C’est l’histoire d’un chat esseulé.
Je l’ai aperçu une première
fois sur le terrain à l’arrière de ma résidence, il se faufilait à travers les
arbustes et les fleurs. D’un bond élégant, il sauta ensuite sur le rebord de la
clôture de bois. Il demeura assis plusieurs minutes, regarda autour de lui,
levant parfois le nez comme pour respirer une odeur qui l’excitait. Sa fourrure
avait un mélange égal de noir et de blanc. Enfin, il bailla à s’arracher la
mâchoire, sauta dans la cour du voisin et disparut.
Le lendemain, je le vis
jaillir du dessous d’une voiture stationnée dans la rue. Il s’approcha de mon
entrée, regarda autour de lui puis grimpa ensuite les quatre marches menant à
ma galerie. Je l’observai par la grande fenêtre du salon. Il se coucha, s’étira
comme un chat, fit comme chez lui. Je courus chercher un reste de poulet au frigo
pour lui donner. J’ouvris la porte lentement pour ne pas l’effaroucher et déposai
le plat, sans rien attendre.
C’est seulement quelques
jours plus tard que nous avons fait connaissance. Il miaula devant ma porte,
sans doute avait-il faim. Je lui donnai deux sardines qu’il avala d’un coup. Je
pus l’observer un peu pendant qu’il mangeait. Il avait l’oreille gauche affaissée.
Sur son dos le poil était emmêlé. Il leva la tête et je vis que la pupille d’un
de ses yeux me semblait dilatée comme le jaune d’un œuf qui vient d’être crevé
dans le fond d’une assiette. Un chat échaudé par la vie… Je lui flattai le cou.
Il miaula puis déguerpit en bondissant en bas de la galerie. Je me rendis à
l’épicerie du coin pour lui acheter de la nourriture, s’il revient encore
j’aurai quelque chose à lui offrir.
Autre journée, autre
miaulement. Cette fois-ci je déposai la nourriture, de petites croquettes de
viande sèches, à l’intérieur de la maison, dans le couloir. J’attendis. Il
entra lentement. Il me semblait boiter un peu. Il mangea en jetant des coups
d’œil à droite et à gauche. Il termina rapidement et resta assis, figé. Je le
trouvais beau malgré ses cicatrices de guerre. Je me présentai et lui dis de
faire comme chez lui, de prendre ses aises. Comme s’il m’avait approuvé, il
grimpa sur un tabouret puis sauta sur le radiateur à l’entrée.
Il devint mon inséparable ami
à partir de cet instant. Où que j’aille à l’intérieur et autour de la maison,
il me suivait. J’avais l’impression qu’il cherchait à me comprendre et à me donner
son avis sur ce que je faisais et parfois même sur ce que je pensais. Je lui
avouai qu’un chat qui avait vécu autant de tribulations et d’infortunes comme
lui était sans doute digne d’être écouté. Il m’obligeait à m’arrêter et m’interroger.
Il veillait sur moi comme je veillais sur lui. C’est drôle à dire, mais j’avais
le vague sentiment qu’il cherchait à me faire économiser du temps et de
l’énergie, qu’il me conduisait avec subtilité vers l’essentiel. Comment s’y
prenait-il?
En bâillant…
Il avait une façon de me
regarder… Il s’approchait à quelques centimètres de mon visage puis bâillait
une fois, deux fois, jusqu’à ce que je lui accorde une attention soutenue. Au
début, je ne voyais rien, je ne comprenais pas son manège. Un jour, je fis le
lien. Je regardais la télé, je zappais. J’étais un télévore lobotomisé qui
perdait manifestement son temps à regarder des inepties. Je me secouai, pris
une revue et lus. Chat s’approcha et ronronna. Pour la première fois, l’effet
Pavlov fonctionna. Et du même coup, je lui trouvai un nom. Il approuva son baptême,
ronronna de plaisir.
Un après-midi, j’étais à l’ordinateur.
Comme à son habitude, Pavlov avait pris sa place sur mon bureau près du clavier.
Couché. Sa queue en mouvement continu ramassait la poussière sur les touches comme un petit linge. Je savais qu’il souriait… J’écrivais un texte qui me
donnait du fil à retordre, mais temporisais en fuyant et surfant sur internet. Tout
à coup, mon chat leva la tête puis vint s’asseoir directement devant l’écran. Je
le suppliai de ne pas bâiller. Il bâilla. J’ai compris, lui dis-je.
Je dormais. Une présence me
réveilla. Au cadran, les aiguilles notaient 2h15. Pavlov tournait sur lui-même,
me léchait le visage. Je m’assis sur le bord du lit. Je le vis bondir en
courant vers la porte arrière de ma résidence. Il voulait sortir. J’étais
curieux d’en connaître la raison, je m’habillai et le suivis. La nuit était
magnifique, une nuit d’été chaude et paisible. Ensemble, on se rendit jusqu’au
fond du terrain, dans les broussailles à travers les arbustes et les fleurs. Le
cabanon trônait à quelques mètres à notre gauche. Pavlov se coucha et fixa un
point tout près du grand tilleul. Sans discuter, je pris la même position au
ras du sol. J’observai le chat, observai ce qui l’absorbait. En silence, aucun
geste. Au bout de quelques minutes, je vidai mon esprit de toutes pensées et
appréhensions. Le silence partout, le silence total. La scène se transforma, grossit,
s’illumina. Ma conscience pénétra en douceur un monde nouveau.
Je traquais.
À un moment pile, je peux
vous jurer que je bondis en même temps que mon chat sur une proie qui ne vit
que du feu. Un mulot.
Je retournai ensuite dans ma
chambre. Il était cinq heures au cadran, le soleil grimpait à l’horizon, les
étoiles se couchaient les unes après les autres dans la nouvelle lumière du
jour.
Pavlov dormait près de mon
oreiller. Je songeai : tout est question de patience, d’attention, de
profond silence. Et d’être sans bavure en temps voulu.
Je m’étais habitué à aimer ce
chat magnifique. Il me comblait, ronronnait, bâillait… Je ne voulais rien d’autre
qu'en prendre soin. Tous les jours, j’ouvrais ma porte, il partait, revenait
plus tard. Heureux? Oui, j’en suis sûr, comme moi.
Une journée d’automne, je m’en
souviens très bien, il pleuvait de fines gouttelettes sur la ville, je trouvai
un mulot mort dans mon entrée en sortant à l’extérieur. J’eus une appréhension.
Le lendemain puis les jours
qui suivirent, j’attendis mon chat, j’attendis qu’il entre me rejoindre dans la
maison et partage ma vie comme avant. Peine perdue.
Pour ne rien vous cacher, j’ai
longtemps pleuré sa disparition. Aujourd’hui encore, je me souviens de lui avec
émotion et respect.
Je pense avoir maintenant compris
la raison de son départ.
J’en suis presque certain, il
avait d’autres chats à fouetter…
Chuis plus que bin d'acc, mon pote.
RépondreSupprimerSuper site, Gilles. Toi et moi on est pareil.
Chris