Le monde n’a-t-il pas profondément changé depuis un siècle,
mille ans, dix mille ans? Et qu’entendons-nous dire encore? Il faut changer le
monde…
Pauvre présent. Que de reproches, que de blâmes nous pouvons
lire et entendre sur lui! Il a le dos large. Il supporte tout. Mais on voit
bien qu’il est malade, en phase terminale. Les médias, chaque jour, nous rapportent
l’évolution de son cancer et je ne parle pas d’internet qui fouille allègrement
dans chaque recoin de son corps à la recherche de quelques métastases cachées.
C’est à se demander si nous ne voulons pas sa fin. Tu nous dégoûtes, meurs
donc!
Rien ne semble surpasser notre mépris pour le monde actuel,
au point que j’y vois une sorte de délectation dans son malheur ou, à tout le moins, une
vantardise dans sa reconnaissance. « Je vous l’avais bien dit, je l’avais
vu venir celle-là, ils n’ont que ce qu’ils méritent! » Et puis la
catastrophe serait à ce point imminente que nous ne pouvons même pas signifier
un tant soit peu le contraire sans être accusés d’être à la solde de puissances
obscures ou de souffrir d’aveuglement volontaire.
N’exagère-t-on pas un peu? Mais en est-il autrement depuis
toujours? Le passé a la cote, c’est bien connu. Ah le bon vieux temps! Les
jeunes aujourd’hui ne s’intéressent plus à rien, avant nous étions solidaires,
nous avions des rêves…
Annie Dillard s’exprime ainsi : « Il n’y a pas
d’ancien temps héroïque, il n’y a pas d’anciennes générations pures. Il n’y a
que nous autres, ici, pauvres poltrons, et il en a toujours été ainsi : un
peuple affairé et puissant, bien informé, ambivalent, important, effrayant et
conscient de lui-même; un peuple qui manœuvre, influence, trompe, conquiert;
qui prie pour ceux qui lui sont chers et rêve de fuir le malheur et d’échapper
à la mort. » (Au présent)
Nous persistons pourtant. D’ailleurs la vérité n’a-t-elle pas
été tout écrite il y a deux mille ans et plus? Loin dans le passé et, bien sûr,
à l’autre bout du monde, de grands sages se sont tenus debout, ont vécu, donné
l’exemple, et depuis lors, pfft, plus rien. Nous n’avons qu’à nous conformer à
leurs dires et tout ira bien. Et si tout va pour le pire aujourd’hui, c’est parce
que nous les ignorons au profit de chimères, de faux maîtres, de la raison, et
j’en passe.
Simpliste, et je n’y crois rien. « En réalité, nous dit
A. Dillard, l’absolu est à la portée de tous et en tout temps. Jamais époque ne
fut plus bénite que la nôtre, et jamais époque ne le fut moins. L’arbre de
votre rue est tout aussi propice à l’éveil spirituel que le figuier pipal de
Bouddha. »
S’il y a quelque chose d’accru de nos jours, c’est peut-être
l’intensité de la peur ainsi que la présence de ses deux sœurs jumelles :
insécurité et incertitude. (Contrastant avec les tours jumelles du World Trade
Center qui représentaient sécurité et certitude.)Ne nous viendrait-il pas alors
à l’idée de d’abord corriger notre propre manière d’envisager les choses, donc
nous changer, nous, plutôt que vouloir changer les autres, le monde?
Allons fouiller quelques instants au fond de nous-mêmes. N’y
a-t-il pas un peu de cette peur obscène qui nous grignote les entrailles? Peur de la mort, de
la douleur, de perdre son travail, sa maison, sa santé...
Pourquoi le présent fait-il si peur? C’est parce qu’il est le
seul réel et c’est pour ça que nous cherchons à l’atténuer, le diminuer, le
cacher, le vaincre ou nous en débarrasser. Patience, ça devrait passer! Ne
serait-il pas plus sage et productif de l’affronter avec courage sans nous
faire d’illusions?
« Ça (Dieu) n’a rien d’autre à donner que ce que Ça vous
donne dans l’immédiat. Que tout le monde et en tout temps peut profiter de Ça,
et que ceux qui en ont conscience ne connaissent pas la peur, pas même la peur
de la mort. » J. Goldsmith cité par A. Dillard
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