6 juillet 2012

Je suis d’une indécrottable innocence


Qui voudrait d’un plaidoyer sur l’innocence, c’est un peu tristounet, non? Je vais l’assumer plutôt. Discrètement.

Je veux dire que je ne vois rien. J’ai beau regarder l’existence autour de moi avec curiosité, je m’informe, parfois avec avidité, tout m’intéresse. Je grappille et picore ici et là comme un oiseau cherchant sa pitance. C’est la philosophie du moineau, comme l’aime à dire Christian Bobin. Mais je le répète, je ne vois rien, pire je ne sais rien. Je suspends mon jugement sur toutes choses, je cherche et j’explore en profondeur. Après avoir vu bien en face, après avoir marché, parlé et mangé avec, expérimenté, après un temps considérable à sentir, toucher, entendre, lire et étudier, j’ose alors me faire une pensée, une compréhension. Pas avant.

Prenez par exemple la question de la corruption. Elle prend de la place cette question, un peu partout dans le monde, y compris au Québec. À lire chroniqueurs, réseaux sociaux, nos voisins et amis et à entendre certains groupes de pression, nous sommes à l’ère du tout corrompu. D’où l’indignation, d’où les parades bruyantes, les cris et les vociférations. Nous voyons le mal partout autour de nous, ce qui contribue aux inégalités, à l’injustice et préfigure plein de catastrophes à venir.

Moi je ne vois rien, je suis fait d’innocence…

J’entendais l’autre jour un artiste-animateur claironner que ça va très, très, très mal au Québec. Je vois plutôt un endroit merveilleux où il fait bon vivre, librement, à travers l’abondance et la diversité, avec des opportunités à profusion. Je vois une démocratie modeste, fragile certes, avec ses institutions qui nous protègent adéquatement malgré parfois ses manques et ses maladresses, il faut le reconnaître. Mais, somme toute, est-ce que ça va si mal que ça? Je suis prêt à accepter l’existence de manigances, de combines et d’entourloupes pour s’attribuer une faveur, qu’elle soit en espèce ou de toute autre manière. Je peux sentir la tricherie, la malhonnêteté. Mais en est-il autrement depuis l’aube des temps? L’espèce humaine n’est-elle pas ainsi faite? Y compris, donc, soi-même en premier lieu!

Je suis surpris de la vitesse fulgurante que nous prenons pour cataloguer et juger n’importe quel sujet. Rapide sur la gâchette, tu dis! Nous tirons plus vite que notre ombre. Ce qui nous branche, c’est la recherche d’un bouc émissaire ou d’un coupable désigné afin de remplir notre cartographie des malheurs et des imperfections du monde. Ce qui nous dispense par ailleurs de jeter un regard en nous-mêmes, il fait trop noir et on ne verrait rien de toute façon, alors à quoi bon?

N’empêche. Ne serait-il pas salutaire parfois d’aller jeter un coup d’œil à notre propre esprit, question de lever le lièvre de la corruption? La chasse est toujours ouverte, il me semble.

À travers la forêt touffue de l’ignorance, je vois et entends une multitude de mots qui sautillent et gambadent en toute impunité, des mots qui font pourrir les idées. On se traite de fascistes, d’hitlérien et le tour est joué, inutile de dialoguer et d’argumenter, trop fatigant. On ne devrait jamais sous-estimer notre paresse ou notre inculture quand vient le temps d’exprimer notre opinion. Nous préférons sans doute surfer sur la rumeur ambiante et nous coller au conformisme afin de nous rassurer sur notre bonne conscience, d’être du bon bord, du côté du bien il va sans dire. En passant, ce côté du bien se trouve toujours dans ce qui devrait être, dans ce qui n’existe pas, donc qui est parfait en soi puisqu’il a pour origine notre propre idéal. Qu’il serait bon, nous disons-nous, que tous pensent comme moi, ça irait si bien!

Mais le réel est tellement insondable, incontrôlable et fou.

Autre corruption : réduire l’existence, la vie cette chose incommensurable, grandiose et mystérieuse à sa seule réalité sociale et économique. N’est-ce pas un tantinet exagéré? N’est-ce pas une variante du « tout est politique » qui a marqué l’existence du totalitarisme au 20e siècle?

Est-ce que tout est noir ou blanc?  La diversité infinie de couleurs n’est-elle pas plus attrayante et conforme au réel? Tout comme la diversité des êtres, des langues, des religions et conceptions du monde?

Je suis le parangon de l’innocence. Je ne vois rien, ne comprends rien. Je ne sais pas, je cherche. Je cherche, je ne sais pas…

S'il vous plait, n’essayez pas de me changer!    

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