10 septembre 2012

Idiosyncrasie


Voyons voir, est-ce moi le dérangé? Possible. Possible, car à chaque fois que je vois une cohorte de gens s’agglutiner avec élan autour d’une même idée, je m’enfuis. C’est un essaim d’abeilles, j’ai peur d’être piqué. C’est une armée de fourmis, j’ai peur d’être envahi.

On ne m’enlèvera pas cette prudente folie. J’ai le doute facile, je l’avoue. Néanmoins, chaque fois la même question me revient en force : pourquoi cet emportement en banc de poissons, et surtout, pourquoi cette volonté terrible de crier le plus fort possible pour mieux convaincre à tout prix l’autre (cet étrange insoumis) qui ne suit pas la parade?

Je n’ai rien contre le vivre ensemble même si je suis d’une nature solitaire et un peu sauvage. Je n’ai surtout rien contre le fait le partager une culture commune, une langue commune dans une nation où il fait bon de s’exprimer librement et d’être créatif.

Je suis né au Québec et je suis fier d’être québécois.

Mais cela ne résume pas tout. Il n’y a pas là une qualité, c’est plutôt un état d’être dans un lieu géographique particulier. Et même si ce lieu d’immensité, ce lieu d’une grande beauté avec sa nature sauvage me marque et façonne mon identité, puis-je raisonnablement me réduire à cette seule légitimité de langue et d’espace géographique ?

À l’intérieur de ce cadre, certaines qualités primordiales restent à développer et promouvoir, des qualités humaines qui sont en fait, disons-le, des vertus individuelles et qui vont à l’encontre d’une paresse résiduelle qui nous afflige tous à un moment donné de notre vie.

Par exemple : nous avons une conscience aiguë du changement. Mais nous n’avons pas le temps de voir ce qui surgit, car les changements se produisent à une cadence effrénée. Comme nous ne savons pas ce qui nous attend, il y a toute cette angoisse qui se développe et finit par nous étreindre. On se dit alors, réflexe conditionné aidant, qu’il faut du changement, mais du solide cette fois-ci, ça presse. Voyez les slogans des partis politiques lors des campagnes électorales. Tous prônent le changement.

Avons-nous songé qu’il serait peut-être temps de chercher un rythme à la place, et un rythme qui nous soit plus naturel, qui respecte notre capacité de compréhension et d’acceptation? Plutôt que de nous atteler à la tâche, n’avons-nous pas tendance à fuir et à nous réfugier dans des idéologies de certitudes et des dogmatismes à toute épreuve? La vertu désignée à mettre en évidence serait alors la patience ou cet art presque perdu de prendre du recul qui se métamorphose souvent, si on l’assume, en un art de ne plus nous prendre trop au sérieux.

Pascal Bruckner dans son dernier livre : Le fanatisme de l’Apocalypse, nous précise : « Nous traversons bien une crise des modes de vie qui rend les changements impératifs. Catastrophe n’est jamais qu’un grand mot pour métamorphose. C’est à la fois un malheur et un dénouement, une tragédie et une transition. L’angoisse de notre temps est l’angoisse du passage, l’effritement d’un ordre qui se décompose sans que nous sachions ce qui lui succédera. »

Nous voulons du changement, mais nous en avons une peur bleue.

Je crois utile aussi de nous méfier des tribuns et tribunes (tous ces médias dits sociaux) qui prônent une nouvelle révolution, ou du moins, un soulèvement au nom du peuple. Elle cache malheureusement une volonté de pouvoir, une volonté de dicter sa propre loi en se servant des gens comme levier. Elle cache un caractère violent qui ne parvient pas à se dissimuler, surtout à travers paroles et écrits qui pullulent et font pourrir les idées et la réflexion sérieuse. Nous en avons eu un exemple probant à travers le psychodrame du « printemps érable »  Les nouveaux prêcheurs bousculent tout, ils ont la force de conviction, ils sont imprégnés de certitudes et enveloppés de la chape glorieuse de la vérité. Il ne faut donc pas nous mettre sur leur chemin, sous peine d’être écrasé. Ils ont le bien de leur côté puisqu’ils prétendent parler au nom du peuple, comme pour cacher leur égocentrisme. « Je me demande ce qui pousse des gens à systématiquement ramener tout désaccord politique à une lutte à finir entre le bien et le mal. D’où vient ce besoin de transformer son adversaire en diable? Du plaisir qu’on en retire à se présenter d’un coup comme un croisé démocratique? De l’excitation qu’on a à jouer au maquisard bien assis devant son ordinateur, à pianoter sur son portable? De la simple inculture qui fait en sorte qu’aujourd’hui, même les gens les plus éduqués ont une culture historique relative, ce qui les amène à ne pas connaître le sens des mots qu’ils utilisent? De l’expansion des réseaux sociaux, qui permettent à chacun d’étaler ses passions idéologiques en public, sans prendre la peine de réfléchir suffisamment avant d’écrire? Toutes ces réponses? Peut-être. » Il y a certainement une bonne dose de sagesse dans ces propos de Mathieu Bock-Côté.

Que pouvons-nous faire pour contrer ce raidissement dans un dogmatisme d’hostilité dont nous voyons trop souvent la prédominance dans le discours actuel? Un peu d’imagination sans doute. C'est-à-dire la capacité de nous mettre à la place de l’autre. Un peu de respect et de bienveillance. L’autre aussi est digne d’attention et d’écoute.  

Respirer par le nez.

Comme l’affirme Pascal Bruckner déjà cité : « La meilleure des causes, entre de mauvaises mains, peut dégénérer en abomination. Cela reste la grande leçon du XXe siècle. »

Nous avons besoin de la vérité de tous ceux que nous côtoyons, nous avons besoin de l’entendre et de la voir circuler. Des échanges coordonnés surgit alors la politique, cet art de vivre ensemble dans un milieu reconnu de ses habitants à une période précise de l’histoire.

Par tempérament, je m’oblige cependant à prendre du recul et à m’éloigner du courant principal et des rumeurs de toutes sortes.

Par tempérament je préfère à bien des égards un simple mot de la même famille que le mot politique. Un mot et surtout une réalité souvent méconnus, que nous avons oublié sans doute, que nous associons ou accolons au politiquement correct, un mot et une qualité rare que nous cherchons bien souvent à inculquer à nos enfants, mais qui disparaît soudainement, devenus adultes, lorsque nous nous réfugions derrière nos écrans d’ordinateur, derrière notre idéologie, derrière notre groupe d’intérêt, bien au chaud, à l’abri.

Ce mot a un petit quelque chose de suranné, mais moi je l’aime et j’essaie autant que possible de le mettre en évidence, de le concrétiser dans mes rapports avec les autres, dans ce que j’affirme et écris.

Ce mot, je ne vais pas vous l’imposer, il se nomme : politesse.  

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