12 août 2012

Coup de balai


La poussière s’accumule dans la maison. Les planchers s’amusent à ramasser tout ce qui traîne. Ces petits minous avec lesquels on pourrait se tricoter un chandail, comme dirait ma douce. J’embraye donc, empoigne le balai solidement, chantonne ou sifflote un air quelconque puis exécute mon pas de deux. Le coup de balai c’est plus zen et calmant que l’aspirateur, soit dit en passant. Un petit labeur tout en simplicité et douceur. Un petit labeur nécessaire qui me rappelle chaque fois la très belle histoire de Yunus Emré racontée dans un des livres d’Henri Gougaud.

Lui aussi en a balayé un coup. Il était venu au monastère d’un vieux maître aveugle afin de découvrir la vérité. "Elle te viendra peu à peu, lui promit-il. Mais pour l'instant, ton travail sera de balayer sept fois par jour la cour du monastère."

Ce qu’il fit. Sauf que personne ne le remarquait, personne ne lui parlait, pas même son maître. On le laissait à sa tâche ingrate mais nécessaire, le monastère se trouvant dans le désert, alors pour ce qui est de balayer…

C’est d’Arnaud Desjardins que j’ai retenu ces mots : « L’important n’est pas tant de faire de belles et grandes choses, mais de faire ce que tu es en train de faire avec grandeur et beauté. »

Une bonne attitude donc. Avec beaucoup de patience, dans la joie, sans rien attendre de personne, simplement parce qu’il est bien et bon de faire.

Afin de participer à l’humble création de la beauté et de l’harmonie autour de soi.

Est-ce bien ce que le maître de Yunus voulait lui enseigner : oublier les attentes personnelles, oublier la reconnaissance, les récompenses, agir plutôt pour "apporter un peu de vie à cette vie ingrate et imparfaite qui en a bien besoin". Apprendre à donner sans rien attendre en retour. Créer du beau dans la mesure de ses capacités?

Je mets en relief cette attitude non pas pour l’opposer au fait de travailler et de gagner sa vie, au fait d’avoir des ambitions et un désir tout naturel d’améliorer le monde autour de soi. Rien de plus normal, il va sans dire. Donner un coup de balai est plutôt une métaphore dans le sens de dépoussiérer le dogmatisme des croyances. Je pense à celles qui sont des havres de repos et de consolations pour ses dévots. Je pense à celles qui promettent délices de l’après vie ou sur cette terre aussi. Faites ce qu’on vous dit et vous serez gagnant! Vous n’aurez plus besoin de vous réincarner, ne vous en faites pas! Il faut seulement servir la cause, employer les bons mots.

Un arrêt. Que plus rien ne bouge. Certitude absolue. Propreté absolue. Manger des raisins en jouant de la harpe sur un nuage. Un million de vierges qui vous attendent au ciel suite à votre martyr. Suivez la règle, ne pensez plus, ne doutez plus.

Croyances égalent récompenses et un arrêt définitif de tous doutes.

Cependant, avec le temps, la poussière s’accumule.

J’ai souvent perçu la conscience humaine comme un miroir reflétant un univers de possible, un intérieur inconnu sans limites. Ce miroir ne faut-il pas le nettoyer quand le moment l’exige? Sinon un miroir ne reflète plus rien, hormis la poussière de ses ambitions personnelles.

Sommes-nous que poussière finalement?

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