Je l’ai déjà dit : nos
hivers sont longs, d’un froid féroce et de la couleur de la nudité. Demandez à
n’importe quel voyageur provenant d’un peu plus au sud, il vous le soulignera en
long et en large : ça donne un coup au plexus! Il y a contraction, il y a
un choc. Et en ce qui me concerne, malgré l’habitude et des décennies
d’acclimatation, le choc demeure.
C’est un avertissement. Nos
hivers annoncent une mort qui approche toujours à la même période. Je ne
m’habitue jamais à cette mort. Pourtant, elle préfigure une renaissance aussi,
une renaissance dans la gloire d’une nouvelle chaleur généreuse, un
retentissement à coup de trompettes et clairons.
Le plus grand bienfait de nos
hivers, c’est d’y en ressortir en vainqueurs de la mort; à ne pas se cacher
pour la vivre; à l’embrasser corps et âme. C’est une petite mort qui nous
habitue lentement et subtilement à la grande définitive. Qui laisse planer d’autres
vies…
J’ai l’air de ne pas
apprécier la saison hivernale. C’est faux. Je dors mieux, je médite mieux, je
pense mieux lorsque je me sais à l’abri, bien au chaud. Le monde du nord est
moins assourdissant aussi puisqu’une couche de moelleux amortit le bruit
extérieur.
En février, il y a de ça bien
des années, je suis allé passer quelques jours sur une île bien connue du
Saint-Laurent. À cause des glaces sur le fleuve, le seul moyen pour s’y rendre était
l’avion—ça le demeure encore d’ailleurs. Avec ma douce pour compagne, j’ai arpenté
un monde étrange construit de lumière blanche et d'ombres sinueuses. Nous étions seuls au monde. Le
silence hurlait sa présence. Nous vîmes alors un bataillon de diables joyeux
qui virevolta juste en face de nous : des bruants des neiges, par
centaines. Ils exécutèrent devant nos yeux éberlués une danse folle puis déguerpirent
aussi vite, comme gênés de leur performance. Plus loin un harfang s’envola vers
un désert de glace avec une proie inerte dans son bec crochu.
Le temps s’était figé pour
permettre ce spectacle. « Le monde veut être vu », nous dit Gaston
Bachelard. L’hiver par sa lenteur suscite ces arrêts sur images. Le blanc monde
grouille de vie, c’est ce qu’il nous dit malgré l’apparence de mort.
« Il n’y a pas vraiment
de mort », me chuchote toutefois à l’oreille mon bon génie emmitouflé.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire