À l’instar de Jean-François Vézina qui nous explique si bien l’idée dans son dernier livre Danser avec le chaos, je crois fortement en l’existence d’une sorte de génie qui s’exprime à
certain moment, en certain lieu, d'une manière inattendue, lorsque notre présence et notre attitude atteint
la tonalité requise sans rien désirer de précis.
Vézina parle d’une conversation et d’une danse avec cette « autre chose »
qui apparaît sous différents visages devant nous.
J’ai à côté de moi, sur mon
bureau, des cahiers de notes débordants d’idées tous plus subtiles les unes que
les autres. Je les regarde avec tendresse, je les chouchoute, elles me
séduisent. Elles m’incitent évidemment à les développer et les approfondir. Je
m’assois devant mon ordinateur, juste pour cela, les voir renaître à travers un
texte en les élaborant, les triturant d’un bord et d’autre pour en arriver à un
produit final brillant dans toute sa gloire.
Mais ça ne fonctionne pas.
Rien ne sort. La carapace de la raison résiste fort bien à mes désirs. Je joue
à un petit jeu de cartes sur mon écran, dans l’attente d’un plus grand jeu,
plus noble il va sans dire. J’oublie mes idées de génie puis l’imagination
s’emballe d’elle-même. Un feu nourri reprend. Les tirs viennent de partout.
J’arrête le divertissement pour rehausser la barre des échanges avec mon égo. Je
veux. Je veux tellement, mais le blocage reprend, le mauvais sort s’acharne.
Je me lève de ma chaise et
m’en vais marcher. Ou lire. Ou occuper mes dix doigts à une tâche importante.
Tout est bon.
Les belles, les grandes idées
sont légion, les miennes incluses. Admettre qu’elles sont proprement inutiles
relève du martyr. Que des mots, que des mots…
Ce qui jaillit de soi a
besoin de réflexion, d’une longue méditation, d’un laisser-aller puis d’un
rejaillissement au moment opportun. C’est ce moment opportun qui nous échappe, car
il est relié à l’histoire du monde, à notre récit personnel, à l’aventure de
notre existence, à l’inattendu, au lien profond que nous partageons avec
l’autre et même l’univers.
Le moment opportun, le
« génie du moment » dont je fais mention plus haut, apparaît enveloppé
dans de nombreux déguisements. Il sert à dénouer un problème, à apporter un
éclaircissement. Il met en branle une compréhension du mystère de notre
existence et de la relation que nous entretenons avec la vie entière. Ce lien,
cette relation nous pouvons le nommer amour, si nous voulons. Comprendre son
ampleur demeure primordial. C’est pour nous aider dans ce long cheminement que
des moments singuliers surgissent à point nommé. Ce peut être une rencontre
avec un inconnu, une lecture, un rêve, une expérience pénible, une maladie. Tout
est bon. Il se produit un décrochage de l’écoulement habituel des choses. Et du
déplacement de notre point d’attention surgit alors une lueur de conscience
nouvelle, une compréhension aiguë ressentie dans notre corps en un lieu
autrement plus clair et précis que la tête. C’est une manifestation qui ne peut
être expliquée qu’en nos propres mots, images ou créations. Elle devient une
réalisation.
Il y a quelques mois, j’étais
assis au salon pour écouter un nouveau disque acheté en journée. Trompette,
bandonéon et voix corses. Le titre : « Mistico Mediterraneo ». Je
suis subjugué et emporté dès la première écoute. Une explosion se fait. Mon
attention se déplace alors vingt-cinq ans plus tôt alors que je vis un moment très
difficile, sur le fil du rasoir. Une porte s’entrouvre, je pénètre et découvre
pour la première fois le sens profond de l’expérience. Elle touche à ce qu’il y
a de plus universel chez l’humain. Elle a trait à l’amour entre deux êtres,
elle a trait à l’abandon dans une direction qui oblige, elle a trait à notre
propre survie et à la responsabilité qui en découle. Je n’entrerai pas dans les
détails. Une chose est certaine, à l’époque la pilule fut très difficile à
avaler. La leçon comprise en totalité seulement plusieurs années plus tard durant
l’écoute de cette musique totalement atypique est celle-ci : il n’y a pas
plus têtus que nous-mêmes, plus fermés, rétifs et hérissés et si, en désespoir
de cause, après avoir tout essayé et alors que nous croyons avoir tout perdu nous
demandons ou invoquons la protection d’une force, quelle qu’elle soit, il nous
faut d’abord accepter qu’elle nous protège de nous-mêmes.
Le « génie du moment »
à travers cette musique. Inattendu comme de fait.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire