30 mai 2012

Attaque d’une étoile indolente


Vous êtes transporté, la nuit, dans une clairière en pleine forêt. Au milieu de la clairière, un étang. Vous êtes troublé, le silence vous accable. Vous êtes habitué aux bruits, vous absorbez sans ménagement les rumeurs qui circulent; la clameur et l’agitation vous font sentir membre d’une grande famille, et ce sentiment d’appartenance vous comble, car vous redoutez la solitude plus que toute autre chose.

Maintenant vous êtes seul avec vous-même. Vous vous assoyez par terre près de l’étang et vous regardez cette eau sombre et étale. Rien ne bouge, le temps semble arrêté.

Vous vous sentez prisonnier de cette langueur, de ce calme, de ce repos inattendus. Vous êtes prêt à tout, au moindre mouvement, à la moindre apparition pour briser votre torpeur et vous accrocher. Vous êtes en état de manque, la privation vous fait mal et tue votre moral.

Le silence, le vide…

Vous remarquez alors une brillance à la surface de l’étang. Un minuscule point lumineux qui semble prendre de l’ampleur. Une étoile. Vous levez les yeux au ciel et, sans surprise, elle se révèle, plus lumineuse, plus grosse que toutes les autres.

Pourquoi?

Qu’arrive-t-il à votre raison? Cette étoile pointe son regard vers vous, vous en êtes certain. Est-ce elle qui vous questionne ou vous-même qui l’interrogez? Pourquoi, que me veux-tu? Elle vous agresse…

Puis elle vous dit :

— Moi je ne veux rien. N’est-ce pas toi qui veux tout?

— Non, au contraire.

— Que veux-tu me faire croire?

— Je n’ai rien à foutre de m’arrêter, d’être dans le silence et de perdre mon temps à rester assis à côté d’un étang à attendre. Attendre quoi, au fait? Mon temps est précieux. Pourquoi suis-je ici? Et ma liberté?

— Allons, calme-toi un peu… Je t’ai choisi pour que tu t’arrêtes quelques secondes, que tu cesses ton agitation et ta frénésie. Je t’ai choisi pour t’aider à retrouver un rythme. Je ne suis pas là pour te brimer.

— Facile à dire…

— Tout ce que j’ai à t’offrir c’est un court moment pour réfléchir et contempler ta vie. C’est si peu que j’en suis désolée. Pourtant, c’est sans doute le plus beau cadeau que je peux faire à un humain comme toi. Tu as l’énergie pour agir, pour bouger et t’activer en oubliant le vide qui te tenaille. Mais serait-ce t’insulter que te faire prendre conscience que tu possèdes aussi la faculté de créer en arrêtant le cours normal et attendu des choses? Paradoxal n’est-ce pas? Tu te crois libre, mais l’es-tu vraiment si tu ne fais que réagir à ce qu’on te dit ou ce qu’on t’entraîne à faire?

— Foutaise! Je sais ce que je fais. Je veux profiter de chaque occasion et il n’y a rien qui m’arrêtera, surtout pas une banale étoile.

— J’ai peu d’éclat, je sais. Je n’apparais que dans la noirceur. Je suis celle qui existe sans nuire. Je suis rien et c’est ce que je veux te faire entendre. Mais toi tu es gagné par la hâte, la colère et l’impatience, tu es une lourde mécanique qui fonce dans la vie les yeux bandés. Tu te crois libre, mais tu n’es qu’une éponge qui absorbe les rumeurs et les courants à la mode. Tu ne fais qu’imiter ce qui te ressemble et tu te perçois comme un être unique. Je veux juste que tu te souviennes de ce moment passé avec moi. Il pourrait te sauver…

— Je suis assez grand pour m’occuper de ma propre vie.

— Sans doute. Mais tu es aussi assez petit pour la gâcher complètement. Tu es sur le fil du rasoir. N’oublie pas, c’est toujours à partir du silence que tu refais tes choix et que tu crées du nouveau. Un véritable sens…

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