30 novembre 2010

Les mots

J’ai une méfiance instinctive envers les mots. « Ce qui est vraiment dit, ce n'est jamais avec des mots que c'est dit. Et on l'entend quand même. Très bien. » Christian Bobin est juste : notre manière d’être parle à tue-tête et ne saurait mieux signifier ce que nous sommes vraiment.

Les mots ont leur limite et chacun en fait un emploi à sa mesure. Ils servent à dire l’indicible et à cacher l’évidence. Ils se montrent lourdauds lorsque la légèreté serait de mise et frivoles lorsque le moment demande du sérieux et de l’application.

Bref, il en va des mots comme des gens et ce qu’il faut soutirer d’eux exige patience et discernement.

Il y a des mots comme Amour-Dieu-Bonheur qui nous touchent de près, car ils se rapportent au sens commun, à une connaissance partagée de tous. Mais que sont-ils exactement, que représentent-ils? Expliquez-moi avec précision. Comme le Temps nous connaissons leurs effets sur notre vie et leur absence témoigne implicitement de leur réalité. Mais est-ce tout?

Je crois le danger bien réel de les employer sans pudeur et sans précaution, car ils perdent alors de leur valeur, de leur force ainsi que de leur emprise avec la réalité, avec ce sens à la vie toujours à recréer. L’autre danger non moins important est de sombrer dans une sorte de fétichisme des mots, croyant que certains d’entre eux sont chargés de pouvoir et qu’il suffit de les dire pour faire apparaître la réalité ainsi nommée. Les mots ne sont pas les choses et tomber dans cette croyance des « mots chargés » ne manifeste que le désir inavoué de contrôler autrui, de l’impressionner ou pire, de notre incapacité à faire l’effort voulu pour percer le mystère de nos vie avec nos propres mots, nos propres images et expériences.

Il y a aussi toute cette palette de mots qui circulent au-dessus de nos têtes dans le paysage public et que nous entendons et lisons sans que nous leur prêtions une attention particulière. Ils sont les sésames qui ouvrent toutes les portes à la bonne pensée, celle qui se perçoit comme « correcte » et que nous devons utiliser à bon escient afin de bien paraître en société, de bien nous vendre ou d’accumuler un capital de sympathie.

Combien de fois avez-vous lu ou entendu les mots « durable », « équitable », « responsable » et « vert » ces dernières années? Il y en a d’autres de même acabit, et à chaque fois j’ai l’impression qu’on veut marteler ma conscience et m’enfoncer un pieu de force dans le cœur.

Bobin encore : « Les mots sont comme les gens. Leur manière de venir à nous en dit long sur leurs intentions. »

Et que penser de cette remarque de Gustave Le Bon trouvée dans Aphorismes du temps présent : « En politique, les choses ont moins d’importance que leurs noms. Déguisées sous des mots bien choisis, les théories les plus absurdes suffisent souvent à les faire accepter. »

Dites peu, avec respect, et je vais vous inviter chez moi…

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