Nous sommes en crise,
mesdames et messieurs! Nous sommes dans la merde! Le climat est déréglé,
l’économie et la finance n’arrêtent plus de vaciller, des épidémies nous
menacent. Bref, tout ne va pas pour le mieux et plusieurs ne se privent pas de
nous asséner avertissement sur avertissement, comme dans un sursaut inégalé de
clairvoyance. Voyez ces penseurs et scientifiques tels H. Reeves et A. Jacquard
qui nous somment de nous réveiller, sinon ce sera la fin de l’humanité dans une
cinquantaine d’années, tout au plus. À une émission télé de grande écoute, J.
Languirand nous serine le même message de réjouissance, le doigt en l’air, en
claironnant qu’il a des contacts lui et qu’il sait hors de tout doute ce qui
s’en vient pour nous, pauvres mortels.
Les marchands de peur ont
changé de peau. Avant ils se drapaient d’oripeaux divins, prophétisant fins du
monde et apocalypses à tour de bras, surtout en croix, les genoux par terre de
préférence, en nous intimant de faire pénitence comme eux. Maintenant ils
s’habillent d’apparats scientifiques, ils ont tout calculé, tout étudié, tout
prévu, et leurs constats savants n’ont rien de lendemains qui chantent ou d’avenir
radieux.
Je sais, j’ironise. Je trace
à gros traits et je me moque de ceux qui s’exécutent sans vergogne et que nous
lisons ou écoutons religieusement. Mais est-ce que savoir et être conscient et
lucide c’est prétendument et certainement toujours prévoir le pire? Ne faut-il
pas reconnaître aussi une position plus que confortable à tous ces penseurs de
l’imbuvable : s’ils se trompent c’est le statu quo ou mieux, un changement
positif? Leur bonne conscience se voit ainsi préservée. « On s’est
fourvoyé, c’est tout! »
Je ne suis pas un optimiste
né, beaucoup de situation et de comportements m’exaspèrent. Il y a bien des
fois où je ne comprends plus rien et suis désemparé. N’empêche, je me dis que
la vie et cette réalité-là, celle devant nous, a toujours eu sa part de chaos
et de changements inattendus, qu’il en est ainsi depuis toujours, c’est comme
ça, et qu’il serait peut-être temps d’apprendre à accepter le non-sens et tout
ce désordre puisqu’il semble que ce soit l’essence du monde et sa saveur.
Reconnaissons tout de même
des effets pervers à voir et affirmer le pire. (i) Aussi bien en profiter
puisque la fin approche, on dilapide tout, on s’enrichit de manière obscène en
se fichant des conséquences. (ii) Inquiets et morts de peur, figés par
l’angoisse, nous tombons malades et en dépression plus souvent qu’à notre tour.
(iii) L’homme occidental vit dans la culpabilité, car il entend constamment que
sa richesse est la cause première de la pauvreté du reste du monde. Il ne peut
pas vivre heureux aux dépens des autres, c’est clair.
Dieu que ça va mal et que le
monde ne tourne pas rond! C’est vrai puisque les médias nous le montrent aussi un
million de fois par jour. Ils vocifèrent et crachent le morceau pour que nous
soyons bien sûrs de comprendre et d’admettre enfin la vérité : vivre est
dangereux! Il y a plein de gens malhonnêtes qui nous entourent, nous baignons
dans une soupe caustique remplie de virus mortels, des compteurs électriques
dits intelligents dégagent des ondes malfaisantes, les coffres de notre régie
des rentes seront à sec en 2035, pas une année de plus, certain!
Heureusement que nous avons
encore des yeux pour voir et constater par nous-mêmes directement, sans
intermédiaire, le strict déroulement des choses, sans nous raconter d’histoires.
C’est bien dommage pour la confrérie des marchands de peurs, d’illusions et de
rêves, mais il est quand même permis de penser que la réalité est beaucoup plus
prosaïque et terre-à-terre qu’ils nous le disent. Je vais donc dans le sens de
ce qu’affirme Ryszard Kapuscinski dans Autoportrait d’un
reporter : « Les médias ont créé une vision du monde très
politique, chaotique et totalement déconnectée de la longue durée, autrement
dit des institutions sociales, des attitudes, des mentalités et des préoccupations
des gens simples qui constituent 90% de toute société. »
Je suis enfin d’avis qu’il y
a toujours quelqu’un, quelque part, un illustre inconnu qui travaille seul,
« dans son garage », à chercher, inventer, créer un bidule, un truc,
une patente qui nous permettra d’améliorer notre sort à tous, du moins le
rendre acceptable sans que nous soyons constamment aux prises avec des conflits
interminables de visions et d’idéologies trop souvent déconnectés de la vie.
C’est la déesse créativité qui
nous maintient éveillés. L’imagination, cette folle du logis, contribue à
freiner la violence, car elle supporte l’art de se mettre à la place de l’autre
et permet d’entrevoir quelques solutions jamais envisagées auparavant.
Donnez-moi à choisir entre l’imagination et la volonté, la première gagnera mon
assentiment, à coup sûr. La seconde pèche trop souvent par l’envie de dire non
(je ne veux pas, je ne veux plus) de manière exclusive. Et entraîne la mort… Fatalement.
Nous sommes la première génération qui peut se vanter de préparer la tombe de l'humanité.
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