Le temps chaud revenu, un soleil qui brille et le goût ultime de disparaître sous un couvert de silence, d’être envahi d’odeurs suaves, de baigner tout nu dans une nature prolixe. Il n’en faut pas plus pour quitter sans regret la vie de citadin et aller chercher son absolution dans un ailleurs sauvage, un ailleurs d’instants construits comme des haïkus, dans la simplicité et le dépouillement.
Au Québec, nous avons cette chance unique. Il y a plein d’espace pour changer d’air. Il y a de l’espace à profusion, et se retrouver seul au contact de la terre est dès plus facile. En camping, par exemple…
Il y a un endroit où la magie opère, une magie verte concoctée par un diable joyeux. J’y ai séjourné plus d’une semaine il y a une dizaine d’années de ça. En montagne, près de la petite localité de Sutton. Son nom : « Au Diable Vert ».
Nous avons planté notre tente dans une sorte d’alcôve au creux de la forêt. Un enfoncement d’une trentaine de pieds de diamètre près de la lisière d’un champ d’herbes abondantes dont la vue nous transportait jusqu’aux rondeurs montagneuses situées en face, dans le lointain. Une cavité fabriquée pour le mystère, un accès au bonheur d’un autre monde…
Le soir venu, une meute de coyotes se prononça sur notre arrivée : des hurlements incessants qui suivaient la courbe de cette lente agonie du jour. Des hurlements qui s’unirent à la vitalité hypnotique de notre feu de camp.
« Et encore et toujours, la terre caressante et persuasive m’attira dans son étreinte maternelle, la terre qui nous leurre perpétuellement… », m'atteste Ivan Bounine, l’écrivain russe, dans La Vie d’Arséniev.
La noirceur s’installa, entière, profonde, palpable au toucher. Je flairai un léger frétillement d’inquiétude, car mon sang s’agita, un peu comme avant le début d’une représentation, une excitation incontrôlée. C’est la première nuit sous la tente… Je peine à fermer les yeux et m’endormir. Puis un somptueux bal nocturne commença, sans préambule. Une sorte de froufrou déchira d’abord le silence : des battements d’ailes au-dessus de ma tête puis sur tous les côtés. Les envolées s’amplifièrent ensuite en un tourbillon stéréophonique déchirant l’air de toutes parts, accompagnées de petits cris stridents. Hiboux, chouettes, nyctales? Je ne saurais dire.
Le manège dura plusieurs minutes. Il me subjugua jusqu’au milieu de la nuit et je réussis finalement à m’endormir, épuisé, comme un enfant sans ressource devant l’inexpliqué.
Derrière ma tête, à hauteur du sol, un bruit me réveilla. La toile de la tente se renfonça légèrement. Plus intrigué qu’apeuré, je soulevai délicatement le rebord de la tente et aperçus la source de cette agitation : un petit bonhomme haut de quinze centimètres, un chapeau vert sur le chef, des pantalons de la même couleur avec des bretelles, de grands yeux doux et un sourire fendu jusqu’aux oreilles. D’énormes oreilles. Je le saisis par une main et il se mit à gigoter en riant. Je me réveillai à nouveau.
Je n’avais pas manqué mon rendez-vous avec le petit diable vert…
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