10 février 2012

Docteur ès scatologie


Nous sommes en crise, mesdames et messieurs! Nous sommes dans la merde! Le climat est déréglé, l’économie et la finance n’arrêtent plus de vaciller, des épidémies nous menacent. Bref, tout ne va pas pour le mieux et plusieurs ne se privent pas de nous asséner avertissement sur avertissement, comme dans un sursaut inégalé de clairvoyance. Voyez ces penseurs et scientifiques tels H. Reeves et A. Jacquard qui nous somment de nous réveiller, sinon ce sera la fin de l’humanité dans une cinquantaine d’années, tout au plus. À une émission télé de grande écoute, J. Languirand nous serine le même message de réjouissance, le doigt en l’air, en claironnant qu’il a des contacts lui et qu’il sait hors de tout doute ce qui s’en vient pour nous, pauvres mortels.

Les marchands de peur ont changé de peau. Avant ils se drapaient d’oripeaux divins, prophétisant fins du monde et apocalypses à tour de bras, surtout en croix, les genoux par terre de préférence, en nous intimant de faire pénitence comme eux. Maintenant ils s’habillent d’apparats scientifiques, ils ont tout calculé, tout étudié, tout prévu, et leurs constats savants n’ont rien de lendemains qui chantent ou d’avenir radieux.

Je sais, j’ironise. Je trace à gros traits et je me moque de ceux qui s’exécutent sans vergogne et que nous lisons ou écoutons religieusement. Mais est-ce que savoir et être conscient et lucide c’est prétendument et certainement toujours prévoir le pire? Ne faut-il pas reconnaître aussi une position plus que confortable à tous ces penseurs de l’imbuvable : s’ils se trompent c’est le statu quo ou mieux, un changement positif? Leur bonne conscience se voit ainsi préservée. « On s’est fourvoyé, c’est tout! »

Je ne suis pas un optimiste né, beaucoup de situation et de comportements m’exaspèrent. Il y a bien des fois où je ne comprends plus rien et suis désemparé. N’empêche, je me dis que la vie et cette réalité-là, celle devant nous, a toujours eu sa part de chaos et de changements inattendus, qu’il en est ainsi depuis toujours, c’est comme ça, et qu’il serait peut-être temps d’apprendre à accepter le non-sens et tout ce désordre puisqu’il semble que ce soit l’essence du monde et sa saveur.

Reconnaissons tout de même des effets pervers à voir et affirmer le pire. (i) Aussi bien en profiter puisque la fin approche, on dilapide tout, on s’enrichit de manière obscène en se fichant des conséquences. (ii) Inquiets et morts de peur, figés par l’angoisse, nous tombons malades et en dépression plus souvent qu’à notre tour. (iii) L’homme occidental vit dans la culpabilité, car il entend constamment que sa richesse est la cause première de la pauvreté du reste du monde. Il ne peut pas vivre heureux aux dépens des autres, c’est clair.

Dieu que ça va mal et que le monde ne tourne pas rond! C’est vrai puisque les médias nous le montrent aussi un million de fois par jour. Ils vocifèrent et crachent le morceau pour que nous soyons bien sûrs de comprendre et d’admettre enfin la vérité : vivre est dangereux! Il y a plein de gens malhonnêtes qui nous entourent, nous baignons dans une soupe caustique remplie de virus mortels, des compteurs électriques dits intelligents dégagent des ondes malfaisantes, les coffres de notre régie des rentes seront à sec en 2035, pas une année de plus, certain!

Heureusement que nous avons encore des yeux pour voir et constater par nous-mêmes directement, sans intermédiaire, le strict déroulement des choses, sans nous raconter d’histoires. C’est bien dommage pour la confrérie des marchands de peurs, d’illusions et de rêves, mais il est quand même permis de penser que la réalité est beaucoup plus prosaïque et terre-à-terre qu’ils nous le disent. Je vais donc dans le sens de ce qu’affirme Ryszard Kapuscinski dans Autoportrait d’un reporter : « Les médias ont créé une vision du monde très politique, chaotique et totalement déconnectée de la longue durée, autrement dit des institutions sociales, des attitudes, des mentalités et des préoccupations des gens simples qui constituent 90% de toute société. »

Je suis enfin d’avis qu’il y a toujours quelqu’un, quelque part, un illustre inconnu qui travaille seul, « dans son garage », à chercher, inventer, créer un bidule, un truc, une patente qui nous permettra d’améliorer notre sort à tous, du moins le rendre acceptable sans que nous soyons constamment aux prises avec des conflits interminables de visions et d’idéologies trop souvent déconnectés de la vie.

C’est la déesse créativité qui nous maintient éveillés. L’imagination, cette folle du logis, contribue à freiner la violence, car elle supporte l’art de se mettre à la place de l’autre et permet d’entrevoir quelques solutions jamais envisagées auparavant. Donnez-moi à choisir entre l’imagination et la volonté, la première gagnera mon assentiment, à coup sûr. La seconde pèche trop souvent par l’envie de dire non (je ne veux pas, je ne veux plus) de manière exclusive. Et entraîne la mort… Fatalement.  


1 commentaire:

  1. Nous sommes la première génération qui peut se vanter de préparer la tombe de l'humanité.

    RépondreSupprimer