3 mai 2011

Faire le bien

                                                                                                            « Là où se lève l’aube du bien,
                                                                                                             des enfants et des vieillards
                                                                                                             périssent, le sang coule. "                                                                         
                                                                                                     Vassili Grossman           


Le procès actuel d’un médecin respecté nous démontre à quel point la ligne de démarcation demeure mince entre une souffrance endurée avec courage et abnégation et le bascule dans l’horreur de la tuerie afin d’étouffer définitivement cette même souffrance. Ce médecin pratiquant dans le Nord de Montréal a tué ses deux enfants de 5 et 3 ans en 2009 puis attenté à sa vie suite à une séparation avec sa femme.

Des drames de ce genre, il y en a partout sur la planète. Et la tragédie est d’autant plus grande lorsque se sont des enfants qui sont mis en cause.

Ce que je retiens de ce procès, c’est la raison ou la justification d’un tel geste que nous donne ce père. Il aurait tué ses propres enfants afin qu’ils ne souffrent pas de cette séparation. Il serait passé à l’acte pour leur bien.

Assassiner ses propres enfants pour leur bien!

Ce n’est pas à moi de juger cet homme. Mais comme justification, avouez que c’est gros et difficile à comprendre.

Les pires méfaits sont commis au nom de ce bien qui résonne comme une obsession dans la tête d’individus ou de groupes organisés. À moins d’être un fou ou un psychopathe avéré qui se délecte de la mort ou de la souffrance, nous avons tout de même conscience de cette possibilité de poser un geste extrême et donc d’y renoncer en toute liberté. Nous pouvons nous raisonner, mettre un holà à nos gestes, nous dire que c’est mal. Alors, pourquoi, malgré tout, attenter à la vie de nos proches, pourquoi tuer sans aucune mesure, pourquoi ce laisser aller soudain ou planifié comme si l’autre devant nous n’avait plus aucune importance, comme si le mal n’avait plus aucune existence? 

On serait tenté de dire qu’il y a là une évidence. Pourquoi même y réfléchir?

Pourtant, faire le bien peut être dangereux.

Dans son livre « Mémoire du mal, tentation du bien », Tzvetan Todorov mentionne que « si bien et mal sont consubstantiels à notre vie, c’est qu’ils résultent de la liberté humaine, de la possibilité que nous ayons de choisir à tout instant entre plusieurs options. » Il poursuit en précisant que « les hommes ne font pas le mal pour le mal, ils croient toujours poursuivre le bien; simplement, il se trouve qu’en cours de route ils sont amenés à faire souffrir les autres. La poursuite du bien, dans la mesure même où elle oublie les individus qui devraient en être les bénéficiaires, se confond avec la pratique du mal. Les souffrances des hommes proviennent même plus souvent de la poursuite du bien que celle du mal. »

Les propos de Todorov concernent avant tout le contexte social et politique qui a prévalu au 20e siècle et qui a dégénéré sous la forme du totalitarisme tel que pratiqué par les nazis ou Staline.

Je crois cependant qu’ils s’appliquent tout autant à chaque individu qui se met en tête de vouloir le bien, à le rêver pour ses proches, à l’idéaliser de sorte que ce bien finit par devenir une abstraction en dehors de toute considération pour la vie et l’intégrité de l’autre là devant, concret.

Tuer, faire souffrir ne se justifie pas par l’amour ou par le bien que nous désirons ou que nous érigeons en valeur. La dignité de toute personne, que ce soit un proche ou un étranger, exige plutôt la pratique assidue de cette « petite bonté », de cette bienveillance commune à tous les êtres qui se refusent à vouloir extirper le mal à tout prix de la terre. 


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