Prenez un fleuve et ajoutez-y
un zeste de silence. Enfin, le principal, rehaussez le tout par de généreuses
portions de glace dispersées au centre de ce fleuve ainsi que sur sa batture.
Succès assuré. Une grande
lampée de cette beauté éphémère, surnaturelle et primitive finit toujours par
nous rassasier. Tout comme elle a sans doute enchanté plusieurs de ces premiers
hommes qui ont circulé sur leur chemin en suivant la mesure du mouvement des
glaces sur le Saint-Laurent.
Cette lente procession qui se
donne en spectacle aide à me figer, à me fixer dans un état de contemplation
qui me rappelle le flot de mes pensées éparses qui s’écoule librement puis se tait
et disparaît. Je ne vois qu’un autre moment qui peut accoter celui-là. C’est
quand j’ai le cul bien assis sur une grosse roche, les pieds dans l’eau d’un
ruisseau en pleine forêt. La virevolte du courant d’eau au son de sa musique
unique de lutin espiègle me fait le même effet. Il y a un transport, l’âme plie
bagage et s’envole; elle glisse sans heurt aux abords de la rêverie…
Je ne peux oublier l’étrange
mélopée pleine de langueur et de silence qui émerge du rythme scandé par l’ample
débordement des glaces. Musicien, je composerais un adagio nordique en
l’honneur de mon fleuve. Avec instruments à vent, hautbois certainement, une
longue complainte, une louange à la déesse des eaux. Je conserve cette musique
en moi comme un don précieux et l’emballe de mes humeurs. Je scrute aussi sa
lumière incertaine à la recherche de figures, comme aux nuages dans le ciel. Ces
morceaux fragmentés sont-ils les pièces d’un grand puzzle à la dérive? Je
pourrais les rassembler et en produire l’image d’un univers inconnu en trois
dimensions.
J’ai un énorme respect envers
la puissance d’un fleuve qui se décompose au printemps. J’ai marché sur ses
plaques blanches endurcies, sur ses tectoniques flottantes comme de grands
rochers qui déboulent de leur sommet hivernal. Je me suis frotté à leur
épaisseur et à leur force. Les hautes herbes de la batture, jaunies par le
froid, je les ai vues, déchirées par cette furie de glace en décomposition. Et je
ne peux que me taire ici. Peut-être, tout au plus, chanter la dérive de ces
carcasses de fer gelé et la délivrance d’un long hiver de peines et de
souffrances. Peut-être m’amuser d’une débâcle, comme une libération d’un trop-plein
qui s’étiole et s’effrite.
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