12 avril 2012

Serge Bouchard, l'anthropos.


Il est des êtres remarquables qui ne sortent pas du lot. Ils se foutent d’ailleurs de leur anonymat ou de l’intérêt que leur porte de temps à autre le grand public. Ils sont fidèles à eux-mêmes et continuent à travailler, à s’exprimer avec une sorte de désintéressement un peu bon enfant, si je peux dire.

J’ai entre les mains le dernier livre de Serge Bouchard. J’avoue avoir un faible fort appuyé pour cet anthropologue. S’il en est un dont il faudrait écouter la voix qui ne crie pas, qui ne s’agite pas à tout propos, qui ne répand pas ses tripes devant nous dans le seul but d’attirer l’attention, c’est bien lui. Un vrai grand homme humble, un peu sage et fou, dont on n’osera jamais pointer un doigt accusateur, car il est ce qu’il est, c’est à prendre ou à laisser.

Même son nom laisse à désirer. On ne peut pas être reconnu avec un nom de même. Une vedette endosse fièrement son nom, un nom qui porte, qui transcende les autres. Un nom comme Sidney Crosby (avec deux y) ne pourrait pas être médiocre au hockey. Robert Charlebois, Luc De Larochellière, Bernard Arcand, me semble que ça sonne bien, c’est chouette à entendre et commande un certain respect pour leur domaine respectif. Mais Bouchard! Et Serge!

Je suis sûr qu’il est insensible à cette futilité. Et moi aussi, évidemment. Par contre, ce qu’il nous dit, ce qu’il nous raconte, car c’est un fieffé conteur, là c’est une autre paire de manches. Inversement proportionnel à la banalité de son nom.

Comment, en effet, ne pas souscrire à ces quelques morceaux choisis puisés de son dernier recueil de texte : C’était au temps des mammouths laineux.

« Cela a existé, un temps passé où rien ne se passait. Nous avons cheminé quand même à travers nos propres miroirs. Dans notre monde où l’imagerie était faible, l’imaginaire était puissant. Je me revois jeune, je revois le grand ciel bleu au-delà des réservoirs d’essence de la Shell, je me souviens de mon amour des orages et du vent, de mon amour des chiens, de la vie et de l’hiver. Et nous pensions alors que nos mains étaient faites pour prendre, que nos jambes étaient faites pour courir, que nos bouches étaient faites pour parler. »

« Quand la mort se rapproche de nous, c’est comme une porte qui s’ouvre. Impossible de décrire le courant d’air. La mort nous (impose le) silence en effet, elle fait le calme inquiétant. La mort ne se cache pas, mais elle conserve son secret. Nous la voyons depuis toujours mais nous n’en avons jamais rien su. La mort est tellement ordinaire. (…) Une chose est sûre : mourir nous libère de la mort. Ce qui n’est pas rien. »

« Pied de Corbeau, le malheureux maître pied-noir, est réputé pour avoir dit au moment de mourir : la vie n’est pas plus que la brume du souffle du bison, petit nuage fragile qui flotte un instant dans l’air glacial du petit matin, elle n’est pas plus que l’éclair minuscule de la luciole dans la nuit. Mais connais-tu quelque chose de plus beau qu’une luciole dans la nuit noire, qu’une silhouette de bison à l’aube dans la prairie? La vie est tout ce que nous avons. Il faut savoir vivre jusqu’à sa propre mort, tout vivre, ses victoires comme ses défaites, ses élans heureux comme ses élans malheureux. »

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