Je n’ai pas d’embarras à
manifester mon étonnement. Je ne calcule rien, ça surgit, ça émerge et m’inonde
comme une pluie soudaine en été.
Je ne crie pas ce sentiment à
la face du monde. L’étonnement (mâtiné d’émerveillement) me stupéfie. Je fige,
suspendant tout jugement, sans évaluer la teneur en gras ou en grâce de ce
moment unique. Pour qui m’observe et me prend en flagrant délit, tout juste
peut-il discerner une grimace ou un sourire de contentement. Ce ne sont pas des
mots qui jaillissent mais une humeur enfantine, des yeux qui s’agrandissent,
cheveux qui se dressent ou parfois une démarche bondissante comme un ballon de
plage.
Exister n’est pas banal et,
comme bien d’autres l’ont dit avant moi, je m’étonne même qu’il y ait un monde
et que nous l’habitions. Pourquoi tout ça? Il n’y a rien de naturel, il n’y a
rien du pur hasard d’une mécanique subtile. On entre plutôt de plain-pied dans
le mystère. Et on n’en sort pas indemne…
« La vie ne se révèle
qu’à ceux dont les sens sont vigilants et qui s’avancent, félins tendus, vers
le moindre signal », nous dit Christine Singer.
Mais qu’est-ce qu’on peut
bien venir foutre ici-bas? Ce n’est pas banal. Pourtant, je m’étonne que tant
de monde s’étonne si peu. « Il y a des gens qui, comme les bêtes, ne
s’inquiètent de rien, que de l’herbe! » nous mentionne Épictète dans ses
Entretiens.
Il n’y a rien de banal autour
de nous, sinon peut-être dans cet égo surdimensionné « dilué dans un tout
le monde qui de tout a tout vu, ou le verra sous peu. » (L. Jerphagnon). Il
n’y a rien de banal dans l’apparition de la première neige et des premiers
bourgeons au printemps. Rien de banal dans le regard attendrissant d’un
vieillard et celui d’un enfant comblé d’un simple jouet. Il n’y a rien de banal
dans notre grand fleuve et ses espaces montagneux qui le bordent.
Dépourvus d’un regard,
dépourvus d’une sensibilité, dépourvus de culture, ignorant d’ignorer, ne
sommes-nous pas plutôt condamnés à une recherche constante d’un extrême qui
nous ébloui et nous transporte? Condamné aussi à combler un vide qui nous gruge
du dedans, car nous refusons qu’il ne se passe rien et encore moins de nous
identifier à un banal devenu abject.
Jean-Jacques Pelletier expose
avec rigueur, brio et moult exemples cette montée apparemment sans fin aux
extrêmes qui définit le genre de vie que nous privilégions de nos jours. Dans ses
deux derniers essais, Les taupes frénétiques et La fabrique des extrêmes, il
jette un regard quelque peu cynique, mais néanmoins lucide de cette tendance
que nous avons à nous délecter du spectacle sans fin de l’existence véhiculé
dans les médias. Comme l’affirme Pelletier, n’a droit d’existence que ce qui
peut être vu et entendu maintenant. Nous sommes inondés par un tsunami d’informations,
chérissons notre dose et en redemandons, car cet extrême crée une accoutumance
délétère.
Hier, il y a douze heures, il
y a une heure entrent dans le déjà assimilé, consommé, vu et entendu, et y
revenir endosse le label « banal ». Piégé à l’intérieur d’un
cercle vicieux, nous voulons plus, nous voulons une « euphorie
perpétuelle » puis nous nous enfonçons, pareils aux autres, tout en
cherchant à nous démarquer dans le pas pareil. L’extrême soluble dans la
prétention et la suffisance. Je pense ici à l’émission « Les Bobos »
présentée par Marc Labrèche et qui illustre d’une manière truculente ces travers
que nous avons développés à force de vouloir nous montrer en spectacle.
Les grands perdants de cette
course sans fin? L’intimité, la discrétion, la retenu et l’art de prendre du
recul. Qu’avons-nous fait aussi du silence et de la contemplation, seuls moyens
efficaces de nous retrouver un tant soit peu dans le tintamarre incessant de cette
existence?
Qu’avons-nous fait pour en
venir à nous satisfaire d’un tel bruit?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire