fuir l’imbécillité, fuir la conformité. J’ai donc fui, pour me retrouver ensuite au même endroit, à la même place qu’avant. Mais avec un mal de tête et ce même devoir de vivre…
                                                                                                            
Tu as dû constater que, petit à petit, après mon grand chahut (si minuscule pour toi, je sais) que je ne regrette pas, car il m’a fait du bien, l’effet d’une catharsis comme on dit, petit à petit donc, j’ai regagné la portion de terre qui m’était destinée. Il y avait un travail à accomplir…

Pas facile, non. Tu as toujours mis la barre très haute. J’ai accepté, graduellement encore une fois — car, tu vois je suis lent et lorsque je me presse je fais alors du sur place, ou pire, je recule – que je suis ici, maintenant, pour comprendre, pour expérimenter. Pas juste moi, nous tous, ensemble, partout dans notre grand jardin où fleurissent beauté et laideur, désirable et indésirable, bonnes et mauvaises herbes.

Je dois te le dire, je sais que tu veux que je te le dise, j’ai tellement peiné, j’ai tellement pleuré à fouler ta terre. Elle qui m’a tant donné; qui m’a tant appris et qui a fait naître en moi un tel sentiment d’humilité. J’ai fini par me tranquilliser…                                                                                                                                  
Là, ensuite, je sais que tu m’as proposé de résoudre un paradoxe. J’ai senti comme un coup de coude venant de l’intérieur et j’ai pensé que ça venait de Toi, vu que justement cette tranquillité m’habitait. Est-ce exact? Peu importe… Une chose est sûre, l’impulsion n’a jamais cessé et me dit chaque fois davantage de me passionner pour cette vie.

Me passionner tout en demeurant paisible, dans la demeure de la tranquillité, voilà la proposition, me semble-t-il.

Je ne sais pas, je ne sais toujours pas si j’ai réussi à résoudre cette quadrature du cercle. En tout cas, chemin faisant, je peux t’assurer que j’ai cessé de chercher des excuses à mes gestes, à mes paroles.

Il y a eu purge. Et cette purge achevée, le travail a pu reprendre, sans attente, mais avec une certitude en filigrane : cette vie est précieuse, c’est un bijou, un miracle.

L’abandon à la vie n’est jamais simple. On s’attend à la beauté, à la bonté. N’ont-ils pas tous déclaré que Toi, Dieu, comme ils aiment te nommer pour se rassurer, tu es cette bonté infinie et que dans le sort de tes mains nous pouvons naviguer à l’abri de toutes vagues traîtres? Je n’en crois rien. On ne s’abandonne qu’à nos risques et périls. Tu veux le meilleur de nous-mêmes. Tu veux le courage, la profondeur, la sagesse. Tu es le combustible qui alimente un feu qui nous dévore. Tu es la cendre de nos illusions qui s’envolent, soufflées par les grands vents venus d'ailleurs. Tu veux un être à nu qui ne cille pas devant un monde qui rugit et qui tonne. Tu veux une mort et tu veux la vie.

Tu es Cela.

C’est ton nom, pour moi.

Je pourrais te nommer autrement, employer mille noms obscurs. Je pourrais inventer des codes secrets, des allusions mystérieuses, choisir des mots inconnus. Je pourrais m’amuser toute une vie à fabuler, et si la peur me gagnait, me recroqueviller à jamais dans la chaude candeur des tristes croyances.

Tu préfères que je me taise, que je ferme les yeux et que j’écoute. Oublie-toi, me suggères-tu sans cesse. Vois, connais, sois simplement toi-même libre et heureux. N’aie pas peur, ris, ris un bon coup! Et puis fais-toi plaisir : trompe-toi dignement, avec grâce, sans jamais faiblir.

Maintenant je me demande si je joue bien l’atout dans mon jeu. Est-ce que je vis et maîtrise ce destin qui m’est dévolu? Pourrais-je faire mieux? Je te pose ces questions et je sais pourtant comme elles demeurent ridicules. Allons donc! Je fais toujours du mieux que je peux, compte tenu des circonstances du moment, compte tenu de mes forces et faiblesses du moment. Le jeu se joue toujours au présent. Nul n’est un pur esprit. La vie se vit toujours au présent, on n’y échappe pas. Nous faisons toujours pour le mieux. Et personne ne doit dire si c’est peu ou beaucoup. J’exagère? 

Je me demande si tu n’es pas seulement celui par qui les problèmes surgissent. Problèmes que nous dénouons par la suite en posant davantage de questions. Qui sont à leur tour répondues par une accumulation d’autres problèmes. Ainsi de suite. Ce qui demande de bien affûter son sens de l’observation, d’écouter et d’écouter encore. D’embarquer quand le train passe et d’aller là où la foule ne s’agglutine pas. De se libérer de la peur, le véritable ennemi qui ronge notre cœur. D’aimer, se passionner pour un genre de vie unique, celui d’un guerrier solitaire.

Je ne continue pas moins de m’en remettre à toi, l’obscur. De m’en remettre à toi, le lumineux. Tu es dur en amour, mais comment ne pas pardonner à celui qui te propose tant d’expériences captivantes?

Je m’en remets à Toi.

1 commentaire:

  1. "se passionner pour un genre de vie unique." Cette phrase me touche beaucoup car elle réjoint ma pensée - ma façon d'aborder cette expérience unique qui nous est offerte:) celle de choisir d'ÊTRE ce pour quoi nous sommes ici et maintenant.
    merci pour cette belle réflexion .

    RépondreSupprimer