Je n’ai jamais compris le
phénomène. Est-il dérisoire? Peut-être bien, mais comme il me revient souvent
en mémoire et affleure mon esprit encore aujourd’hui, je m’interroge.
Enfant, je n’en avais que
pour la course. Nous avions beaucoup d’espace, faut-il le préciser. Beaucoup
d’espace pour beaucoup d’enfants, beaucoup de jeux et de liberté. Nous avions
de l’ardeur et de l’énergie à revendre et notre environnement permettait des
débordements qui se soulageaient sans être brimés constamment.
Nous avions des milles à courir
sur tous les terrains, dans toutes les rues. Nous avions surtout du temps, car
le temps à cette époque coulait lentement. Il coulait à travers champs en fleur
et sentiers sur le cap en surplomb du grand fleuve, dans ma ville encore
humaine dans ses dimensions et dans mes veines. Il coulait en abondance et je
devais en profiter, pas question d’en perdre une seule goutte.
Mes jambes m’obligeaient à
prendre d’assaut ce qui m’appartenait. Donc je courais d’une place à l’autre,
je volais. Parfois j’étais grisé par la rapidité de mes déplacements, il me
semblait battre tous les records. J’avais la shape, le physique de l’emploi.
Même le soir venu, il n’était
pas question de ralentir. Je courais encore. C’est alors que je me suis aperçu,
vers l’âge de sept ou huit ans pas plus, que ma course semblait plus rapide le
jour tombé. Comme si, à la noirceur, la distance entre deux points
rétrécissait. Je répétais souvent l’expérience, et à chaque fois même constat :
aussitôt la nuit tombée, je dévalais les distances à une vitesse encore plus
folle que le jour. Pourquoi cette impression?
Marcher dans le noir apporte
le repos de la raison, me suis-je souvent dit. La noirceur nous illumine-t-elle
de ce fait? Nous suggère-t-elle d’essayer de nous envoler et de retrouver une
liberté perdue au main de cette tyrannie de la raison toute puissante? Même notre
corps le saurait et nous ouvrirait le chemin. Est-ce le message que ce jeune
corps d’enfant voulait me laisser savoir?
Il serait alors bon de
délaisser un peu le confort de notre raison et de magnifier le désir de
liberté en augmentant la vitesse de notre envol.
La noirceur porte conseil,
assurément.
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