Vous vous souvenez de ces
petits cailloux tout blancs que nous prenions pour jouer durant notre enfance?
Nous ramassions et conservions les plus beaux spécimens afin de les utiliser pour une
expérience qui nous fascinait chaque fois. Deux cailloux suffisaient. Nous
trouvions un endroit sombre et ensuite notre bonheur était de
produire des étincelles en faisant s’entrechoquer les deux pierres blanches et
lisses en question.
Nous avions le pouvoir du
feu. Le pouvoir de créer une lueur avec presque rien, de faire de la lumière.
Est-il possible d’y voir un
rapprochement avec notre vie et la relation que nous entretenons avec les
autres que nous côtoyons dans notre cheminement? Même chose avec nos idées?
Je vois le contact avec le dissemblable,
le fait de se heurter comme un entraînement à la réflexion ou une remise en
question de notre assurance, parfois même de notre suffisance. Nous pensons
sans doute qu’il nous faut éviter le plus possible les différends, l’opposition
ou les chocs causés par le manque d’harmonie. Je prétends qu’ils sont
nécessaires, car c’est souvent de cette expérience de confrontation que naît
une compréhension nouvelle sur notre situation et celle du monde qui nous
entoure. L’essentiel demeurant d’apprendre, de comprendre et d’aimer.
Cet essentiel, c’est aussi
l’étincelle. Et il faut être deux pierres pour faire jaillir une lumière…
J’ai mis bien du temps à
reconnaître ce fait. La lassitude, un certain désespoir et même l’envie de fuir
m’a déjà conduit à rejeter tout affrontement préjudiciable à mon état. Une
hypersensibilité me retenait aussi d’argumenter outre mesure. Je me cherchais
un refuge, évitais tout débordement. Je voulais la paix.
Avant d’en arriver là,
j’avais cependant abusé de mes forces. Se frotter à l’autre demeure un art, un
art qui demande discernement et respect. Je m’étais brûlé les fesses. Abuser
des chocs et trop d’étincelles peuvent nous consumer. À tout le moins faut-il
comprendre la leçon.
C’est encore une fois en
écoutant de la musique, bien calé dans un fauteuil, abasourdi et un peu sonné
par les événements, que j’ai vu la direction à prendre. Je l’ai écrit dans mon
journal :
« Une musique splendide
m’a touché droit au cœur, ce soir. Elle m’a touché comme les yeux amoureux
d’une femme. J’ai échappé à l’état d’apesanteur puis, l’âme délivrée, j’ai
imaginé que cette musique pourrait servir à embellir la mort, ma mort, au
moment de mes premiers pas dans l’au-delà. Je me suis ensuite retrouvé à
quelques mètres du sol et mon regard a embrassé l’assistance venue à mon départ
dans une cathédrale construite au cœur de la forêt.
J’étais tout sourire. J’étais
comme un oiseau fou de liberté qui dessine des arabesques dans l’air, grisé
par la joie. Je savais tous ces gens dans un autre état que le mien. Il ne
pouvait me voir, moi si. Et mes yeux se penchèrent sur leurs têtes, celles que
j’avais connues et qui avaient jalonné le parcours de mon existence. Ils
étaient tous là. Pas seulement mes amis… Tous.
Je les remerciai du fond du cœur
de m’avoir assisté dans cette mystérieuse aventure vécue ici-bas. Surtout ceux
et celles qui m’ont tendu des pièges si brillants qui ne font qu’augmenter l’attrait
de la liberté. Surtout ceux et celles qui, avec régularité, m’ont arraché de la
torpeur en m’attirant vers de si nombreuses et vraisemblables illusions.
Comment ne pas les remercier
en effet? Ils furent les nuits noires qui annoncent la brillance du jour.
Ils furent le bruit des rumeurs et du désordre se dispersant à travers la
brûlure du silence. Ils furent l’hiver de toutes mes douleurs qui fondent à l’apogée
de l’été.
Au retour de ce voyage, j’ai
lu le texte qui a inspiré l’auteur de cette musique, Johann Fischer. Il me dit
ceci :
« À présent je souhaite
maintes bonnes nuits,
À toi, monde, et à ton
existence,
Car mon Seigneur m’a
rappelé,
Et je suis à présent
guéri.
Salut à toi, ciel étoilé,
Je quitte les désordres de
ce monde!
Sois saluée, route de la
vie,
Sois abandonné, ciel
fallacieux!
Je te salue donc route de la
Vie sans laquelle aucune destination n’est possible! »
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