Le temps fuit… et les montres
se brisent. Les aiguilles ralentissent, le mécanisme s’empoussière. La pile a
des ratés tels un vieux cœur malade et fatigué, et vient un temps où elle doit
passer sous le bistouri comme toute bonne matière qui respecte cette
mystérieuse loi de l’entropie.
Je reviens d’une visite à mon
vieux père Alzheimer. Sa montre ne tient plus le temps, elle ironise sur sa
mémoire, elle garde toujours la même heure. « Je vais la faire réparer, lui
dis-je ». « Non, non, elle va bien, ce n’est pas nécessaire ».
Le temps s’est arrêté, a disparu, mais quelle importance pour lui. Il est entré
corps et âme dans un éternel présent qu’aucune montre, si précise soit-elle, ne
saurait faire dévier.
Plus tard dans la journée, je
vais faire une marche rapide, pour entretenir le cœur justement, pour qu’il ne
me laisse pas tomber trop vite et que son tic-tac se maintienne de façon
régulière. À quelques pas d’une intersection achalandée, je croise un vieil
homme aveugle. Il marche difficilement. Je lui propose de l’aider à traverser
la rue. Il accepte avec joie. À la blague, je lui dis qu’il va trop vite pour
moi, je suis essoufflé… Nous rions de bon cœur. Nous continuons à marcher, il me tient le
bras. La conversation s’engage sur son handicap. Il me dit qu’il lui reste un
3% de vision sur son œil gauche et que jusqu’à l’âge de 26 ans il voyait
correctement. Puis tout a basculé suite à une maladie.
Autre intersection. Nous
traversons la rue à la vitesse d’un escargot. Je remarque alors la montre qu’il
porte. La vitre qui recouvre le cadran s’ouvre et se referme à la cadence du
mouvement de son bras. Il me dit qu’elle est faite ainsi. D’un coup de poignet,
la vitre se pousse pour lui permettre d’apposer ses doigts sur des petits pointillés
qui lui indiquent l’heure. Il ajoute cependant qu’elle aurait besoin d’un
entretien, « elle est pleine de saleté et la vitre est tout le temps
ouverte ». Il rit de nouveau. Rien n’a d’importance, le temps, la vitesse
qu’il se déplace, la rue, les autos, la folie du monde.
Nous nous laissons. Il me
remercie chaleureusement et je pars de mon côté en pensant à son courage.
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