Vous êtes transporté, la
nuit, dans une clairière en pleine forêt. Au milieu de la clairière, un étang.
Vous êtes troublé, le silence vous accable. Vous êtes habitué aux bruits, vous
absorbez sans ménagement les rumeurs qui circulent; la clameur et l’agitation
vous font sentir membre d’une grande famille, et ce sentiment d’appartenance
vous comble, car vous redoutez la solitude plus que toute autre chose.
Maintenant vous êtes seul
avec vous-même. Vous vous assoyez par terre près de l’étang et vous regardez
cette eau sombre et étale. Rien ne bouge, le temps semble arrêté.
Vous vous sentez prisonnier
de cette langueur, de ce calme, de ce repos inattendus. Vous êtes prêt à tout,
au moindre mouvement, à la moindre apparition pour briser votre torpeur et vous
accrocher. Vous êtes en état de manque, la privation vous fait mal et tue votre
moral.
Le silence, le vide…
Vous remarquez alors une
brillance à la surface de l’étang. Un minuscule point lumineux qui semble
prendre de l’ampleur. Une étoile. Vous levez les yeux au ciel et, sans
surprise, elle se révèle, plus lumineuse, plus grosse que toutes les autres.
Pourquoi?
Qu’arrive-t-il à votre
raison? Cette étoile pointe son regard vers vous, vous en êtes certain. Est-ce
elle qui vous questionne ou vous-même qui l’interrogez? Pourquoi, que me
veux-tu? Elle vous agresse…
Puis elle vous dit :
— Moi je ne veux rien.
N’est-ce pas toi qui veux tout?
— Non, au contraire.
— Que veux-tu me faire croire?
— Je n’ai rien à foutre de
m’arrêter, d’être dans le silence et de perdre mon temps à rester assis à côté
d’un étang à attendre. Attendre quoi, au fait? Mon temps est précieux. Pourquoi
suis-je ici? Et ma liberté?
— Allons, calme-toi un peu…
Je t’ai choisi pour que tu t’arrêtes quelques secondes, que tu cesses ton
agitation et ta frénésie. Je t’ai choisi pour t’aider à retrouver un rythme. Je
ne suis pas là pour te brimer.
— Facile à dire…
— Tout ce que j’ai à t’offrir
c’est un court moment pour réfléchir et contempler ta vie. C’est si peu que
j’en suis désolée. Pourtant, c’est sans doute le plus beau cadeau que je peux
faire à un humain comme toi. Tu as l’énergie pour agir, pour bouger et
t’activer en oubliant le vide qui te tenaille. Mais serait-ce t’insulter que te
faire prendre conscience que tu possèdes aussi la faculté de créer en arrêtant
le cours normal et attendu des choses? Paradoxal n’est-ce pas? Tu te crois
libre, mais l’es-tu vraiment si tu ne fais que réagir à ce qu’on te dit ou ce
qu’on t’entraîne à faire?
— Foutaise! Je sais ce que je
fais. Je veux profiter de chaque occasion et il n’y a rien qui m’arrêtera,
surtout pas une banale étoile.
— J’ai peu d’éclat, je sais.
Je n’apparais que dans la noirceur. Je suis celle qui existe sans nuire. Je
suis rien et c’est ce que je veux te faire entendre. Mais toi tu es gagné par
la hâte, la colère et l’impatience, tu es une lourde mécanique qui fonce dans
la vie les yeux bandés. Tu te crois libre, mais tu n’es qu’une éponge qui
absorbe les rumeurs et les courants à la mode. Tu ne fais qu’imiter ce qui te
ressemble et tu te perçois comme un être unique. Je veux juste que tu te
souviennes de ce moment passé avec moi. Il pourrait te sauver…
— Je suis assez grand pour
m’occuper de ma propre vie.
— Sans doute. Mais tu es
aussi assez petit pour la gâcher complètement. Tu es sur le fil du rasoir. N’oublie
pas, c’est toujours à partir du silence que tu refais tes choix et que tu crées
du nouveau. Un véritable sens…
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