29 octobre 2012

Chute à l’Ours et « œil américain »


Lorsque nos yeux se portent vers le ciel étoilé, nous identifions des formes familières, des formes dessinées par l'homme : un chaudron ici, une croix là… Des dizaines de constellations sont ainsi nées de notre propre regard. Nous nous sommes projetés dans le ciel pour tenter d’expliquer toute cette immensité et ce vide prodigieux. Notre imagination a alors fini par trouver une interprétation « à ce grand silence des espaces infinis ».

Ce qui nous impressionne, ce qui nous fait sentir tout petit et impuissant, nous tentons de le conjurer en le contournant, en le soupesant et l’interprétant. C’est là le pouvoir de l’imaginaire de l’homme. C’est là son génie.

À l’approche des bruyantes cataractes de la « Chute à l’Ours », j’ai senti le même effet se produire sur moi. Je me suis tenu debout de longs instants sur les grands rochers plats bordant cette majestueuse rivière, l’Ashuapmushuan, afin de me laisser pénétrer par toute cette puissance indomptée. Il y d’autres rivières qui viennent se jeter avec panache dans le Lac Saint-Jean au Québec, mais à ce point nommé de la « Chute à l’Ours » près de Normandin, c’est comme si mon cœur avait cessé de battre. Tout d’un coup.

Une question me tarauda pendant l’heure à marcher sur le sentier bordant les rapides. Presque à l’obsession. Comment faire pour naviguer en canot sur les flots d’une telle rivière afin de se rendre sans encombre jusqu’au grand lac?

Mon imagination s’était mise au travail.

Pierre Morency dans son livre « L’œil américain » nous parle de ces premiers Européens qui ont côtoyé les autochtones en les suivant dans la forêt, sur les cours d’eau, à la chasse et la pêche. Ébahis devant leur facilité à se fondre à l’environnement, se tenir cois, scruter et traquer n’importe quels indices autour d’eux, jouer de prudence et de discrétion, bref tout voir et entendre avec acuité autour d’eux, ces Européens décrétèrent que « l’Indien » avait l’œil américain.

J’ai donc joué à l’Indien. Un Indien en compagnie de son clan. J’ai cherché tous les moyens possibles pour traverser les rapides de la Chute à l’Ours. Une impression tenace me disait qu’un passage existait, malgré les risques.

Est-ce que j’accomplirais moi-même cette chevauchée, c’est une autre histoire. Par ailleurs, en adoptant la posture de l’Amérindien, je me suis transformé en un observateur autre d’un problème concret. Avec un autre point de vue.

L’œil américain?

Quelques jours plus tard, en lisant une énième fois articles de journaux et chroniques d’humeur sur le conflit étudiant au Québec ainsi que la violence générée par les manifestations, j’ai pensé qu’il y avait un lien à faire avec ce passage à haut risque des Chutes à l’Ours. C’était peut-être ça mon obsession...

Vaut-il mieux s’aventurer avec témérité et impatience sur ces dangereux rapides ou plutôt réfléchir tranquillement aux moyens possibles de passer au travers sans nous noyer ou nous blesser inutilement?

Le chemin est long jusqu’au lac puis au fleuve puis à l’océan.

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