Ils surgissent à tout coup en
bande, une dizaine environ à la fois. Je les rencontre lors de mes
déambulations à travers les rues ou les parcs, à l’épicerie. Leur démarche est
caractéristique, plutôt gauche et désarticulée comme si des fils invisibles les
soutenaient. Ce ne sont pas des pantins. Cette bande qui avance lentement et entourée
d’accompagnateurs, chaque fois elle me fait sourire, chaque fois une sorte de
tendresse surgit en moi et vient les étreindre.
Ils sont adolescents ou jeunes
adultes pour la plupart, mais dans leurs yeux et leurs baragouins il est facile
de déceler la couleur de la petite enfance. Lorsque je les croise, un des leurs
m’envoie la main, un autre peut me lancer un gros allo bien sonore. L’autre
jour à l’épicerie quelques-uns me suivaient en ligne près du comptoir de
paiement. Dans leurs mains chacun tenait un item, un trésor unique à apporter
comme nourriture. Je les ai observés attentivement. J’ai vu de jeunes êtres
humains dans toute leur innocence et leur vulnérabilité. Mais encore une fois,
je n’ai pu m’empêcher de sourire à leur étrange beauté. Ils me fascinent.
Cette existence d’être humain
handicapé, cette existence saugrenue, irréelle, désavantagée, que vient-elle me
dire? Je l’observe et me tais. Ces êtres humains existent parce qu’ils
existent, il n’y a pas de pourquoi. « La rose est sans pourquoi, elle
fleurit parce qu’elle fleurit », nous dit Angelus Silesius.
Tout de même.
J’essaie de pénétrer ce
mystère et n’y arrive pas. Que reste-t-il dans un être humain quand
l’intelligence n’y est pas, ou si peu? Comment voit-il son entourage? Les
émotions sont-elles amplifiées? À quoi rêve-t-il la nuit?
Je peux imaginer la folie et
la détresse profonde de la dépression. Je peux comprendre un handicap physique
grave, être aveugle, sourd, paraplégique et j’en passe. Mais un individu est-il
dépourvu si grandement de possibilités lorsqu’il conserve toute sa vie
l’intelligence d’un enfant? Qu’apprend-il? Peut-il tout de même se réaliser?
Est-ce que cette dernière question est absurde? Impossible d’être taxé
d’anthropomorphisme ici, je parle d’un autre être humain.
J’aime ma petite bande. C’est
ma chorale d’oiseaux. Voilà.
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