Il y a des odeurs qui ont le
don de me faire chavirer. Des senteurs de la forêt, de petites fragrances
délicates qui grimpent le long du corps et se frayent un chemin jusqu’au
frétillement des narines. Je pense, entre autres, au parfum qui émane du tapis
douillet d’épines brunâtres éparpillées sous un bouquet de pins. Cette odeur
suave si singulière, elle vient me prendre une parcelle de raison. Elle me
monte à la tête le temps de quelques soupirs puis s’envole, disparaît. Je
voudrais bien la retenir, elle me glisse plutôt entre les doigts du nez, si je
peux dire. Je reviens sur mes pas, comme une fois dans une forêt
humide près d’un cours d’eau; je veux la retrouver avec empressement, mais elle
a disparu…
Je ne contrôle rien. Je sens
que je suis plutôt la proie des odeurs de la terre.
Voilà une métaphore de la
vérité, me suis-je déjà dit. On croit avoir saisi, on croit avoir enfin perçu
l’ultime, le moment de grâce, l’absolu au-delà duquel il n’y a plus rien. Mais
il y a un hic.
C’est plus subtil. On ne peut
retenir la vérité, elle a une vie propre…
Nous passons la première
partie de notre existence à nous construire une raison et à nous faire une idée
ou une image du monde et du réel dans lequel nous vivons. Nous élevons un bel
échafaudage avec tout ce que nous connaissons, avec nos tendances, notre
instinct. Nous n’en sommes pas peu fiers. Puis surgit lentement cet autre versant,
la deuxième partie de la vie, celui de la vieillesse.
Arrive le temps de prendre le
temps. L’être que nous sommes s’est gorgé de sensations et d’apprentissages. Il
peut opter pour la sécurité et reproduire inlassablement les mêmes expériences
et se conforter avec ce qu’il a édifié. Il peut dire qu’il en a assez, qu’il en
a assez vu et entendu. Il a besoin de repos et de confort, il a besoin de
quelque chose de solide jusqu’à la fin. Il a besoin de certitudes.
Existe-t-il une autre option?
Je le pense.
Elle exige de perdre la
raison. Non pas d’un coup, à petite dose seulement, question de demeurer en
prise avec la réalité de tous les jours et de laisser savoir que nous avons
quand même les deux pieds sur terre, en temps voulu. Elle exige de l’espace, de
l’air, de la liberté. Elle demande surtout de s’affranchir des millions de
données qui nous ont envahis, avec notre assentiment ou non, tout au long de
notre parcours ici-bas.
Cette autre option prône le
détachement, l’effritement du bloc compact qui a servi à construire la première
partie de notre vie. Elle prône l’abandon.
Je perçois l’âme de chaque être
comme une corde tendue entre la terre et le ciel, entre le visible et l’invisible,
le temps et l’éternité. Cette corde a le désir de vibrer et d’exprimer sa
musique subtile, c’est sa nécessité. Prisonnière dans un bloc compact de
certitude, elle n’a pas d’avenir. Elle nous dit, chaque fois qu’elle le peut,
elle nous dit de toutes les manières possibles qu’elle en a assez du lourd
fardeau de nos constructions mentales et de nos vérités à rabais.
C’est pourquoi elle nous entraîne
sur des chemins d’odeurs afin de nous faire goûter aux parfums de vérité qui
nous délogeront lentement de notre suffisance.
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