25 novembre 2013

Jouer ou non?

Au petit parc, l’autre jour, je croise une dame qui me prend à témoin et commence à gesticuler et à critiquer de manière virulente les travaux qui s’effectuent justement à cet endroit. Il est situé près d’un musée et est un havre de paix et de jeux pour la population environnante. J’y vais moi-même régulièrement pour me reposer et l'affectionne beaucoup.

La dame m’oblige donc à remarquer le saccage dudit parc, même si tout sera reconstruit. Sous quelle forme? Je ne le sais pas. Peut-être le sait-elle? A-t-elle vu les plans? Son indignation me laisse perplexe, je crois l’entendre dire que jamais elle n’aurait laissé faire ce saccage, elle. On aurait dû consulter, d'autres auraient pu s’opposer férocement. Elle en fait un cas de conscience et me le laisse savoir avec colère sans que je puisse même lui poser une question ou deux.

Je suis resté perplexe de longues minutes puis je décampai avant d’être enseveli par un torrent de bave.

Modifier un paysage ne va pas de soi, créer du nouveau ne va pas de soi. S’il y a un artiste derrière ce projet, comment prendrait-il cette charge à l'emporte-pièce?

Ce n’est pas tout le monde qui peut être artiste et développer sa créativité. L’art de concevoir nécessite abnégation, détermination et talent. L’artiste prend toute la mesure du sacrifice de soi devant la difficulté inhérente au processus même de créativité. L’artiste n’invente pas tout à partir d’un vide ou d’un silence absolu, il réinvente certes, il s’appuie sur un matériel déjà florissant et remanie, appose des retouches ou reconstruit carrément.

Toujours est-il que la position d’artiste en est une de précarité, d’angoisse et de solitude.

Pour se tirer de cette position peu confortable, il arrive que d’aucuns se placent en position d’entrepreneurs à l’intérieur de la sphère publique. Ils contournent ce malaise de l’artiste pur et dur par une forme de créativité et d’inventivité qui se positionne d’abord sur la fenêtre de l’utilitaire et du pragmatisme. Sur cette bordure du réel, ils créent, proposent et vendent, la qualité du produit n’en demeurant pas moins primordiale.

Mais la critique du même produit se fait féroce surtout s’il prend naissance avec l’argent du public.

Est-ce le cas qui nous concerne ici?

Je ne peux répondre. Ce qui m’agace toutefois, c’est l’ampleur du débordement critique, le non qui jaillit constamment dans les mêmes circonstances et qui appose son sceau de désapprobation systématique comme si ce geste demeurait le plus naturel, le plus intelligent et le seul vrai. Est-ce que la raison serait morte au détriment de l’unique passion?

Je m’indigne, donc je suis! Je dis non, censure et m’objecte de toutes mes forces tout le temps, et c'est la norme.

N’y a-t-il pas pourtant des règles du jeu à respecter, des règles qui existent pour tous et que nous nous devons d’intégrer lorsque l’envie nous prend de jouer à celui qui propose et, en contrepartie, celui qui s’oppose et critique?

À défaut de créer, d’être cet artiste, n’y aurait-il pas lieu d’apprendre à jouer dans notre rapport constant avec l’autre et la réalité?

Qui dit jeu, dit règle du jeu. Aucun n’existe sérieusement sans son assortiment de règles précises et dont la moindre est celle-ci : il faut aussi apprendre à jouer fair-play. Devant l’évidence de ces règles pourrions-nous décider par nous même de refuser de jouer, de ne plus avancer nos pièces, de ne pas respecter le temps, le positionnement, le nombre de joueurs sur le terrain, de refaire le livre de règlement à notre avantage? Ce ne serait plus du jeu.

Afin de mesurer notre capacité à composer avec des problèmes, ne nous viendrait-il pas alors cette envie de maîtriser l’art de jouer. Et ce faisant naîtrait l’apprentissage tout aussi nécessaire de gagner ou de perdre, condition sine qua non du jeu.

Il faut jouer avec la réalité et non pas bêtement dire non devant un problème. Il ne s’évanouira pas par enchantement.

Ça, c’est la magie, et c’est pour les enfants.

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