Un guerrier, fatigué de sa vie qu’il
jugeait illusoire, rendit visite un jour à un ermite réputé pour sa bonté
simple et sa sagesse imperturbable.
— Je vous veux pour maître, lui dit-il.
Enseignez-moi le savoir qui rend belle la vie et illumine votre visage.
L’ermite lui conseilla de méditer et lui
apprit comment conduire ses pensées et creuser l’écorce des apparences. Puis le
guerrier s’en retourna chez lui en promettant d’observer ces précieux
commandements.
Une année passa et un matin d’été, à bout
de peine, celui qui avait décidé d’atteindre la sagesse revint se plaindre
auprès du saint homme.
— Malgré mes efforts, je n’ai fait aucun
progrès, lui dit-il. Je suis toujours aussi incapable d’amour. Comment
pourrais-je aimer la vie? Comment pourrais-je aimer les autres? Je ne m’aime
pas moi-même!
L’ermite lui donna patiemment de
nouvelles leçons. Après trois journées notre guerrier le quitta revigoré. Il
s’échina encore une année entière à débarrasser son esprit des fardeaux qui
l’encombraient, observa les disciplines qui lui avaient été conseillées, tenta
de comprendre et de gouter la vie, mais n’y parvint pas. Alors, il s’en revint
voir une nouvelle fois l’ermite dans sa forêt et lui reprocha son incompétence.
— Je crains fort que vous ne soyez un
imposteur, lui dit-il.
L’autre ne s’offusqua point. Il écouta
attentivement ses jérémiades puis alla chercher un jeu d’échecs dans un coin
obscur de sa hutte.
— Jouons ensemble une partie, dit
l’ermite, mais qu’elle soit définitive et sans pitié. Celui qui la perdra devra
mourir. Son vainqueur lui tranchera la tête.
— D’accord, lui répondit le guerrier. Et
la partie commença.
Au bout de quelques coups seulement le
guerrier se trouva en mauvaise posture. Il prit peur. Bouleversé par la main
froide de la mort, il joua de plus en plus mal. Après une vingtaine de coups, il
était au bord de la débâcle. Il regarda son adversaire et le vit impassible.
Assurément cet homme n’hésiterait pas à le tuer, s’il perdait. Alors il se dit
qu’il était temps de réfléchir sans faute. Il se souvint que d’ordinaire il
était de bonne force aux échecs et il lui vint l’évidence que seul le spectre
de la mort l’empêchait de donner toute sa mesure. « Je dois me
débarrasser de mon épouvante, si je veux avoir une chance de survivre, se
dit-il. » Puis il pensa : « Quoiqu’il advienne, il me faut
pleinement jouer. » Il s’absorba dans la contemplation de l’échiquier,
reprit espoir et oublia son effroi. Après une trentaine de coups, il découvrit
une faille dans le jeu de son adversaire. Il exalta puis poussa un rugissement
de triomphe.
— Tu as perdu, dit-il.
Il regarda l’ermite. Il le vit aussi
impassible qu’à l’instant de sa victoire proche. Il se dit
alors : « Pourquoi tuerais-je ce brave homme? Je suis sûr qu’il
aurait pu facilement gagner la partie quand la peur me tenaillait. Il ne l’a pas
fait. Quelle sorte de fauve serais-je si j’abattais mon sabre sur son
cou? » Son exaltation le quitta. Il grogna puis poussa un pion inutile.
Alors l’ermite renversa l’échiquier dans
l’herbe, d’un geste négligent.
— Il faut vaincre d’abord la peur.
Ensuite peut venir l’amour, dit-il. As-tu compris?
Le guerrier éclata de rire. Il savait
maintenant comment goûter pleinement la vie.
* Histoire tirée de L'arbre aux trésors d'Henri Gougaud.
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