J’avais environ 10 ans. C’est
le moment où on commence parfois à rêver ce dont on veut devenir plus tard, à
l’âge adulte. Moi je voulais devenir chef d’orchestre ou lanceur de baseball. Ni
l’un ni l’autre de ces rêves ne s’est concrétisé, à proprement parler. Diriger
un ensemble musical, ça m’aurait plu, mais encore fallait-il que je connaisse
la théorie, que j’étudie dans le domaine. Mon amour pour la musique ne s’est
toutefois jamais altéré et il y a bien des nuits, en bordure du sommeil, où j’ai
accouché, je ne sais comment, de symphonies grandioses alors que j’étais à la
fois musique, orchestre et chef reliés par des accords jaillissants
spontanément de mon esprit.
Je fais ce que je peux.
Lanceur, par contre, je le
devins petit à petit, mais dans un sens plutôt inattendu. Métaphoriquement, si
je peux dire. Je suis devenu lanceur de mots et, en toute occasion, j’essaie d’atteindre
la cible proposée.
J’ai toujours adoré lancer.
Combien de fois je me suis exercé avec des amis, mes enfants, depuis mon plus
jeune âge et jusqu’encore aujourd’hui. C’est la cible à atteindre qui
m’intéresse, c’est de lancer avec art, avec précision, maitrise et souplesse. Je
sais, tout ça s’apparente au jeu, mais avec une exigence d’attention telle que
ce petit jeu a quand même fini par s’ancrer en moi et se transformer jusqu’à
devenir un art de vivre et de m’exprimer par l’écriture, par des mots.
Le plus difficile demeure de
livrer ce que nous sommes, dans notre tête, dans notre cœur, de le faire avec
clarté et précision et de toucher l’autre qui nous écoute ou nous lit. Et si ce
que nous racontons est important à nos yeux et nous tient à cœur, la
responsabilité nous incombe de l’exécuter sans qu’il y ait décalage entre notre
être et notre dire.
C’est tout l’art de s’installer
sur le monticule, de lancer et d’atteindre la cible avec grâce et facilité,
c'est-à-dire de réaliser son intention.
Il n’y a pas qu’une façon de
lancer la balle au baseball. La plus utilisée, la balle rapide et droite, est celle
que le lanceur apprend à maîtriser en tout premier lieu. Vient ensuite le long
apprentissage de nuances, donc de la technique, de l’art même de lancer une
balle, pas juste la garrocher. Nous passons alors à un autre registre, celui de
la variété, du changement de vitesse, de la capacité à atteindre les coins du
marbre avec précisions. Après la balle droite, viennent ensuite la courbe, la
balle lente, la balle fronde, la glissante et même la balle papillon.
Il va sans dire que cet art
demande beaucoup de pratique. Il va sans dire aussi qu’il est souhaitable, en
cours de route, de nous référer à un instructeur ou un maître qui connaît bien
la manière de faire ainsi que les difficultés à affronter. Ne serait-ce que
pour nous rassurer, nous encourager, mais aussi pour ne pas que nous nous blessions.
L’inflammation au bras, coude et épaule est possible. Il faut savoir nous
contenir, doser les efforts et même nous arrêter en temps voulu pour ne rien
gâcher.
Arrive le moment de grimper
sur le monticule et de jouer la partie. C’est ton envie le plus cher, ton
désir, ta passion. Tu ne peux plus te défiler, essayer d’impressionner par des
artifices, un style alambiqué ou faire semblant de maîtriser ton savoir. Il te
faut suivre certaines règles et exigences. Tu dois lancer et atteindre la
cible, point, il y a un arbitre pour te juger, le frappeur est redoutable.
Arrivé à maturité, tu ne dois compter que sur ton expérience, ton répertoire, ton
savoir, ta mesure et ta créativité. C’est aussi une épreuve d’endurance où tu
dois économiser ton énergie.
Est-ce que le jeu en vaut la
chandelle? Je ne peux répondre que pour moi-même. J’adore lancer, j’adore le
jeu des mots qui s’envolent et atteignent leur cible en faisant le tour d’une
question, avec les images et les nuances appropriées. Et surtout, je tiens à
m’exprimer avec mes propres mots, dans un langage qui m’appartient et que je
maitrise. Ces mots choisis avec applications, je les veux représentant ce qu’il
y a de plus près ma pensée, ce que je suis et ressens. Je me méfie de la
brochette d’expressions exotiques, convenues et issues d’un autre temps et d’un
autre monde que le mien. Sur le monticule, je ne veux pas que répéter servilement
et sans réfléchir ce que d’autres ont déjà accompli ou encore redonner la balle
à mon instructeur, car je me sens incapable d’accomplir le travail qui m’est
imparti ou de faire un tir difficile.
Rien ne m’oblige à grimper
sur le monticule, à prendre ma motion et à lancer avec soin et adresse. Si je le
fais, c’est par amour du jeu ainsi que du défi à relever pour atteindre une
cible parfois bien petite ou même recouverte d’une fine poussière qui la
dissimule presque complètement.
À décocher des tirs je me
sens redevenir le gamin de dix ans que j’étais et, plus important encore, je sais
que je réalise le rêve dont ce même gamin percevait l’urgence ou la passion d’accomplir.
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