4 avril 2012

Notre-Drame en Sept Douleurs


1) Naissance : De la lumière crue, sans regard à mes pauvres yeux. Désorientation totale. Je peux le confirmer puisqu’on me vira à l’envers comme un vulgaire poulet prêt à l’emballage. Bienvenue chez toi! Et comme de raison, on s’est attendri puis extasié devant mes cris. Moi, mes poumons me brûlaient, c’était le sens exact de mes pleurs. Drôle d’endroit. Blanc crémeux, odeur de formol.
  
2) École : Ne pas bouger. Écouter. Prendre son crayon. Ne pas bouger, écouter, prendre son crayon. Silence! L’enseignante a dix fois mon âge, dix fois mon poids et parle comme si elle devait absolument me faire peur. C’est sombre. Où sont mes amis, ma famille? Tout n’est que poussière, bois humide et vieilles chaises qui craquent. J’ai envie de pleurer, je me retiens. Je pourrais être la source du nouveau plus grand fleuve du continent.

3) Adolescence : Je ressemble à un extraterrestre. J’apprends à courir de plus en plus vite pour fuir mon ombre. Et les filles, les filles… Je ne parlerai pas des filles, je ne peux pas, je n’y comprends rien. Il reste le sport, les amis et quoi d’autre? Mes parents? La vie est un long fil ténu. Il y a les obligations, les études, suivre le moule, suivre le moule…

4) Mise en orbite : Je tourne autour du monde, de ses nécessités, son labeur, ses cris et ses espoirs. Le grand système m’est étranger. Mais qu'est-ce qui se passe? Le monde est une poubelle, mais je ne me résigne pas, je dois créer un sens à tout ce bordel. Fin des études, premier emploi, hors du cocon. La vie, la vie! C’est pénible et je ne comprends rien. Et toutes ces brutes qui ne peuvent te sentir et qui cherchent à t’aplatir!

5) Mi-temps : Tout va toujours trop vite. Je me bats avec le temps qui se compresse, avec les responsabilités qui m’étouffent. Je voudrais tant fuir et redécouvrir cette zone de l’enfance où le rêve est un royaume toujours vivant. Ralentir, ça urge! La pression m’étrangle et l’air vicié des bureaux me monte à la tête. J’envie l’existence des grenouilles et des libellules en bordure de grands lacs sauvages.

6) Vieillesse : Quoi donc? Tu ne pensais pas t’en tirer tout de même! J’ai le chien qui dort et qui cherche son énergie. J’ai les sens dans la brume et de la souffrance où ça craque. Perte de contrôle, perte de mémoire, perte d’acuité, perte de jouissance. Vieillir, c’est perdre.

7) Mort : Peur de l’inconnu et du grand moins définitif. J’effleure le lit de la mort où se couche une absence d’être. Comment s’assurer d’une suite à tout ça, la vie, puisqu’on m’exhorte de ne pas partir? Il fait sombre dans ma tête et le drame s’achève. Tout est clinique, prévisible, immobilité et sècheresse. La flamme s’éteint, s’éteint le temps, le beau le laid le lys la mer le ciel les chants du monde et le choix de continuer dans l’infini des grands brouillards d’automnes.

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