8 juillet 2010

Mains de fer dans des gants de vélo


C’est inévitable. Quand l’été s’installe, ma « rossinante » piaffe d’impatience dans le cabanon. Je l’entends cogner dans la porte et s’indigner de la laisser trop longuement au bercail. Elle veut la route, elle veut grignoter des kilomètres de route, fendre le vent, grimper des côtes impossibles, rouler à pleine vitesse dans des descentes à faire tressaillir les anges, elle veut sa liberté, son bonheur, et cette volonté devient la mienne puisque depuis si longtemps nous ne faisons qu’un, elle et moi, dans un partage d’euphorie et de douleur.

Dès que l’occasion se présente, j’enfourche mon vélo, un hybride pas d’allure en chromoly, léger, confortable, vingt et une vitesses aux poignés et docile comme pas un. Je sais, il se fait beaucoup mieux sur le marché, mais je suis fidèle, car ce vélo a scandé mon rythme sans jamais défaillir et il s’est tellement imprégné de ma personne qu’il a fini par en devenir mon extension personnelle. Je lui ai même donné un nom : Mike Dubé. Comme dans Mike the bike et Dubé, du bécik. (En passant, mon ex grand boss s’appelait Michel Dubé. Comme quoi il ne cessera jamais de me faire pédaler, lui…)

Mon vélo n’est pas fait pour la course, il n’existe que pour me transformer en ti-cul de 12 ans toujours avide de sensations et de liberté. Je m’accroche bien fort à son guidon et je prie alors de ne pas me casser la gueule.

Mais surtout, je lui suis redevable de randonnées inoubliables…

Vallée de la Jacques-Cartier. Je roule comme un fou. Je suis seul sur un sentier, éperdu dans la forêt, amoureux de toute cette verdure sauvage, un oiseau volant à travers les arbres, un loup sans repos, sans besogne. De longues minutes à transcender racines et roches, à transcender la peur, pour aboutir finalement au calme de la détente parfaite.

Saint-Léon de Standon. Les Appalaches et ses routes aussi peu plates qu’une paix définitive au Moyen-Orient. Je m’arrête près de la rivière Etchemin, écoute deux ou trois portées du chant de l’Oriole de Baltimore perchée au faîte d’un grand peuplier puis repars, satisfait, vers mon refuge dans la forêt.

L'Isle-aux-Grues. Au sud de l’île, dans l’érablière, le chemin se transformant en minuscules circuits presque imperceptibles à l’œil à travers les broussailles. Qu’à cela ne tienne, je roule. Je veux me perdre dans ce labyrinthe, mais je n’y arrive pas, car tout sentier aboutit inévitablement quelque part…

Il y a aussi la ville. Je connais ses dangers, je sais la coexistence difficile avec l’automobile. Ma monture devient alors toute petite, et sans jouer au plus fin le gamin se fait adulte, vulnérable et respectueux, néanmoins avide de grignoter côtes et entrecôtes, à manger du bitume avec appétit et jouir d’instants précieux.

Je ne ferai jamais le « Tour de France ». Je ne veux que pédaler au rythme du vent qui siffle à mes oreilles et continuer aussi longtemps que le corps me le permet. Je rêve d’un monde à vélo et de longs sillages lumineux. Je rêve de traces de bonheur roulées dans l’effort qui embellissent quelques moments de nos vies.

Je veux des milliards de vélos et des milliards de ti-culs!

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