Il est des êtres remarquables
qui ne sortent pas du lot. Ils se foutent d’ailleurs de leur anonymat ou de
l’intérêt que leur porte de temps à autre le grand public. Ils sont fidèles à
eux-mêmes et continuent à travailler, à s’exprimer avec une sorte de
désintéressement un peu bon enfant, si je peux dire.
J’ai entre les mains le
dernier livre de Serge Bouchard. J’avoue avoir un faible fort appuyé pour cet
anthropologue. S’il en est un dont il faudrait écouter la voix qui ne crie pas,
qui ne s’agite pas à tout propos, qui ne répand pas ses tripes devant nous dans
le seul but d’attirer l’attention, c’est bien lui. Un vrai grand homme humble,
un peu sage et fou, dont on n’osera jamais pointer un doigt accusateur, car il
est ce qu’il est, c’est à prendre ou à laisser.
Même son nom laisse à
désirer. On ne peut pas être reconnu avec un nom de même. Une vedette endosse
fièrement son nom, un nom qui porte, qui transcende les autres. Un nom comme
Sidney Crosby (avec deux y) ne pourrait pas être médiocre au hockey. Robert
Charlebois, Luc De Larochellière, Bernard Arcand, me semble que ça sonne bien,
c’est chouette à entendre et commande un certain respect pour leur domaine
respectif. Mais Bouchard! Et Serge!
Je suis sûr qu’il est
insensible à cette futilité. Et moi aussi, évidemment. Par contre, ce qu’il
nous dit, ce qu’il nous raconte, car c’est un fieffé conteur, là c’est une
autre paire de manches. Inversement proportionnel à la banalité de son nom.
Comment, en effet, ne pas
souscrire à ces quelques morceaux choisis puisés de son dernier recueil de
texte : C’était au temps des mammouths laineux.
« Cela a existé, un
temps passé où rien ne se passait. Nous avons cheminé quand même à travers nos
propres miroirs. Dans notre monde où l’imagerie était faible, l’imaginaire
était puissant. Je me revois jeune, je revois le grand ciel bleu au-delà des
réservoirs d’essence de la Shell, je me souviens de mon amour des orages et du
vent, de mon amour des chiens, de la vie et de l’hiver. Et nous pensions alors
que nos mains étaient faites pour prendre, que nos jambes étaient faites pour
courir, que nos bouches étaient faites pour parler. »
« Quand la mort se
rapproche de nous, c’est comme une porte qui s’ouvre. Impossible de décrire le
courant d’air. La mort nous (impose le) silence en effet, elle fait le calme
inquiétant. La mort ne se cache pas, mais elle conserve son secret. Nous la
voyons depuis toujours mais nous n’en avons jamais rien su. La mort est
tellement ordinaire. (…) Une chose est sûre : mourir nous libère de
la mort. Ce qui n’est pas rien. »
« Pied de Corbeau, le
malheureux maître pied-noir, est réputé pour avoir dit au moment de
mourir : la vie n’est pas plus que la brume du souffle du bison, petit
nuage fragile qui flotte un instant dans l’air glacial du petit matin, elle n’est
pas plus que l’éclair minuscule de la luciole dans la nuit. Mais connais-tu
quelque chose de plus beau qu’une luciole dans la nuit noire, qu’une silhouette
de bison à l’aube dans la prairie? La vie est tout ce que nous avons. Il faut
savoir vivre jusqu’à sa propre mort, tout vivre, ses victoires comme ses
défaites, ses élans heureux comme ses élans malheureux. »
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