Lorsque nos yeux se portent
vers le ciel étoilé, nous identifions des formes familières, des formes
dessinées par l'homme : un chaudron ici, une croix là… Des dizaines de constellations sont ainsi nées de notre
propre regard. Nous nous sommes projetés dans le ciel pour tenter d’expliquer toute
cette immensité et ce vide prodigieux. Notre imagination a alors fini par
trouver une interprétation « à ce grand silence des espaces infinis ».
Ce qui nous impressionne, ce qui nous fait sentir tout petit et impuissant, nous
tentons de le conjurer en le contournant, en le soupesant et l’interprétant.
C’est là le pouvoir de l’imaginaire de l’homme. C’est là son génie.
À l’approche des bruyantes cataractes
de la « Chute à l’Ours », j’ai senti le même effet se produire sur
moi. Je me suis tenu debout de longs instants sur les grands rochers plats
bordant cette majestueuse rivière, l’Ashuapmushuan, afin de me laisser pénétrer
par toute cette puissance indomptée. Il y d’autres rivières qui viennent se
jeter avec panache dans le Lac Saint-Jean au Québec, mais à ce point nommé de
la « Chute à l’Ours » près de Normandin, c’est comme si mon cœur
avait cessé de battre. Tout d’un coup.
Une question me tarauda
pendant l’heure à marcher sur le sentier bordant les rapides. Presque à
l’obsession. Comment faire pour naviguer en canot sur les flots d’une telle
rivière afin de se rendre sans encombre jusqu’au grand lac?
Mon imagination s’était mise
au travail.
Pierre Morency dans son livre
« L’œil américain » nous parle de ces premiers Européens qui ont
côtoyé les autochtones en les suivant dans la forêt, sur les cours d’eau, à la
chasse et la pêche. Ébahis devant leur facilité à se fondre à l’environnement,
se tenir cois, scruter et traquer n’importe quels indices autour d’eux, jouer
de prudence et de discrétion, bref tout voir et entendre avec acuité autour d’eux, ces Européens décrétèrent que « l’Indien » avait l’œil
américain.
J’ai donc joué à l’Indien. Un
Indien en compagnie de son clan. J’ai cherché tous les moyens possibles pour
traverser les rapides de la Chute à l’Ours. Une impression tenace me disait qu’un passage
existait, malgré les risques.
Est-ce que j’accomplirais
moi-même cette chevauchée, c’est une autre histoire. Par ailleurs, en
adoptant la posture de l’Amérindien, je me suis transformé en un observateur
autre d’un problème concret. Avec un autre point de vue.
L’œil américain?
Quelques jours plus tard, en
lisant une énième fois articles de journaux et chroniques d’humeur sur le
conflit étudiant au Québec ainsi que la violence générée par les manifestations,
j’ai pensé qu’il y avait un lien à faire avec ce passage à haut risque des
Chutes à l’Ours. C’était peut-être ça mon obsession...
Vaut-il mieux s’aventurer
avec témérité et impatience sur ces dangereux rapides ou plutôt réfléchir tranquillement
aux moyens possibles de passer au travers sans nous noyer ou nous blesser
inutilement?
Le chemin est long jusqu’au
lac puis au fleuve puis à l’océan.
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