Que pourrais-je ajouter de plus sur cette journée malheureuse?
Tant de choses ont été dites et écrites. Voici mon témoignage. Humble.
Quelques jours auparavant, on m’avait demandé de faire un
exposé sur la joie et le développement spirituel dans le cadre d’un séminaire
en région. J’avais accepté avec plaisir, loin de me douter de la secousse à
venir. Mais l’impensable survint…
Je m’en souviens comme si c’était hier. Le 11 septembre 2001
me jeta à terre. Je ne pus remplir mon mandat comme de raison — faire une
conférence sur la joie dans de telles conditions me rebutait, je me sentais
d’ailleurs vidé de cette substance. Je demeurai bouleversé pendant de longs
mois.
Comment expliquer l’émotion lorsqu’une onde de choc te transperce
de part en part? C’est comme tenter de décrire à un auditoire ce que tu ressens
de ta propre mort au moment même où elle se produit et dans les minutes qui
suivent.
L’indignation viendra plus tard.
Je ne porte pas en moi le gène de la révolte ou de cette
indignation volage que l’on brandit comme un drapeau à chaque événement
inhabituel qui relève de l’injustice ou d’un mal incompris. Ce monde est
imparfait et nos propres vies sont là pour le démontrer. J’ai pourtant avalé de
travers cette grosse bouchée (boucherie) indigeste qu’on me força à bouffer ce
jour-là. Pendant plusieurs jours je n’ai cessé de geindre : « pauvre
humanité qui se plait à tuer ses propres enfants comme si c’était du menu
fretin ». Est-ce que c’est prendre soin du monde ça? Est-ce que c’est
prendre soin de la vie, est-ce que c’est une tentative de l’améliorer?
Je fus envahi par un questionnement que je savais sans
réponses valables. Indignation?
Pour nous tous, êtres humains, la réalité est déjà tragique en
soi avec son lot de maladies, d’accidents, de cataclysmes naturels. Pourquoi
faut-il que nous en rajoutions en nous entretuant bêtement? À partir de combien
de morts une cause ne vaut plus la peine d’être appuyée? Est-il nécessaire de
toujours insister sur nos différences (religions, races, langues, etc.) pour
ensuite nous dénigrer et enfin chercher à nous éliminer complètement, car nous
faisons ombrage à l’autre, que soi-disant nous l’empêchons de s’épanouir? Nous
cherchons désespérément à résoudre le problème de la souffrance. Et comme il
n’y a pas de réponses adéquates, universelles, faciles (nous aimons tellement
la facilité) nous préférons utiliser la violence, jouer au plus fort, éliminer
l’autre. Voilà peut-être la seule et véritable tragédie : l’absence
d’effort, la paresse, le manque d’imagination dans la résolution des problèmes communs.
Nous préférons jouer aux gros bras ou bien nous baissons ces
mêmes gros bras en jurant qu’il n’y a que la main de Dieu pour nous sauver.
Nous pensons jouer une partie à l’échelle planétaire, une partie dont la règle
première est celle-ci : il n’y a pas de règles, c’est le plus puissant qui
gagne. Certains prennent le jeu au sérieux, bombent le torse et détruisent tout
sur leur passage, la fin justifiant bien sûr tous les moyens. D’autres, moins
agressifs, se résignent et abandonnent leur sort dans les mains des plus
intelligents, dans l’attente d’un deus ex machina les délivrant de l’obligation
de jouer le jeu sans risques. Mais pourquoi ces extrêmes? N’y a-t-il pas un
juste milieu?
Mon esprit s’est même permis de délirer en imaginant tout de
sorte de subterfuges pour enrayer la haine des hommes envers son semblable. Ne
voit-on pas que nous sommes tous pareils, embarqués sur les mêmes eaux? Non,
semble-t-il. J’ai donc rêvé des envahisseurs venus de planètes lointaines, des
envahisseurs tellement différents de nous cette fois-ci que nos pseudo différences
humaines, celles que nous érigeons sur un piédestal pour nous démarquer et nous
valoriser, fonderaient comme neige au soleil devant l’évidence.
Après le 11 septembre 2001, je me suis perçu comme une épave
à l’abandon sur une mer démontée. Des requins, à ma droite et à ma gauche, me
suivaient et attendaient le moment où j’abandonnerais mon navire et mon
courage. J’ai longtemps senti le souffle des prédateurs.
Superstitions et chiffre 13 ne m’ont jamais intéressé.
Le 11?
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