Rien ne me touche autant comme de voir une personne assise sur un banc public, seule avec un livre entre les mains, submergée dans un monde qui n’appartient qu’à elle. J’ai envie de m’arrêter et de lui demander avec d’infinies précautions, sans la brusquer, car elle est en train de naviguer sur un grand océan et que je ne dois pas être la cause d’un naufrage, lui demander donc ce qui la transporte si loin dans ce livre au point d’y plonger en oubliant tout autour d’elle.
Ce n’est pas une fuite du réel. Cette personne existe, habite un lieu que je partage avec elle. Elle vit librement, mais s’émeut aussi à la lecture de mots chargés d’un pouvoir qui m’est inconnu. Elle enfourche un rayon de lumière comme une sorcière son balai et franchit des distances hors des espaces habituels pour mieux gouter à la nourriture des dieux.
Je sais que nous vivons dans un monde d’images fabriquées. Je connais la prodigieuse fascination de la télévision, du cinéma, de la vidéo, de « You Tube » auprès de la population. Ces médias sont la crème qui nage en surface de notre représentation du monde. Ils asservissent notre imaginaire.
Je n’apprends rien à personne en affirmant qu’une image vaut mille mots. Ce dicton appartient à la sagesse populaire. Mais que diriez-vous si je proclamais qu’avec mille mots nous pouvons créer aussi tout un univers? Que cet univers pourrait exhiber un nombre infini d’images qui nous appartiennent puisque nous en serions les cocréateurs avec l’écrivain?
Je parle d’imagination active et passive. Je parle des mots qui suscitent une attention accrue de notre part, ce côté actif qui vient nourrir notre propre créativité. L’imagination passive, en contrepartie, se nourrit des médias, s’assoit sur une tonne d’images prédigérées, toutes faites. Elle n’agit pas, elle se laisse bercer et berner. La facilité…
Rien ne me touche autant qu’un être qui invente avec un autre (l’écrivain et le lecteur) une réalité ainsi qu’une compréhension de cet infini partagé.
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